
Rencontres
Le député du Rhône a accepté de répondre à nos questions sur la situation en Italie après les élections générales anticipées du 25 septembre dernier et l'accession au pouvoir de l'extrême droite.
Cet entretien est paru dans le Journal de l'Insoumission n°24 d'Octobre 2022.
Photo d'illustration : Gabriel Amard et Nicoletta Dosio, figure historique de la solidarité avec les réfugiés et de l'opposition aux tunnels de Turin à Lyon dans la vallée italienne de Suse.
1- Le 25 septembre avaient lieu des élections générales anticipées en Italie. Comment analysez-vous l'accession au pouvoir de l'extrême droite ?
Nous sommes 100 ans après la marche sur Rome des fascistes et la prise de pouvoir par Mussolini. Il faut nommer les choses ! Le parti de Giorgia Meloni, Frères d'Italie, vient de gagner les élections. Il est issu du mouvement fasciste et reprend toujours ses symboles. Il ne faut pas banaliser cet événement.
Frères d'Italie est depuis les années 1990 allié à la droite de Silvio Berlusconi (Forza Italia) et à la Ligue du Nord, devenue La Ligue de Matteo Salvini. Avant, Berlusconi dominait la coalition électorale. Maintenant, c'est l'extrême droite qui domine le bloc. Pourtant les médias en Italie continuent de parler de coalition de « centre droit », alors qu'il s'agit d'une extrême droite, ultra-conservatrice, qui remet en cause les droits des femmes, les droits des étrangers et les principes démocratiques. C'est le même courant qui partout en Europe s'étend de la Suède, à la Hongrie, en passant par la Pologne.
Cette victoire de l'extrême droite s'explique par trois causes.
Tout d'abord, l'Union européenne et les pays européens ont laissé les Italiens gérer la crise des réfugiés en refusant de les aider : la France a même rétabli la frontière avec l'Italie. De plus, la Commission européenne exige de l'Italie qu'elle adopte des réformes libérales (marché du travail, retraites, austérité…) que les gens ne veulent pas. Cela a nourri de la rancœur. Or Fratelli d'Italia a refusé depuis 2018 de soutenir les différents gouvernements de coalition entre le Parti démocrate (social-démocrate), le Mouvement 5 étoiles (antisystème), la Ligue (extrême droite) et les petits partis du centre et de la gauche. Fratelli d'Italia a notamment refusé de participer au gouvernement de Mario Draghi (qui a démissionné en juillet 2022), ancien président de la Banque centrale européenne. Mario Draghi symbolise à lui tout seul l'Union européenne. Fratelli d'Italia est donc apparu comme le seul recours face à la crise économique, sociale et politique.
Enfin, depuis la dissolution en 1991 du Parti communiste italien et sa fusion avec les restes de la Démocratie chrétienne (autrefois les 2 principaux partis d'Italie) pour construire le Parti démocrate, il n'y a plus de gauche de rupture forte et structurée en Italie. Les travailleurs, les ouvriers, les chômeurs, les retraités pauvres n'ont plus de camp politique qui les représente.
2- La droite traditionnelle, la droite libérale et l'extrême droite sont ensemble. Comment expliquez-vous cela ? Cette convergence des droites n'est-elle pas aussi actuellement en cours en France ?
Comme je vous le disais ce rapprochement est une tradition depuis 1994. Par exemple, le gouvernement de Mario Draghi était soutenu par la Ligue. Des responsables politiques d'extrême droite ont souvent été ministres. Giorgia Meloni fut ministre de la Jeunesse de 2008 à 2011. Matteo Salvini fut ministre de l'Intérieur en 2018-2019.
Pourtant, en Italie, les partis antisystème - que ce soit le Mouvement 5 étoiles, Fratelli d'Italia ou la Ligue finissent toujours par être d'accord avec les réformes néolibérales que demande Bruxelles. Giorgia Meloni va encore plus loin que les autres : elle était déjà conseillée par Mario Draghi deux jours après les élections ! Elle a par ailleurs nommé comme ministre de l'Économie et des finances Giancarlo Giorgetti, ancien ministre du développement économique du gouvernement Draghi et compatible avec les opinions de la Commission européenne.
En France, l'alliance de la droite et de l'extrême droite se dessine déjà. La droite a préféré choisir l'extrême droite à la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES) lors des seconds tours des élections législatives de 2022 et au sein même de l'Assemblée nationale La République en Marche a fait élire deux vice-présidents du Rassemblement National.
3- Comment analysez-vous le résultat de la gauche italienne et des partenaires de la France Insoumise, l'Unione Popolare de Luigi De Magistris ?
C'est une alternative qui va permettre au peuple italien de se doter d'un outil politique pour se défendre. L'Unione Popolare a ouvert une brèche certaine faisant la démonstration de la capacité qu'a cette nouvelle force à s'étendre. Dans un espace resserré, en moins de deux mois, cette force politique a permis la mise sur pied d'un espace politique capable de collecter de nombreuses signatures, de voir émerger des candidats venant de toute l'Italie, et de construire un programme politique répondant à l'exigence d'une rupture nette avec le capitalisme le plus exacerbé et destructeur de la biodiversité et des écosystèmes. Plus de 400 000 personnes ont voté pour l'Unione Popolare.
Ce vote représente un idéal de rupture dont se sont emparés des milliers de personnes pour faire primer l'intérêt général et l'harmonie entre les êtres humains et avec le vivant. Partout où le capitalisme le plus exacerbé et le pouvoir de l'argent l'emportent, les votes pour des constructions alternatives construites en partant de la racine des difficultés émergent. Ces constructions politiques comme l'Unione Popolare en Italie et L'Union Populaire en France se fondent sur un programme longuement élaboré avec les associations, les forces syndicales et les militants politiques.
L'Italie est aussi en proie à une abstention qui gangrène les sociétés partout. Ainsi, le taux de participation en Italie est de 63,9% soit une baisse de près de dix points par rapport à il y a quatre ans. Pour appuyer cela, en 2006, plus de 84% des inscrits s'étaient rendus aux urnes en Italie, il y a donc une véritable désertion des urnes. Il y a sans nul doute des forces politiques qui s'accommodent de cette situation, car de toute évidence les plus en difficultés, celles et ceux qui pâtissent le plus des politiques de casse sociale sont celles et ceux qui sont le plus enclins à choisir une alternative proposée par nos forces. La majorité d'entre eux viennent des classes les plus défavorisées, dans les quartiers populaires, qui sont fortement abandonnés par les institutions et les classes dirigeantes. Il ne faut pas minimiser le travail de fond entrepris. Partout des lieux qui incarnent cette alternative se multiplient : les maisons du peuple, les Presidios, les Universités et les places de village sont désormais des lieux d'expression pour les gens. Partant des tréfonds d'une gauche à plat, l'Unione Popolare a su fédérer ceux qui en Italie se battent tous les jours en utilisant les relations internationales construites au fil du temps long : avec Jean-Luc Mélenchon qui est allé à Rome faire la démonstration de son soutien et la venue de Pablo Iglesias, de Podemos. Cette campagne a placé la jeunesse au centre du travail pour aller à la conquête des esprits, s'appuyant sur la force mobilisatrice des réseaux sociaux et sur l'attractivité de son développement en période électorale ainsi que sur les espaces médiatiques. Tout cela en comptant seulement sur soi-même, avec peu de financements et un bashing permanent de l'oligarchie médiatique qui partout bestialise les militants et les premières figures de nos mouvements.
4- L'Italie se situe aux portes de l'Europe. Pensez-vous que ce gouvernement représentera un risque vis-à-vis d'une politique migratoire ?
D'abord, depuis 2011 et les révolutions arabes, il y a eu des mouvements de populations vers les rives sud de l'Europe. Depuis 2020, les migrations semblent s'atténuer, divisant presque par 10 le nombre d'arrivées causées par les conséquences des différents conflits en Afghanistan, au Soudan, au Sahel central ou notamment en Syrie. Il faut se détacher de l'hystérie politique provoquée par l'extrême droite partout visant à nier le fait que les déplacements des populations ont toujours existé. Le véritable bouleversement ne réside pas dans la question d'une migration en augmentation mais plutôt dans le traitement médiatique et le développement d'un discours à l'allure stratégique, adopté par certains États européens dans l'objectif de renverser les priorités pour mettre en place une politique de rejet quasi systématique des personnes en quête d'un lieu de concorde et de sécurité.
Meloni a gardé du fascisme le caractère autoritaire d'une femme politique qui stigmatise les populations qui fuient la guerre alors même que la mer Méditerranée a connu en 2021 plus de 3000 morts d'exilés. Cette stigmatisation inhérente à l'extrême droite et le discours du rejet et de la haine employé lors de la campagne de Meloni me font penser que la politique migratoire continuera de se durcir en Italie. Il est certain que la question des déplacements de population va dicter le cadre du débat médiatique pour les prochaines décennies, accompagnant alors celui-ci des arguments nauséabonds présentés par l'extrême droite. L'accession au pouvoir de cette coalition représente un risque certain dans le traitement à venir de ces déplacements. D' ici à 2050, 250 millions de réfugiés climatiques vont devoir prendre la route, cette crise pourrait provoquer une montée de la xénophobie, du racisme et un durcissement du contrôle et de la prise en charge des exilés. Il faut donc veiller à ne pas minimiser l'apparence véritable de ce que représente ce gouvernement dans un contexte international déjà fragilisé par les guerres et l'oppression des minorités.
5- Il y a peu la France ratifiait le Traité du Quirinal pour une plus grande coopération entre les deux pays. Vous êtes favorable à une politique de rapprochement entre la France et l'Italie. Quelle analyse faites-vous de ce traité ? Pourquoi faire de l'Italie un partenaire privilégié de la France ? Et quelle politique de coopération entre les deux pays défendez-vous ?
Comme je l'ai dit lors de mon intervention à la tribune de l'Assemblée nationale, « les relations de nos pays sont plus souvent faites de tours de valse ou de coups de théâtre sanglants et douloureux où tels deux membres d'une même famille la rancune est que plus douloureuse ». Même si nous sommes favorables à un partenariat renforcé avec l'Italie en raison de notre histoire commune et le lien qui unit tant de familles entre nos deux pays, nous ne pouvons nous satisfaire de la ratification du traité du Quirinal.
Il y a trois problèmes majeurs dans ce traité. Un problème d'opportunité d'abord. Une période d'instabilité politique s'ouvre en Italie : après la démission de Mario Draghi et la victoire de la coalition regroupant le parti fasciste de Giorgia Meloni. Alors que l'explosion des guerres, la raréfaction des ressources vont certainement conduire des populations à se déplacer, nous ne voulons pas laisser libre place à des accords dans lesquels notre pays pourrait participer au rejet des populations. Ensuite, le traité prévoit une coopération militaire, de nos industries de l'armement et de coordonner nos actions au Sahel. Étant donné que l'Italie et la France ont eu des divergences sur le dossier libyen et que la politique en matière de vente d'armes est différente (l'Italie ayant stoppé ses ventes à l'Arabie Saoudite), il y a matière à̀ clarifier des orientations.Sur la question écologique, si les Alpes et la mer Méditerranée sont citées, dans le traité peu de choses est prévu pour s'attaquer à leur pollution et aux conséquences du changement climatique. Enfin, le traité contient le projet de tunnels transfrontaliers Lyon-Turin. Les travaux prévus sont en contradiction avec les lois sur l'eau et la directive européenne car ils prévoient de forer et d'excaver dans les périmètres de captage d'eau potable. Ce projet est inutile pour organiser le fret ferroviaire : il est déjà possible de reporter 800 000 poids lourds sur la ligne existante.
Contrairement à ce qu'affirme dans Le Monde du 22 septembre, la secrétaire d'État française à l'Europe, Laurence Boone : « sur l'essentiel des sujets, nous sommes plus ou moins alignés avec Giorgia Meloni », on assiste partout en Europe à des luttes de valeurs entre des valeurs nationalistes et des valeurs sociales. Ainsi il me semble malvenu, dans ce contexte de caractériser nos relations avec l'Italie de « privilégiées ». Le signal envoyé par Laurence Boone est un signal dangereux de résignation. Ce discours ne fait qu'accentuer ma démonstration initiale d'une droite de plus en plus encline à laisser se dessiner des porosités avec l'extrême droite. Les mêmes macronistes qui pendant deux semaines à L'Assemblée nationale, en pleine pandémie, ont ouvert un débat frivole à travers une loi dite « de renforcement des principes républicains » semant une fois de plus la division dans le peuple français en stigmatisant les musulmans.
6- Vous êtes engagé dans la lutte contre la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin et ses 200 km de tunnels. En quoi ce projet est-il contestable ? À l'Assemblée nationale, vous avez demandé une commission d'enquête sur le non-respect des lois sur l'eau ?
Les décideurs de ce projet semblent s'enliser dans une volonté démesurée de le voir se réaliser alors même que tous les hauts fonctionnaires ont désavoué ce projet le jugeant coûteux et inutile : la haute administration, le Conseil général des Ponts et Chaussées, l'Inspection des finances, la Cour des Comptes … Les craintes de ces hauts fonctionnaires semblent se confirmer par les associations de protection de l'environnement, les syndicats de cheminots, les experts hydrogéologues qui alertent depuis des années sur la démesure de ce projet et désormais sur son irrégularité.
Le Lyon-Turin est en totale contradiction avec plusieurs dispositions des lois sur l'eau et l'article 5 de la Charte de l'environnement. Les articles L.1321-2 et R. 1321-13 du code de la santé publique dictent l'interdiction des constructions, des excavations du sol et du sous-sol, des forages quand ils sont rapprochés des périmètres de captage d'eau potable à usage domestique. Ainsi, ce projet dont les déclarations d'utilité publique déposées par l'entreprise TELT traversent au moins 19 périmètres de captage d'eau potable, dont 9 rapprochés dans les communes de Avrieux, Bramans, Modane, Orelle, Saint-André. Ce projet est donc en contradiction avec les lois sur l'eau dans la vallée de la Maurienne, mais il semblerait également dans les massifs de la Chartreuse, de l'Épine, de Belledonne, du Glandon et d'Ambin. Nous avons en effet déposé avec 87 signataires une demande de commission d'enquête portant sur cette question. Des associations de défense de l'environnement et des usagers engagent des recours, des maires conscients de leur responsabilité pénale dans l'approvisionnement en eau potable de leurs habitants et habitantes semblent réagir. J'espère que c'est de bon augure.
Il y a déjà une ligne existante permettant le report modal d'au moins 800 000 camions rendant inutile ce projet. La ligne existante a été modernisée à hauteur d'un milliard d'euros. La section Chambéry-Montmélian peut accueillir 280 trains de marchandises par jour d'après un document de RFF. Or elle en accueille aujourd'hui 139. Au milieu des années 1980, entre la France et l'Italie passaient environ 150 trains par jour dans les deux sens confondus. Aujourd'hui, il en passe 26.
Le coût du projet a largement dépassé les premières prévisions budgétaires. De trois milliards d'euros environ en 1991 d'après le schéma national des LGV nous sommes passés à 30 milliards d'euros aujourd'hui. L'utilisation de la ligne et des tunnels existants serait une option alternative constituant une option « environnementale sensiblement meilleure » (paragraphe 7 de l'article 4 de la directive cadre) conforme au droit européen. La Fédération Nationale des Transporteurs Routiers est pourtant favorable à l'utilisation de la ligne existante : elle a envoyé en février 2019 un courrier cosigné avec l'association Les Amis de la Terre à Élisabeth Borne pour demander la mise en place de navettes de fret ferroviaire. Quand on est favorable au fret ferroviaire de marchandises on commence par utiliser de façon optimum la ligne existante. C'est loin d'être le cas …
Propos recueillis par Anthony Brondel
crédits photos : O.G.

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