Résistance

Dans l'Est-Varois, sur la commune de Callian, située à une demi-heure de Cannes, Fréjus et ses plages, Saint-Raphaël et le massif de l'Estérel, un projet porté par le groupe SUEZ menace directement l'environnement et surtout les eaux du lac de Saint Cassien. Une usine de tri, de traitement et de stockage de déchets de BTP doit être implantée sur le site de Fontsante. 400 000 tonnes y seraient déposées par an et 200 000 resteraient sur place. Aujourd'hui, tou·te·s les élu·es de la zone impactée, de nombreuses associations et des citoyen·nes sont mobilisé·es afin que ce projet n'aboutisse pas. Pourquoi ce lieu a-t-il été choisi ? Quels sont les risques, quels sont les enjeux, quelles alternatives proposer ? Notre article.

Un peu d'historique

En 1987, la mine de feldspath-fluor, située sur le territoire de Tanneron mais dont les 1 250 hectares de terrains appartiennent à la commune de Callian, cesse son activité. Les galeries et puits sont alors obstrués pour des raisons de sécurité. De 1991 à 1997, des travaux de sécurisation et réhabilitation sont effectués. Les installations de traitement et la tour d'extraction sont démontées. Dans les années 90, l'implantation d'une unité de traitement et de stockage des ordures ménagères et déchets industriels est envisagée. Ce projet, dénommé « poubelle de l'Estérel » est à l'origine de vives polémiques et sera abandonné. En 2017, la commune de Callian lance un appel à projets pour créer un « pôle environnemental » sur une partie du foncier qu'elle possède. Cinq offres présentées par SUEZ, VEOLIA, EUROVIA, SAUR et QUADRAN sont présélectionnées. Celle de la société SUEZ, en partenariat avec ENGIE Green et PASINI, est retenue puis validée à l'unanimité des élus du conseil municipal de Callian le 20 juillet. Ce projet sera baptisé « Valor Pôle de Fontsante ». Une grande concertation s'ouvre afin d'obtenir l'approbation des populations et des communes de l'Est-Var, du département et de la région. En 2018, plusieurs réunions publiques mettent en lumière les inquiétudes et la désapprobation d'élu·es, d'associations et de citoyen·nes. En effet, ce gigantesque programme comprend cinq plateformes de traitement des déchets provenant essentiellement des Alpes Maritimes.

Quels risques ?

Les plateformes de traitement sont potentiellement dangereuses car elles seront dédiées au tri et à la dépollution de 400 000 tonnes de déchets entrants par an, soit 1 500 t/jour. Il y aura un dépôt permanent de déchets parmi lesquels 92 000 t/an de mâchefers, issus des incinérateurs de Nice et Antibes. 50 000 tonnes non triées seront stockées en permanence pour un traitement par maturation de six mois.

Le projet, situé juste au-dessus du lac de Saint-Cassien risque de provoquer une pollution causée par l'écoulement direct des eaux pluviales ou par infiltration. Celle-ci touchera alors directement l'alimentation en eau potable de l'Est-Varois (4 millions de m3/an) et l'ouest des Alpes Maritimes (1 million de m3/an), soit 200 000 habitants. Cela altèrera nécessairement la biodiversité ainsi que la richesse biologique de ce milieu. Mais, comme si cela n'était déjà pas suffisant, les eaux de ruissellement du bassin versant (250 ha) seront détournées par un collinaire afin d'éviter tout risque de pollution du lac. Cette installation aggravera considérablement les risques d'inondation pour la commune de Mandelieu-la-Napoule.

À cela, s'ajouteront les risques d'incendie dans un environnement sensible classé en zone rouge PPRIF.

Ce projet fait également courir un risque économique à ce territoire. Le lac de Saint Cassien est une réserve d'eau nécessaire, a fortiori dans le futur contexte climatique. Il apporte actuellement une grande sécurité d'approvisionnement. De plus, la seule présence physique d'une telle activité aura un impact négatif sur l'attrait touristique du Pays de Fayence et du massif de l'Estérel classé Grand Site de France. En effet, 300 camions par jour (un camion toutes les minutes et demie) transiteront pour amener les déchets. Ils entraveront lourdement la circulation et entraîneront une pollution sonore et aérienne certaine. Enfin, Estérel Côte d'Azur Agglomération a pour objectif un enfouissement des déchets ultimes (déchets qui ne sont plus valorisables) inférieur à 20 %. Or, le projet VALORPÔLE ne valorisera seulement que 60 % des déchets (donc production de 40 % de déchets ultimes), ce qui est loin de l'objectif visé. Mais cela permettra un coût de traitement beaucoup plus attractif pour les entreprises concernées. À terme, ce dispositif condamne forcément la filière et les exploitant·es avec lesquels l'ECAA a passé des contrats et qui ont investi massivement pour y répondre.

Quels enjeux ?

Le 24 septembre, les maires de la communauté de communes du Pays de Fayence, celui des Adrets et le collectif des associations anti Valorpôle Fontsante avaient convié Vincent Borel, Directeur régional de Suez, délégué du développement, Florian Costes, Directeur de la communication et Caroline Verdier, responsable du projet à la Maison pour tous de Montauroux. Si les représentant·es du grand groupe souhaitaient rencontrer individuellement les élus, ceux-ci avaient décliné, préférant une réunion publique afin que tout ce qui était dit soit entendu par tou·tes.  Les défenseur·ses du projet n'ont pas mis longtemps à comprendre qu'ils.elle ne remportaient pas l'adhésion des personnes présentes.
Les élus, premiers à prendre la parole, ont exposé leur opposition totale ainsi que les risques encourus par les territoires concernés. En réponse, le directeur délégué du Sud-Est de Suez a indiqué que depuis plus de deux mois, il avait eu plus d'une trentaine de rendez-vous avec des élu·es, des patron·nes d'entreprises, des associations… après avoir retiré le dossier de demande d'autorisation environnementale. Il a souligné que la rencontre initiée par les élus ne laissait que « peu de place à un dialogue fructueux » : « La discussion n'était malheureusement pas possible dans le format proposé. Je le déplore, mais Suez reste à la disposition des élus qui souhaitent travailler dans le sens de l'intérêt général, car le projet Valor Pôle Fontsante, même s'il doit être revu pour être mieux accepté, apporte une solution concrète pour les déchets du bassin azuréen, dans le respect de l'environnement. » Il a plusieurs fois pointé du doigt les nombreuses décharges sauvages que l'on voit aux abords des routes varoises. Pour lui, la déchetterie implantée sera une solution légale à ce problème. Qu'il nous soit permis de douter que les entreprises inciviques se débarrassant de leur chargement n'importe où seront séduites par l'offre de Suez et courront, séance tenante, y déposer leur offrande ! Et à écouter Caroline Verdier, « les premières maisons sont des maisons cossues, regardant vers la mer, qui n'auront pas de nuisances visuelles. » Elle précise également que leur priorité est la protection du lac et des ressources en eau. Pour un peu, elle ferait passer Suez pour une association philanthropique ! Ce serait oublier les promesses faites par le groupe à ses actionnaires en septembre 2020 : une rémunération de 2 milliards d'euros d'ici à fin 2022, comprenant 1 milliard d'euros de dividendes ordinaires et une distribution exceptionnelle d'au moins 1 milliard d'euros en 2021 sous forme de rachats d'actions ou de dividende exceptionnel (Source : investir.lesechos.fr).

Enfin, les représentant·es des associations et les citoyen·nes présent·es étaient invité·es à s'exprimer. Ainsi, Bernard Masbou, porte-parole du collectif interpelait Vincent Borel : « Vous avez retiré votre projet avant les élections régionales, vous le remettrez après les Présidentielles ! ». Michel Raynaud, élu à la communauté de communes Pays de Fayence rappelait que Suez a des intérêts dans les incinérateurs et donc des difficultés à traiter les mâchefers. Fontsante règlerait ce problème et rapporterait de l'argent car cette activité est lucrative. D'autres questions restaient sans réponse : « L'opinion publique est contre ce projet. Quand allez-vous le retirer ? » (Julien Augier, 1er adjoint à Tanneron, exploitant agricole), « Qu'allez-vous faire maintenant, concrètement, à la suite de cette réunion ? » (Loïs Faure, conseiller municipal d'opposition à Seillans, agriculteur et éleveur), « Combien ça va vous rapporter ? » (Michel Lovera, syndicat agricole de Tanneron), « Pourquoi tout ce qui a été voté en conseil municipal à Callian n'est pas public ? ». Le mot de la fin était laissé à M. Huet, maire de Montauroux qui déclarait « On va gérer nous-mêmes nos déchets en régie, sans faire aucun profit. C'est un grand défi. ». Précisons que celui-ci s'est empressé de dire lors de la réunion de Vivre et Agir aux Estérets du Lac qu'il ne s'agissait que d'un discours politique. « On n'a ni les compétences ni les finances. Le site n'a d'intérêt économique que si on enterre les mâchefers car c'est beaucoup moins onéreux que de les traiter. » Là où il n'y a pas de volonté politique…

Quelles alternatives ?

Mais la solution n'est-elle pas réellement celle-ci ? Ne plus confier le traitement des déchets à de grands groupes privés dont le seul but est de rémunérer au mieux les actionnaires, mais le confier à des services publics à même de préserver les intérêts de tou·tes et celui de l'environnement ?

Nous n'avons pas trouvé d'exemples de commune ayant recours à une régie pour ce type de déchets mais cela se fait au Québec. Alors, pourquoi pas en France ?

Il est possible également, et c'est un des objectifs inscrit dans L'Avenir En Commun, de développer les filières de réutilisation des matériaux et de substitution aux matériaux carbonés. Le réemploi est également un autre outil envisageable. Après une déconstruction minutieuse, il consiste à utiliser à nouveau un matériau récupéré avant qu'il ne soit devenu un déchet. En Belgique, la plateforme Opalis.be permet aux particuliers, entrepreneurs et architectes demandeurs de matériaux de réemploi de se renseigner sur ceux-ci et d'en localiser l'offre.

Et si le recyclage se fait aujourd'hui à hauteur de 80 %, attention à ne pas le surestimer ! Ces chiffres masquent le faible développement de la valorisation de la matière car ils incluent l'utilisation des déchets du BTP dans la réalisation de remblais, d'assises de chaussées ou de réaménagement de carrières. Ces utilisations n'encouragent pas la valorisation et peuvent venir masquer une réalité bien différente : des déchets « inertes » de tout type (chargés de plomb, cadmium, zinc…), déversés, sans être soumis aux mêmes contrôles que ceux appliqués aux installations de stockage.

La meilleure des solutions paraît donc être de diminuer la quantité de déchets produits en recourant à des matériaux biosourcés (bois, terre, paille) dans le secteur de la construction (Les cahiers de L'Avenir En Commun, n°2). Renouvelables, recyclables, émettant peu de polluants et souvent produits localement, leur bilan carbone est favorable. Car, il ne faut pas l'oublier : le meilleur déchet est celui qu'on ne produit pas !

Par Sabine Cristofani-Viglione

Pour signer la pétition NON AU PROJET FONTSANTE – POUR LE LAC DE SAINT-CASSIEN : https://www.mesopinions.com/petition/nature-environnement/projet-fontsante-lac-saint-cassien/78329

© Credit photo : Julien Poussin.

 

 

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