Résistance

Entretien avec Jean Paul Damaggio, un des plus anciens opposants au projet de LGV entre Toulouse et Bordeaux. Jean-Paul Damaggio est aussi auteur du livre « Carole Delga et l'état dégénéré du rail », aux éditions La Brochure. Jean Paul est un des animateurs de l'association « Alternative LGV Midi Pyrénées », car comme il aime à le rappeler il n'est pas contre le projet de LGV mais pour proposer des alternatives quand cela est possible. Et dans ce cas précisément l'alternative est possible face à un projet de LGV qu'il qualifie de « hallucinant et démentiel ». Sujet revenu dans la dernière campagne des régionales,

Peux-tu nous rappeler depuis quand existe ce projet de LGV et quelles en furent les étapes ?

Ce projet a fait surface en 2010, on en débattait au moment des élections régionales. L'association « Alternative LGV Midi Pyrénées » est née dans la foulée. Elle a rassemblé beaucoup de monde en Tarn et Garonne, assez peu en Haute-Garonne. D'ailleurs quand on a fait des réunions publiques en 2013, celle de Haute Garonne a peu attiré de monde et surtout pas « les autorités », les élu-es politiques ni même des représentant-es de la préfecture. Un refus manifeste de débattre, un mépris même vis à vis des opposant-es à ce projet.
À la suite des réunions publiques, une enquête publique est menée et les commissaires enquêteurs rendront un avis négatif sur le projet ! Mais les lobbies sont à l'œuvre, Eiffage, Vinci et Bouygues.
En 2014 la DUP ( Déclaration d'Utilité Publique) rendra un avis favorable.
On a continué à se battre, y compris avec des recours juridiques. La même année on obtient un premier succès sur un projet de LGV, Limoges-Poitiers, au Conseil d'Etat.
Il y a un coup d'arrêt avec les élections présidentielles car Macron et Pépy (l'ancien président directeur-général de SNCF-Mobilités), ne sont pas favorables à la LGV, tout simplement à cause du coût.
Aujourd'hui avec Castex et le forcing de la présidente de la région Occitanie, Carole Delga ainsi que celui de Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse, tout est relancé.

A quelle échéance peut-on craindre le début de la construction de la LGV ?

2024. Tout d'abord l'Établissement Public Local qui doit porter le projet, devrait être acté avant le 23 avril 2022. Ensuite démarrera la phase des appels d'offre pour la construction. On peut estimer qu'à partir de 2024 donc la construction pourrait démarrer. Et à l'heure actuelle il n'y a plus de recours possible.

Pourtant ce projet est désastreux d'un point de vue écologique et de la gabegie d'argent public qu'il exige ?

Tout à fait. Déjà sur le coût : l'État dit qu'il va mettre 4,1 milliards d'euros. C'est ce qu'a annoncé Jean Castex. Carole Delga dit qu'elle mettra 1 milliard ! Sans vrai débat bien sûr !
Mais le coût financier total c'est minimum 10 milliards d'euros, 12 milliards si on accède à la demande de Rousset (président de la région Nouvelle Aquitaine) qui veut sa LGV de Bordeaux à Dax.
5000 hectares de terres, notamment de terres agricoles, seront détruits dans la vallée de la Garonne. La première révolte des habitant-es a fait que le tracé a bougé mais là où la LGV passera, il y a quand même des gens ! Des personnes, des entreprises seront expulsées. Par exemple à Bressols, pas loin de Montauban, là où doit être construite la nouvelle gare, car la LGV passera par deux gares à l'extérieur des villes de Montauban et d'Agen, à Bressols donc vont être expulsées 33 maisons et 15 entreprises. C'est que la gare couvrira 10 hectares plus 100 hectares autour ! Tout cela grignote des terres agricoles et a un coût qui au final sera très élevé.
A tout cela il faut rajouter le coût énergétique. Faire rouler un train très vite, plus vite, il faut beaucoup d'énergie. Sur la LGV Madrid Séville, il a été décidé de faire rouler le train moins vite car cela coûtait extrêmement cher ! Aujourd'hui face aux enjeux climatiques, ne pas se poser la question du coût énergétique est absurde et irresponsable. Mais l'obsession de la SNCF, c'est aller plus vite. Alors que le temps n'est pas la question ! La question c'est que le train ne s'arrête quasi jamais. Mais à qui sert-il donc ? En fait le train n'est pas le choix de la SNCF, le choix de la SNCF, c'est la vitesse !

Pourtant des alternatives existent, plus écologiques, plus vertueuses, une réponse de service public, et moins onéreuse.

Oui moins coûteuse, c'est sûr, puisque la LGV c'est déjà 180 kms de plus par rapport à la voie centrale, celle pour qui on propose d'améliorer l'existant : le POLT ( Paris Orléans Limoges Toulouse). C'est la colonne vertébrale. Suite au mouvement des Gilets Jaunes, la rénovation de la ligne entre Paris et Limoges a été actée avec des travaux qui ont débuté. Mais du coup le trafic est souvent interrompu, c'est une conséquence des travaux. Mais ça n'a pas toujours été le cas. Tout est fait pour surtout ne pas améliorer l'existant et ensuite la SNCF compare un service dégradé sur l'existant, dégradation qu'elle a laissé s'installer, avec ce que devrait apporter la LGV en terme de temps. Les comparaisons sont donc faussées. Or les calculs présentés en faveur de la LGV sont tronqués, il faut calculer l'ensemble de la durée du déplacement avec arrêts et décélérations nécessaires lors de l'arrêt aux gares extérieures de Montauban et d'Agen. Et donc faire la moyenne des trajets : 3h40. Contre un Toulouse Paris actuel de 4h10.
Mais l'autre atout qu'il faut mettre en avant comme alternative, c'est le train de nuit. On a la chance d'en avoir un. Mais comme d'habitude, la SNCF n'a pas souhaité entretenir le train de nuit, les rames sont très vieilles et les trains ne sont pas adaptés aux besoins des usagers. Le développement du train n'est pas la priorité de la SNCF ! Le train ne concerne aujourd'hui que 20 % de la population, 80 % en région parisienne. Mais sur les 20 % seulement 8 % utilisent la LGV. La SNCF fonctionne en fait avec le train du quotidien, et non pas avec la LGV.
Enfin le coût de l'amélioration de l'existant c'est 1 milliard sur le POLT, c'est à dire pour 680 kms de voies ferrées. La LGV c'est 10 milliards d'euros pour 250 kms ! Coût qui va être supporté par une nouvelle taxe, la taxe d'investissement adossée à la taxe foncière, et dédiée à la LGV, votée au Parlement. Taxe qui va frapper, de fait, les victimes du chantier et des nuisances de la LGV ! Pour le Tarn et Garonne, la contribution sera de 100 millions d'euros, l'équivalent de 10 collèges.

Propos recueillis par Myriam Martin

Le lendemain de cet entretien, le 18 novembre, l'association « Trans'Cub » a envoyé à tous les élus de Bordeaux-Métropole pour alerter sur le coût considérable du projet LGV, alors que l'augmentation des fréquentations serait très limitée, que ni le réseau ter, ni le fret ne peuvent justifier ce projet et son coût pour les habitant-e-s et contribuables de Bordeaux Métropole.
La Coordination Vigilance LGV a relayé cette lettre et les infos très intéressantes qu'elle contient auprès des élu.es de Conseil Départemental 33.

 

 

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