ÉDITO - 2 + 2 = 5
2 + 2 = 5
Ces dernières semaines ont été le théâtre d’un nouvel exercice de manipulation des masses. Un énième épisode qui en serait presque banal s’il ne prenait pas appui sur des évènements tragiques et barbares. Car cette fois-ci, c’est sur le dos des morts au Proche-Orient que s’est orchestrée la cabale politico-médiatique contre les insoumis.es.
Une campagne de mise au ban de la société contre la principale force d’opposition en France et force centrale à gauche. Pas étonnant que la droite macroniste et LR ainsi que les opposant·es internes historiques à la NUPES se soient trouvé un intérêt convergent à pilonner le mouvement insoumis. Quitte à mettre une cible dans le dos des insoumis·es. Quitte à donner au Rassemblement national de nouveaux brevets de respectabilité.
Au-delà de cette entreprise politicienne, il devient impossible de penser dans ce tourbillon médiatique. Les faits objectifs sont noyés. Chaque mot, chaque virgule, chaque expression est décortiquée pour en tirer la nouvelle polémique du moment.
La tension entre vérité et politique n’est pas nouvelle. La notion de vérité a fait l’objet au fil des âges de diverses analyses philosophiques. Pour Machiavel, plus qu’être vertueux, le prince doit surtout paraître vertueux. Entre la vérité rationnelle (liée à la nature des choses et donc immuable) et l’opinion, on trouve la notion de vérité de faits qui est plus contingente. À l’ère de l’information globalisée et du relativisme grandissant, cette vérité est très fragilisée jusqu’à devenir une opinion. Dans ce contexte, la discussion perd tout sens et il devient difficile de créer du monde commun permettant ensuite de confronter des réponses différentes selon les valeurs mobilisées par les un·es et les autres.
Quand les débats scientifiques s’appuient sur des éléments rationnels et objectifs dans une sorte de mise à distance, le débat politique et démocratique est lui plus passionnel et émotionnel. Un terrain adéquat pour celleux qui ont tout intérêt à attiser les passions populaires pour mieux les manipuler. C’est l’ère de la post-vérité. Donald Trump en a fait sa marque de fabrique : décréter de nouvelles vérités et les propager jusqu’à ce qu’elles s’imposent à force d’être reprises massivement. Au Brésil, le ministre de l’économie Paulo Guedes martelait que l’économie brésilienne décollait quand les indicateurs économiques montraient le contraire. En France, Bruno Le Maire affirme depuis des mois que l’on a atteint le pic de l’inflation quand les chiffres disent le contraire. G. Darmanin pratique lui une hyper-communication dangereuse comme en témoignent ses dernières sorties où ses opposants sont accusés de faire l’apologie du terrorisme, où une star du foot est suspectée de soutenir le Hamas quand elle s’émeut du destin des populations palestiniennes. Son prénom Karim n’étant peut-être pas tout à fait étranger à cette suspicion subite.
« Celui qui contrôle le passé contrôle l’avenir, celui qui contrôle le présent contrôle le passé » lit-on dans le chef d’œuvre de Georges Orwell, 1984. Un récit qui ne cesse d’être d’actualité. Auteur de la postface d’une nouvelle édition, le journaliste et écrivain Ronaldo Bressane écrit : « L’intention des « fake news », est de créer un récit, une vision du monde, pour que les partisans des gouvernements fascistes et autoritaires croient en quelque chose qui ne se produit pas, une réalité parallèle. »
Quand on ne sait plus où se situe vraiment la réalité objective, la conflictualité, inhérente à la démocratie, devient plus que salutaire, elle est vitale. Elle signifie débattre, confronter ses idées et désaccords, accepter parfois de changer d’avis. Elle favorise la construction collective d’une opinion publique éclairée et conscientisée. Que ce soit dans le cadre constitutionnel de la 5ème République qui permet à un président de gouverner à coups de 49-3 ou dans le cadre médiatique où le débat est confisqué par des polémiques entretenues, notre démocratie étouffe de ce manque de conflictualité, caricaturée sous le vocable de « violence » et du « parler fort ».
Georges Orwell écrit depuis son lit d’hôpital en 1949, au sujet de son livre 1984 : « La morale à tirer de cette dangereuse situation cauchemardesque est simple : ne la laissez pas se produire. Cela dépend de vous. »
Les régimes totalitaires ou fascisants ne s’imposent pas nécessairement par la force. La manipulation d’opinion est un formidable outil de conquête du pouvoir. Faisons en sorte que cela ne nous arrive pas. Cela dépend de nous.