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DOSSIER : Sortir du libre-échange : indispensable et possible !



lundi 01 avril 2024

 Sortir du libre-échange : indispensable et possible ! 

Par Amélie CANONNE Le Journal de l'insoumission n°1784 (AVRIL 2024)


La mobilisation récente des agriculteurs a réveillé la critique des accords de libre-échange et de la concurrence déloyale. L’occasion de changer de modèle pour aller vers un protectionnisme solidaire ? Au lieu de cela, l’UE multiplie les accords, du Kenya à la Nouvelle-Zélande en passant par le Chili. Stop !

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La folie libre-échangiste de Bruxelles n’est pas nouvelle : elle a décimé l’industrie depuis les années 1980. L’adhésion de la Chine à l’OMC en 2006 a achevé le travail : des centaines d’entreprises ont délocalisé leurs unités de production détruisant directement près de 300 000 emplois industriels en France.
Au milieu des années 2000, la Commission et les États se sont dotés de leur propre stratégie, « Global Europe », pour approfondir la libéralisation des échanges internationaux. Cette stratégie s’est d’abord révélée un problème pour les pays du Sud : des millions de tonnes de poudre de lait et de viande congelée, bas de gamme, ont pu gagner les marchés subsahariens et y liquider une partie de l’agriculture familiale.
Aujourd’hui, la profondeur de la libéralisation des échanges de biens et de capitaux crée des crises à répétition mais elle est devenue telle que toute politique agricole, industrielle, énergétique, sanitaire, culturelle… se fracasse sur les règles de l’OMC et des accords bilatéraux signés depuis 50 ans, quand ce n’est pas sur les règles du marché intérieur de l’UE.

 Climaticide 

La décarbonation de l’industrie implique de raccourcir les chaînes de valeur, donc de pénaliser des produits lointains par rapport à leur équivalent local, par des droits de douane ou des barrières normatives (matériaux utilisés, traitements chimiques opérés, etc.). Mais l’exclusion des matériaux issus de l’industrie pétrolière accroît les coûts de revient et les PME françaises ne pourront pas rivaliser avec leurs concurrentes chinoises ou vietnamiennes sans subvention publiques. Or c’est impossible dans l’état actuel du droit, qui ne permet pas de taxer différemment deux T-shirts s’ils présentent des caractéristiques finales identiques, quand bien même l’un aurait été produit sans pétrole et avec des fibres textiles exclusivement locales.
Il faut également verdir les processus de production agricole. Mais cela suppose plus de main-d’œuvre
et de meilleurs prix pour les paysans. Or, sans droits de douane, les agricultures familiales sont condamnées. Par les fruits et légumes du sud de l’Europe, où le coût du travail est moindre, grâce notamment au travail des migrants illégaux. À l’Est par l’arboriculture de Pologne ou les fermes usines d’Ukraine. Outre-Atlantique, par les fermes gigantesques au Brésil et en Argentine qui espèrent l’accord UE-Mercosur. Les clauses « miroir » que le gouvernement vante n’y changeront rien : le différentiel de coût de production est trop important.
L’emploi local dépend aussi de la commande publique, de l’échelon local (restauration collective par ex) jusqu’au développement de technologies d’envergure (énergies renouvelables, équipements de transports,…). Mais le droit international et européen des marchés publics réprime la préférence locale (française ou européenne). Impossible de privilégier une pomme produite à 20 km contre celle importée, un panneau photovoltaïque assemblé en France plutôt qu’en Chine. Autant d’emplois détruits et de déménagement climaticide.

 Menace contre la démocratie 

La bifurcation sociale et écologique paraît enfin difficile sans une souveraineté politique et économique suffisante pour sélectionner les investissements étrangers souhaitables et limiter la prise de participation majoritaire dans des activités stratégiques pour le pays. Le TAFTA UE-USA, à ce jour non conclu, et le CETA ont « popularisé » les tribunaux d’arbitrage d’investissement auprès du grand public. Ils permettent à une entreprise s’estimant lésée par une décision de politique publique de réclamer des indemnités énormes et de faire trancher son contentieux hors de la justice ordinaire. Mais ça n’était que la face émergée de l’iceberg : les dispositions de fond qui protègent les investisseurs étrangers sont puissantes, de telle sorte par exemple qu’il est très difficile de préférer, y compris en recourant à des incitations (fiscalité préférentielle, aides à l’emploi…)
des capitaux français à des capitaux étrangers. La Suède qui avait refusé d’accorder au chinois Huawei l’autorisation de développer la technologie 5G sur son territoire est toujours en contentieux avec la compagnie. De même pour l’Italie qui avait voulu réglementer l’exploitation des énergies fossiles dans leurs eaux territoriales.

Protectionnisme

Les États se trouvent face au défi immense de remettre le commerce à sa place. Il est urgent, tout d’abord, de stopper les négociations commerciales en cours comme le propose la tête de liste LFI pour les élections européennes Manon Aubry, alors que l’UE négocie toujours des accords avec l’Inde, la Thaïlande, l’Australie, les Philippines, l’Indonésie ou encore la Chine, et n’a pas renoncé à l’accord avec le Mercosur.
Mais que faire des accords existants ? À court terme, deux pistes sont ouvertes. D’abord activer toutes les clauses de sauvegarde disponibles dans les traités multi et bilatéraux – clauses générales de l’accord du GATT ou spécifiques sur les volets sanitaires ou environnementaux – pour limiter les chocs. Ensuite, rétablir des barrières tarifaires ou normatives. L’organe de règlement des différends de l’OMC est si mal en point qu’aucun contentieux ne sera tranché avant des années : face aux crises sociales et écologiques, il n’est pas temps de craindre une décision adverse. Il est au contraire urgent de faire la démonstration de l’efficacité et du bénéfice mutuel de protections stratégiques, justifiées, solidaires (par exemple en dédiant une partie des recettes douanières à des coopérations). Plus structurellement les accords existants doivent être abrogés pour faire place à un nouveau régime d’échanges économiques.

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