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L’abolition de l’esclavage en France : une conquête révolutionnaire



mardi 30 janvier 2024

 L’abolition de l’esclavage en France : une conquête révolutionnaire 

William Foucaut - Le Journal de l'insoumission n°1782 (février 2024)

 

Le 4 février 1794 (16 pluviôse an II), l’esclavage est aboli pour la première fois en France par la Convention. En 1791 et 1792, les révolutionnaires avaient déjà accordé certains droits aux personnes de « couleur »1 . Mais cette première abolition a eu peu d’effet et comme en 1848, on oublie souvent le processus révolutionnaire et la capacité des « esclavisés » à se libérer eux-mêmes !

 

Remettre les « esclavisés » au cœur du processus révolutionnaire 

L’esclavage désigne un système socio-économique reposant sur l’exploitation d’êtres humains, qui ne fonctionne que sous la contrainte et par la violence2. Sous l’impulsion de plusieurs historiens, l’analyse du système esclavagiste3 a remis au centre des études les personnes concernées. La vision économique et productiviste du rapport maître/esclave envisage l’être humain uniquement comme une marchandise. Myriam Cottias4 préfère, à la suite de plusieurs influences historiographiques, employer le terme « esclavisé » pour parler des « esclaves »5 . Déjà dans les années 1960, des historiens cubains comme Juan Pérez de la Riva avaient travaillé sur « l’histoire des gens sans histoire », formant alors le concept d’agentivité (agency) : la capacité d’agir de l’être humain. Il s’agit de distinguer un terme juridique désignant un statut civil, « esclave », d’un terme redonnant toute sa place à la personne agissante malgré la domination : « esclavisé ». En effet, ce sont aussi ces résistances d’esclavisés qui ont créé le rapport de force favorable à l’abolition « des esclavages ».

 

L’abolition de l’esclavage en France : un processus révolutionnaire de 1791 à 1848 

L’abolition de l’esclavage en France s’inscrit dans un contexte mondial et révolutionnaire complexe.
Il convient de nuancer sans minimiser le rôle des « grandes figures » du récit national ainsi que les « grandes idées », de Robespierre à Schœlcher en passant par la morale des Lumières. Ainsi, l’abolition doit se penser en interaction avec les événements révolutionnaires initiés par les esclavisés eux-mêmes. Par exemple, la Société des Amis des Noirs, dont l’abbé Grégoire est un acteur majeur, permet de porter à la Convention le débat sur l’esclavage et le droit des personnes noires parce que la Révolte des esclaves de Saint-Domingue (août 1791) a produit ses effets. De même, l’abolition du 4 février 1794 fait suite à l’abolition du 29 août 1793 à Saint-Domingue, conséquence des événements révolutionnaires menés par les esclavisés. Mais dans le contexte mondial, l’abolition de 1794 a peu d’effet. De nombreux colons ont résisté, comme à la Réunion, et de nombreux propriétaires sont partis dans les colonies britanniques pour conserver leurs esclaves.
En 1804, Napoléon rétablit l’esclavage mais fait face à de grandes résistances. Des résistances de colons blancs, petits propriétaires face aux gros, mais surtout des esclavisés qui s’organisent. À Saint-Domingue, la lutte n’a pas cessé depuis la cérémonie du Bois-Caïman du 14 août 1791. Toussaint Louverture6 dirige la lutte armée dès 1801 face à la reprise de l’île par les troupes napoléoniennes. La guérilla est favorisée par la topographie de l’île. Louverture est arrêté en 1802, trahi par celui qui devient son successeur : Jean-Jacques Dessalines. Ce dernier proclame l’indépendance de Saint-Domingue qui devient Haïti le 1er janvier 1804 et la première république noire libre au monde. Les quelque 13 ans de lutte font près de 100 000 victimes noires et 25 000 victimes blanches. Avec ce rapport de force la conquête de nouveaux droits se poursuit pour les esclavisés durant les années 1830. Cela conduit Louis-Philippe à signer des ordonnances pour l’affranchissement des populations d’esclaves noirs de 1830 à 1845. Cela participe à l’affranchissement de 6 % de la population totale d’esclaves dans les colonies françaises.
Toutefois, c’est sous l’impulsion de Victor Schœlcher, député de La Montagne que l’esclavage est aboli par décret le 27 avril 1848 en France. Plus qu’une abolition, le décret proclame cela comme la reconnaissance d’une « grande dette de la France à l’humanité ». L’abolition en France est un processus républicain menant à la citoyenneté pour les concernés et non pas uniquement la fin d’un système de domination économique tel qu’en Angleterre (1833). La résistance est forte, les esclavisés se soulèvent et le décret est promulgué par anticipation en Martinique, Guadeloupe et Guyane libérant plus de 60 % des esclavisés du 23 au 27 mai 1848. Aimé Césaire affirmait pour le centenaire de l’abolition que les esclaves avaient compris « que la liberté ne tombe pas du ciel…qu’elle se prend et se conquiert ».

 

D’un système de domination à un autre 

Les propriétaires perçoivent l’équivalent de 2 millions d’euros par esclave d’indemnités et contrairement à ce qu’ils croyaient, la fin de l’esclavage va stimuler l’économie coloniale. En 1825, Charles X va exiger l’indemnisation de la France par Haïti à hauteur d’une année de revenu pour l’île, « dette de l’indépendance » soldée en 1952, entravant lourdement son développement.
Aujourd’hui, c’est un combat à poursuivre. Les estimations sont autour de 50 millions de personnes victimes d’une forme d’esclavage contemporain7 dans le monde. Ce chiffre est en hausse mais il est à prendre avec des pincettes tant les informations sont complexes à collecter. Il s’agit également de distinguer ce qui relève de l’esclavage et ce qui relève du travail forcé. Même si bien souvent la frontière est mince, ce combat reste malheureusement d’actualité.

 

1. Décret mai 1791 / Décret mars 1792

2. Site Mémorial de Nantes

3. Société dans laquelle l’esclavage est un modèle de production prépondérant.

4. Directrice du Centre International de Recherches sur les esclavages et post-esclavages

5. Travaux de Catherine Coquery-Vidrovitch et Éric Mesnard

6. Le personnage reste controversé car il devient propriétaire d’esclaves après avoir conquis sa liberté.

7. ONU, 2021