Résistance

« Il n’est point d’hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement. » Robert Badinter

Il y a 40 ans, l'abolition de la peine de mort est consacrée en France à l'article premier de la loi du 9 Octobre 1981 : « la peine de mort est abolie ». La France devient alors le 35ème pays à renoncer à la peine capitale pour tous les délits, de droit commun ou relevant de la justice militaire. Ils sont aujourd’hui 108 pays à avoir fait de même, et 144 pays à être abolitionnistes en droit ou en pratique.

La France sera également le 17ème pays de l'Union européenne à conférer à la prohibition de la peine de mort valeur constitutionnelle depuis la loi constitutionnelle du 24 février 2007 et son article 66-1 ainsi rédigé : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort. »

40 ans après la loi du 9 octobre 1981, si la peine de mort s'applique toujours dans certains pays du monde et si certains aiment à jouer avec l'émotion des victimes et ainsi relancer ce débat, le sens de l'histoire est un monde où l'abolition sera une réalité incontournable.

1981, l'aboutissement d'un long combat pour la dignité humaine

Le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu et l'une de ses 110 propositions porte sur l'abolition de la peine de mort. Une fois élu, le premier président de gauche de la Vème République confie le Ministère de la Justice à Robert Badinter, l'un des plus farouches avocats abolitionnistes. Après avoir combattu la peine de mort dans les prétoires, c'est donc en tant que Garde des sceaux que Robert Badinter continue son long combat pour ne plus que « des hommes et des femmes ne soient coupés en deux ». Son discours de présentation du projet de loi, le 17 septembre 1981, à l'Assemblée nationale est entré dans l'histoire. Cela faisait plus de 75 ans, depuis 1908 et le débat entre Jean Jaurès et Maurice Barrès, que les député.es ne s'étaient saisi.es d'un tel projet de loi.

Le 18 septembre 1981, après deux jours de débats, l'Assemblée nationale adopte par 363 voix contre 117 le projet de loi. Douze jours plus tard, le texte est voté dans les mêmes termes par le Sénat, par 160 voix contre 126. La loi portant abolition de la peine de mort est adoptée définitivement.

Un combat hérité des lumières et de la grande Révolution

En 1764, dans son traité Des délits et des peines, le juriste et philosophe italien Cesare Beccaria juge barbare la pratique de la torture et de la peine de mort. La même thèse sera ensuite défendue par un certain Voltaire, deux ans plus tard dans Commentaire sur le livre des délits et des peines par un avocat de province.

Le premier débat parlementaire portant sur l'abolition se déroule en France le 30 mai 1791. À l'occasion d'une réforme pénale, le rapporteur du projet, Le Pelletier de Saint-Fargeau, plaide pour l'abolition de la peine de mort, sentence qu'il juge inefficace et inutile. Il sera alors soutenu par Robespierre. Cependant s'ils obtiennent officiellement la fin de la torture, la peine de mort est maintenue. La loi du 6 octobre 1971 généralisera alors la guillotine. La loi d'Amnistie du 26 octobre 1795 lors de la convention nationale l'abolira une première fois, mais elle sera rétablie quelques années plus tard en 1810 par Napoléon.

En 1906, le président de la République Armand Fallières - président républicain de gauche de 1906 à 1913 et abolitionniste - graciera systématiquement tous les condamnés à mort. En juillet 1906, la Commission du budget de la Chambre des députés vote la suppression des crédits au bourreau, rendant de fait impossible toute exécution. Cette décision sera remise en cause dans la foulée par un vote de l'Assemblée. En 1908, Aristide Briand alors Ministre de la Justice fera une nouvelle proposition de loi, soutenue par Jean Jaurès, une nouvelle fois rejetée par l'Assemblée.

Entre 1950 et 1977, 71 condamnés ont été exécutés en France. Chaque exécution, chaque réquisition, est l'occasion de poser le débat. En 1969, si la majorité des français.es se prononcent contre la peine de mort, la tendance s'inverse alors à la moindre hausse de criminalité. Pourtant les années 70 voit le débat s'amplifier, dans les salles d'audience et dans la société tout entière.

Le 10 septembre 1977, Hamida Djandoubi est exécuté, il sera le dernier homme à sentir la lame de la guillotine sur sa nuque, il sera le dernier homme coupé en deux en France. Nous sommes alors le dernier pays d'Europe occidentale a procédé à une exécution. Entre 1977 et 1981, 15 sont condamnées à mort. Ils verront leur peine soit cassée par la cour de cassation, soit convertie, l'un d'eux fut gracié par François Mitterrand.

l'abolition aussi consacrée dans nos engagements internationaux

Si certains polémistes et semeurs de haine tentent ci et là de relancer le débat dans notre pays et ainsi refaire l'histoire, c'est sans compter nos nombreux engagements internationaux. En effet, nombre de textes internationaux consacrent l'abolition, autant de signes d'un mouvement mondial inexorable vers l'abolition totale.

Le 10 novembre 1948, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies, et dont la France est membre, reconnaît le droit à la vie comme un droit fondamental. Elle indique en son article 3 que “Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne”. Depuis 1959, la France est également partie de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales conclue dans le cadre de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, ainsi qu'à ses deux protocoles depuis 1986 et 2007 relatifs à l'abolition de la peine de mort et l'interdisant en toutes circonstances, même en temps de guerre.

Membre de l'Union Européenne et du Conseil de l'Europe, la France appartient à ces pays et organisations régionales qui ont tous abolis la peine de mort dans leur législation (sauf la Russie  qui est abolitionniste de fait depuis 1996). Cette communauté d'États est aussi une communauté de valeurs.
Depuis une vingtaine d'années, les accords internationaux signés par la France ont donné de la force et du poids à notre engagement : l'abolition est irréversible sauf à mettre la France au ban des États démocratiques.

La peine de mort, une peine inhumaine, dégradante et inefficace

Ceux qui ont perdu des êtres chers sont en droit de voir les responsables leur rendre des comptes mais aussi à toute la société. En s'opposant à la peine capitale, il ne s'agit pas de minimiser le crime ou de l'excuser, il s'agit de permettre que la justice passe sans perdre nous même notre humanité.
« La réponse consiste à réduire la violence, et non à donner encore la mort. » Témoignage éloquent et pertinent de Marie Deans, dont la belle-mère a été assassinée en 1972.
Au-delà de l'argument moral et du caractère cruel et dramatique de la peine capitale, voici quelques autres arguments abolitionnistes.

1. La peine de mort n'est pas dissuasive
Il n'existe aucune étude qui démontre le caractère dissuasif de la peine de mort. Certains chiffres démontrent même le contraire : au Canada, le taux d'homicide a baissé de 44% depuis l'abolition en 1976. La vive émotion soulevée par des attentats terroristes peut parfois relancer le débat. Certains dirigeants politiques y voient un moyen pour faire croire à leurs électeurs la preuve de leur action pour les protéger. Il est illusoire de penser que la menace de peine de mort puisse arrêter celles et ceux qui, comme les kamikazes, sont prêts à mourir pour leurs convictions. Les condamner à mort en fait même des martyrs, dont la mémoire contribuera à rallier davantage de partisans.

2. La vengeance n'est pas la justice
Les familles ayant perdu des êtres chers le disent, la peine de mort ne permet pas de soulager leur souffrance. Là où la justice consiste à organiser la réparation et permettre aux familles de comprendre ce qui a pu se passer et connaître la vérité, la peine de mort au contraire ne fait en réalité qu'étendre la souffrance de la famille de la victime à celle du condamné.
Elle peut aussi, une fois appliquée, être un obstacle à la vérité. Certains condamnés peuvent faire des révélations plusieurs années après les jugements, permettant aux familles de connaître la vérité ou de faire avancer les connaissance de la société par exemple dans la lutte contre le terrorisme.

3. La peine de mort est irréversible et peut concerner un innocent
Affaire Outreau, affaire Marc Machin, affaire Patrick Dils... nul pays n'échappe aux erreurs judiciaires. Aux États-Unis, certains condamnés ont été innocentés par leur ADN, par exemple, après 30 ans dans le couloir de la mort. Ils sont 167 condamnés à avoir été innocentés depuis 1973 selon le Death Panalty Information Center. Tant qu'un prisonnier reste en vie, il peut espérer une réinsertion ou être disculpé sur la base de faits ou techniques nouvelles.

4. La peine de mort porte une dimension de discrimination raciale et sociale
Il serait illusoire de nier la dimension sociale des situations où les personnes sont condamnées à la peine capitale. Les États-Unis en sont une édifiante illustration. Il y a un déséquilibre des forces entre un procureur élu et donc enclin à plaire à ses électeurs, et une personne poursuivie sans moyens et à qui on aurait attribué un avocat commis d'office payé au lance pierre. Injustice de classe mais aussi d'origine se confondent souvent. 98 % des procureurs qui pratiquent la peine de mort sont blancs. Dans certains États fédérés, sur 46 condamnations, 44 sont des africains-américains ou des latinos-américains. La population noire américaine représente 12,7 % de la population, or ils ont 3,9 fois plus de risques d'être condamnés à mort.

5. La peine de mort ne coûte pas moins cher
Aux États-Unis, les tenants de l'abolition semblent gagner du terrain et s'appuient notamment sur le coût astronomique des procédures de condamnation à mort. Nombre de condamnés attendent des années dans les couloirs de la mort que l'ensemble des procédures et recours soient épuisés. Le coût pour un condamné dans certains États a été évalué à 4 millions de Dollars. Sous l'administration Trump, pour les 10 condamnées fin 2020 et 3 en juillet 2020, le coût pour les 5 premiers est de 4,7 millions de dollars.

Et dans le monde ?

Fin 2020, 28567 personnes dans le monde « se trouvaient sous le coup d'une condamnation à mort » selon Amnesty International.  Au total ce sont 18 pays qui ont eu recours à la peine de mort en 2020, au moins 483 personnes ont été exécutées toujours selon Amnesty International. Ce chiffre est en recul de 26 % par rapport à 2019 et de 70 % par rapport à 2015, année particulièrement désastreuse en terme d'exécutions. Ces chiffres sont néanmoins à manier avec précaution du fait du secret d'État qui entoure les chiffres réels des exécutions en Chine et du manque de transparence de certains États ou minimisant les statistiques. Si l'on exclut la Chine, 88 % de ces exécutions sont de la responsabilité de 4 États : Égypte, Iran, Irak et Arabie Saoudite. Les méthodes principales sont la décapitation, l'électrocution, la pendaison, l'injection létale et l'exécution par balle.
Malgré des chiffres de condamnations et d'exécutions toujours trop nombreux, partout dans le monde, l'opposition à la peine de mort poursuit sa progression.
Le 16 décembre 2020, lors de l'Assemblée générale des Nations unies, 123 États s'engageaient dans le cadre d'un moratoire universel sur la peine de mort. Si celle-ci est encore appliquée dans 55 États et territoires dans le monde, cette résolution marque un nouveau pas important vers un monde sans peine de mort.

Les États-Unis, seul pays du continent américain à exécuter des condamnés
2020 fut une année particulière qui a vu les exécutions fédérales relancées par l'administration Trump. Le combat abolitionniste est considérable de l'autre côté de l'Atlantique avec notamment la présence d'une peine de mort fédérale et de peines de morts dans la moitié des 50 États fédérés. Le combat doit donc se jouer à ces deux échelles de décision.
Il est à noter que Joe Biden est le premier candidat qui s'engage à abolir la peine de mort. Il faut dire que dans l'opinion publique longtemps majoritairement pour la peine capitale, les choses évoluent. On est passé d'un pourcentage des « pour » de 80 % dans les années 90 à presque 50/50 aujourd'hui. Plusieurs éléments sont responsables de cette évolution : la prise de conscience du caractère inacceptable sur le plan moral, le caractère non dissuasif, les épisodes de condamnés innocentés 30 ans après et les cas de morts dramatiques où les gens souffraient.
Cette évolution de l'opinion publique fait qu'il y a moins d'exécution. Des moratoires sont parfois décrétés par les gouverneurs dans certains États appliquant la peine capitale. D'autres ont proposé de la remplacer par une peine de prison à perpétuité sans aucune possibilité de libération.

Secret d'État en Chine
La peine de mort est ancrée dans le droit chinois depuis les prémisses de la période impériale. Après l'espoir d'un débat public dans les années 90, on constate un net recul à mettre en corrélation avec le durcissement des mesures de contrôle et de surveillance de la population. Ce recul est également le signe d'un rejet total d'une quelconque ingérence et lobbying des mouvements abolitionnistes en Chine.
S'il existe bien quelques estimations, il règne une opacité totale sur les chiffres, les noms ou les procédures autour des exécutions en Chine. Autour de cette opacité, le culte du secret sur les affaires chinoises en général et le souci de l'image de la Chine à l'international. Pourtant une chose est sûre, ce pays détient le triste record du nombre d'exécutions à travers le monde. Avec des estimations autour de 1000 exécutions en 2020, les chiffres, s'ils correspondent à la réalité, font néanmoins apparaître une évolution à la baisse.

l'Afrique, le nouveau continent abolitionniste
Ces dernières années, nombreux sont les États à avoir aboli la peine de mort de manière effective ou par moratoire. Depuis juillet dernier, avec le Sierra Leone, le Malawi et le Tchad qui ont rejoint la liste, on dénombre 23 États abolitionnistes et une vingtaine le sont de fait puisqu'ils n'ont plus exécuté de condamnés à mort depuis plus de 10 ans. Si les moratoires doivent être considérés comme des avancés,  ils posent néanmoins la question de la pérennité de la situation, surtout lorsque des juges continuent de prononcer des peines capitales.
6 pays procèdent toujours à des exécutions : l'Égypte, le le Botswana, le Soudan, le Sud Soudan, la Somalie et le Nigeria.
Pour autant, là encore, l'espoir est de mise. l'Afrique s'est engagée dans un mouvement abolitionniste depuis plus de 10 ans avec chaque année un nouvel État qui le rejoint et des débats qui avancent dans nombre d'autres États.

Séverine Véziès et Anthony Brondel

carte : Anthony Brondel

 

 

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