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DOSSIER - École : le séparatisme des riches



mardi 01 août 2023

  École : le séparatisme des riches 

Benoît Schneckenburger, Matthias Tavel  - Le Journal de l'insoumission n°1777 (Aout Septembre 2023)

 

Derrière les mantras officiels pour « l’École de la République » et « l’égalité des chances » se cache en réalité une puissante dynamique d’inégalité scolaire. Sont notamment en cause la sécession des riches et les privilèges de l’école privée. Derrière les mantras officiels pour « l’École de la République » et « l’égalité des chances » se cache en réalité une puissante dynamique d’inégalité scolaire. Sont notamment en cause la sécession des riches et les privilèges de l’école privée.

 

Selon l’Observatoire des inégalités, « la France appartient au club des pays où les inégalités sociales exercent la plus grande influence sur les parcours scolaires ». Les enfants issus des classes sociales favorisées et diplômées y réussissent (très) bien alors que les enfants des milieux défavorisés sont eux confrontés à des difficultés qui se cumulent.


Parmi les causes multiples, l’observatoire évoque pêle-mêle « faible taux d’encadrement, apprentissages très académiques, évaluations à répétition, dévalorisation des élèves qui échouent ». On pourrait y ajouter le non-remplacement des enseignants absents entre autres.


 École de riches, école de pauvres  
L’autre raison, c’est ce qu’il faut bien appeler le séparatisme scolaire des riches. Deux dynamiques se cumulent. La ségrégation territoriale par les prix du logement aboutit à des écarts énormes dans le public par l’application de la carte scolaire. Ainsi en Seine-Saint-Denis, 70 % des collèges publics ont un IPS (Indice de position sociale, indicateur de mixité sociale d’un établissement) moyen inférieur à 90 contre seulement 9 % des collèges parisiens.


Mais cela n’explique pas tout, loin de là. Car la sécession des élites passe souvent par l’école privée. D’après les derniers chiffres connus, parmi les 100 collèges avec l’IPS le plus élevé, 81 sont des établissements privés sous contrat. À l’inverse sur les 100 collèges avec l’IPS le plus faible seul … un est privé. Les collèges privés accueillent moins de 20 % d’élèves issus de familles défavorisées (parents ouvriers ou inactifs) contre 40 % d’élèves de milieu très favorisé (parents cadres supérieurs, chefs d’entreprise, enseignants). C’est l’inverse dans le public. Et selon le ministère lui-même, l’écart entre public et privé « a augmenté fortement à partir du début des années 2000 ». Aujourd’hui par exemple, seuls 12 % des élèves du privé sont boursiers contre près de 30 % pour ceux du public.


Les discours réactionnaires prompts à dénoncer une tentation séparatiste attribuée à une part de la population, sous soupçon de religion inconciliable avec les valeurs de la République, masquent le vrai séparatisme scolaire : le séparatisme de l’école catholique et des riches. Or ces inégalités profondes sont nourries par le détournement des finances publiques.


 12 milliards d’euros par an  
La liberté de l’enseignement est un principe constitutionnel reconnu depuis la III° République. Cependant il s’accompagne d’un autre principe, inscrit au Préambule de la Constitution de 1958 : « l’organisation de l’enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État », héritage de la longue lutte pour la laïcité scolaire interdisant aux établissements privés d’user du titre d’université en 1880 ou instaurant l’enseignement primaire obligatoire, laïque et gratuit en 1882.
Pourtant, malgré la loi de 1905 qui a su séparer – une autre forme de séparatisme, plus sain que saint celui-là – les Églises et l’État, les forces conservatrices ont peu à peu redonné des avantages à l’enseignement privé, essentiellement catholique.


Dès 1919, la Loi Astier concède que pour l’enseignement « technique » il peut y avoir des établissements privés « reconnus par l’État »
en contradiction avec l’article 2 de la loi de 1905. Puis les lois Debré (1959) et Carle (2009) par le système des écoles sous contrat et leur accès au forfait scolaire octroient des masses financières considérables.


Entre les subventions obligatoires et celles accordées en plus par l’État et collectivités territoriales, ce sont près de 12 milliards d’euros qui chaque année sont légalement détournées du budget public pour le privé. De ce fait les établissements privés, même sous contrat, se voient bénéficiaires de droits considérables sans les contraintes de l’école publique : ils reçoivent des masses financières, choisissent leurs élèves, ne sont pas astreints à la carte scolaire. Pour l’enseignement catholique ce dispositif est rentable : il lui permet d’avoir des enseignants gratuits, des locaux d’enseignement technique subventionnés, tout en assurant sa « mission pastorale ». La concurrence des écoles privées et le séparatisme scolaire sont ainsi largement subventionnés par l’argent public pourtant si rare pour renforcer l’école publique.
Des accords récents ont encore accru les droits de l’école privée. Ainsi, l’obligation de scolarité
dès 3 ans est un cadeau déguisé : elle se pratiquait de fait dans le public, mais en devenant obligatoire elle s’assortit du versement d’environ 150 millions d’euros d’argent public par an au privé.


 Le marché scolaire 
Pire, le subventionnement public d’écoles hors contrat est devenu presque courant. Notamment pour le réseau Espérance banlieues favorisé par Jean-Michel Blanquer qui a reçu 350 000 euros de la part de la Région de Laurent Wauquiez ; 85 000 euros de la part de l’Île-de-France de Valérie Pécresse. La région Pays de la Loire a vu quant à elle sa subvention de 150 000 euros réduite très fortement à la demande du préfet, saisi par les conseillers régionaux insoumis et écologistes.


Le dispositif parcours-sup achève le séparatisme : devant sa complexité, ayant mis fin à l’automaticité de l’accès aux universités par le baccalauréat – lui-même dévalué par la réforme du lycée – des écoles privées surfent sur un marché gratifiant. Situation déplorable d’autant qu’elle est encouragée par d’anciens institutionnels : Monique Canto-Sperber, ancienne directrice de l’École Normale Supérieure vient d’ouvrir une « University » à 12 000 euros d’inscription, et J.M. Blanquer pilote l’ouverture d’une quinzaine d’écoles privées pour Véolia. Il ne fait aucun doute que la réforme des lycées professionnels se traduira elle aussi par une nouvelle dégradation de l’enseignement public pour les classes populaires au profit de l’apprentissage ou d’écoles professionnelles privées.


Alors que la droite avait eu raison en 1984 de la 90e proposition de François Mitterrand visant à construire un « grand service public unifié et laïque de l’éducation nationale », l’égalité scolaire reste à conquérir.