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DOSSIER - Inflation : à qui profite le crime ?



jeudi 01 juin 2023

 

  Inflation : à qui profite le crime ? 


Luis Alquier  - Le journal de l'insoumission n° 1775  ( Juin 2023)

 

Les prix n’en finissent pas de grimper. Mais le coût de l’énergie ou des matières premières n’est pas la seule explication, loin de là. Les marges de nombreuses entreprises sont en cause.
Avec le Covid et l’invasion de l’Ukraine, l’inflation a fait son grand retour. La zone euro qui était plutôt à la merci de la déflation depuis 2008 a connu même un taux d’inflation supérieur à 10 % fin 2022. Jusqu’à la crise énergétique l’histoire était simple : le Covid a perturbé les chaînes de production globales. Les confinements et les arrêts de flux internationaux ont créé des pénuries ponctuelles qui renchérissaient les produits et pouvaient arrêter certains processus productifs. Cette histoire d’un choc localisé et temporaire n’a pas résisté à la crise énergétique, notamment en Europe. Le renchérissement des matières premières énergétiques se diffuse beaucoup plus largement à l’ensemble des productions et affecte encore plus directement les consommateurs.
La France n’a pas échappé à ce contexte général. Selon les dernières données de l’Insee, sur un an l’indice de prix à la consommation (IPC) a augmenté de 5,9 % au mois d’avril 2023. Un tel niveau d’inflation n’avait pas été observé depuis 1985. En 2022, le principal moteur de la hausse des prix était la composante énergétique de l’indice (+ 23 % en moyenne annuelle après + 11 % en 2021) et dans une moindre mesure les prix alimentaires (+ 7 %).
Mais ceci ne doit pas masquer des tensions sur les produits manufacturés ou les services qui augmentaient à un niveau supérieur à la cible de la Banque Centrale Européenne (+ 3 %). Début 2023, l’inflation reste à peu près au même niveau qu’en 2022 mais les produits contribuant à la surchauffe diffèrent. Les principaux contributeurs à la hausse sont les produits alimentaires (+ 15 % sur un an). Plus largement, l’inflation dite sous-jacente (correspondant à l’inflation hors énergie et hors produits alimentaires frais), qui dépend beaucoup plus des dynamiques économiques internes, s’établit à 6,3 %. On passe donc progressivement d’un choc importé à un choc domestique.
  Cachez ces superprofits que je ne saurais voir  
L’inflation est loin d’être un phénomène neutre socialement. Ces mouvements de prix font des perdants et des gagnants. Sauf pour Bruno Le Maire, les gagnants sont assez facilement identifiables. Depuis la fin de l’année 2020, les profits explosent dans les secteurs de l’énergie et des services de transport (notamment le fret maritime international). La comptabilité nationale mesure une hausse historique de l’excédent brut d’exploitation (EBE, les profits avant impôt sur les sociétés et amortissement du capital, NDLR) dans ces branches.
Avant le déclenchement de la crise sanitaire l’EBE de ces secteurs représentait 3,3 % de la valeur ajoutée nationale. Désormais, au 4e trimestre 2022 cette grandeur représente 5,9 % de la valeur ajoutée française. Les superprofits de ces branches encaissés sur la période 2021-2022 seraient proches de 85 milliards d’euros. À titre de comparaison, le coût net pour les finances publiques des mesures de compensation du choc inflationniste a été de 21 milliards d’euros pendant la période en question. Il aurait été facile de financer les mesures compensatoires par les superprofits des branches responsables du choc inflationniste. CQFD.
Mais le choc se poursuit en 2023… et les profits se portent à merveille dans l’industrie agroalimentaire. Fin 2022, le taux de marge de ces industriels s’établit à 44 %, en hausse de 15 points sur un an. Cette hausse des profits dans le secteur explique quasiment la totalité de la hausse des prix fixés par le secteur.
  Des salariés à la peine 
Si certains secteurs tirent leur épingle du jeu, le reste de l’économie française est en souffrance1. À commencer par les salariés. Au mois de décembre 2022, les salaires mensuels de base – hors heures supplémentaires et primes – du secteur marchand non agricole étaient en hausse de 3,9 % sur un an. Avec une inflation de 6 % ceci représente une perte de pouvoir d’achat non négligeable des salaires.
La situation est un peu meilleure lorsqu’on mesure l’évolution du salaire moyen par tête – incluant les primes notamment – qui augmente de 5 % sur le même champ. Quel que soit le calcul, les salariés perdent du pouvoir d’achat car les superprofits ne ruissellent pas. Plus largement le niveau de vie des ménages (mesure qui contrôle des évolutions démographiques) recule en France en 2022. Dans ce contexte, la consommation des ménages en volume recule et signe particulièrement grave les Français se privent de plus en plus de repas. La consommation alimentaire en volume recule de 9 % sur un an et retrouve son niveau de 2006 alors que la population a augmenté entre temps de 7 % ! Les associations de solidarité rencontrent des difficultés au moment où les besoins et les prix explosent.
La privation n’est pas une fatalité. Les règles d’indexation automatique du SMIC ont permis à certains salariés de préserver leur pouvoir d’achat. Des négociations de branche et l’indexation du reste des salaires sur l’inflation sont nécessaires pour les autres. Le bouclier tarifaire, en bloquant les prix de l’énergie, a permis à la France d’avoir une inflation inférieure au reste de la zone euro en 2022 mais les prix ont été augmentés de 15 % début 2023 alors que le blocage des prix de première nécessité est urgent. La cantine scolaire gratuite ne serait pas un luxe pour une population qui souffre. Les solutions existent, les casseroles qui suivent les ministres doivent être pleines à l’heure du dîner. Pour cela, il faudra bien attaquer les superprofits et non pas les choyer.

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1. Il faut noter que le taux de marge au niveau macroéconomique est à peine supérieur à son niveau de 2018 malgré les superprofits identifiés. Les superprofits des uns font le malheur du reste de l’économie, qui voit ses coûts de production exploser, comme les boulangers qui se sont fortement mobilisés récemment.