Rencontres

La rentrée est marquée par une baisse historique du pouvoir d'achat et un effondrement de l'État constaté dans de nombreux services publics, comme l'éducation.

Paul Vannier est député LFI-NUPES de la 5e circonscription du Val-d'Oise (Argenteuil / Bezons). Professeur d'Histoire-Géographie, il est membre de la commission Affaires culturelles et de l'éducation à l'Assemblée Nationale. Il a présenté cet été une proposition de loi visant à garantir le droit fondamental à l'éducation. Une seconde proposition de loi sur la gratuité de l'éducation, a aussi été déposée avec les député.es de tous les groupes de la Nupes.  Entretien

Nos écoles, collèges et lycées connaissent actuellement une crise du recrutement. Comment en est-on arrivé là ?

Par une succession de contre-réforme mettant en cause les fondements du métier de professeur et du fonctionnement de l'Ecole publique. Depuis une quinzaine d'année, le monde de l'éducation est entré dans une crise de sens associé à une dégradation symbolique et matérielle de la condition enseignante.
La situation actuelle n'est donc pas une surprise. Nous avions d'ailleurs alerté dès le 3 août dernier en déposant une proposition de loi visant à répondre à la pénurie d'enseignant en proposant quelques mesures d'urgences qui pouvaient être mis en œuvre dès septembre comme l'organisation d'un concours exceptionnel ou le recours systématique aux listes complémentaires.

Pourquoi la réponse du gouvernement n'est pas satisfaisante et que proposez-vous ?

La réponse du gouvernement c'est le déni et les rustines. Je pense à ces « job dating » pour recruter des contractuels après un entretien de 30 minutes. En l'occurrence le « remède » aggrave le mal en participant de déconsidérer encore davantage le métier d'enseignant et en plaçant des personnels sans aucune formation dans les conditions d'une mission impossible : faire classe sans expérience ni accompagnement pour y parvenir.
Alors que la question salariale est au cœur de la crise de recrutement actuelle, l'augmentation du point d'indice de 3,5% dans un contexte où l'inflation dépassera les 6% entérine une nouvelle baisse du pouvoir d'achat des enseignants. C'est pourquoi nous proposons un véritable rattrapage du salaire des enseignants, en commençant par l'augmentation immédiate de 10% du point d'indice, puis par une refonte des grilles indiciaires pour atteindre une augmentation moyenne de 30%.
Il faut aussi que les enseignants puissent faire leur travail dans de bonnes conditions, avec des classes moins chargées, et pour cela nous fixons un objectif de 19 élèves par classe en moyenne. Enfin il faut reconnaître leur expertise et leur rendre la liberté pédagogique que la logique de bureaucratisation actuelle a progressivement mis en cause.

Vous dites que « L'Éducation nationale pourrait connaître un effondrement comparable à celui de l'hôpital public ». Pourquoi ?

Oui, l'Ecole publique pourrait connaître dans les cinq ans qui viennent un effondrement comparable à celui qu'a connu notre hôpital public ces cinq dernières années. L'autonomisation des établissements et leur mise en concurrence, la multiplication des hiérarchies intermédiaires, la pénurie des moyens, les injonctions bureaucratiques qui éloignent du cœur du métier produisent dans le service public de l'éducation les mêmes effets qu'à l'hôpital. Crise de recrutement et crise des vocations : depuis 2009, le nombre de démissions dans l'Education nationale a été multiplié par 6. Dans le même temps, l'enseignement privé, marchand, soutenu par les politiques adoptées par Jean-Michel Blanquer, a connu un développement continu. Entre 2018 et 2021, le privé a gagné 24 000 élèves dans le secondaire.
Jusqu'ici le système tient grâce à l'engagement des personnels, des enseignants mais aussi des personnels de vie scolaire, des accompagnants des enfants en situation de handicap, des infirmières, des assistantes sociales, des personnels administratifs etc. Cela ne durera pas éternellement. Nous approchons du point de rupture.

Alors que les familles font face à la hausse des frais associés à la rentrée, vous avez déposé une proposition de loi pour garantir la gratuité réelle de l'éducation. Que contient cette proposition de loi ?

Notre Constitution proclame la gratuité de l'éducation mais pour les familles la scolarisation des enfants représente une dépense d'autant plus importante que ses revenus sont limités. La scolarité d'un élève représente 800 euros par an en moyenne et plus de 1200 euros pour un lycéen de la voie professionnelle. Cette situation aggrave les inégalités et pénalise la réussite éducative des élèves issus des familles les plus défavorisées lorsque ces dernières doivent par exemple renoncer à les inscrire à la cantine faute de moyens.
Avec les députés de quatre groupes de la Nupes, nous avons ainsi déposé à la fin du mois d'août une proposition de loi visant à faire la gratuité réelle de l'éducation. Elle prévoit la gratuité des cantines, des fournitures, des manuels scolaires, des sorties scolaires, des activités périscolaires et des transports. Cela coûterait 7,9 milliards d'euros par an. A titre de comparaison, les niches fiscales représentent un manque à gagner de plus de 90 milliards d'euros. Notre mesure pourrait également être financé par le rétablissement et la refonte de l'ISF qui rapporterait environ 10 milliards d'euros.

Le gouvernement entend généraliser "l'expérimentation marseillaise" vers plus d'autonomie des écoles. Quel bilan tirez-vous de cette expérimentation ?

Ce qui se fait à Marseille est la poursuite de l'opération de démantèlement du cadre national de l'école. Ce cadre n'est pas un carcan, bien au contraire. Il assure aux enseignants leur liberté pédagogique, en leur permettant de ne pas être soumis à un contrôle hiérarchique permanent. Il permet aussi que tous les enfants scolarisés dans une école publique de notre pays bénéficient des mêmes enseignements, du même nombre d'heures de cours, etc. Nous sommes donc très vigilants et nous opposerons à tout ce qui pourrait concourir à la généralisation d'un modèle « d'école entreprise » contraire au principe d'égalité qui devrait toujours prévaloir.

Le ministre de l'éducation dans sa circulaire de rentrée entend mettre l'accent sur "la maîtrise des fondamentaux" (lire, écrire, compter) et appelle à faire de la maternelle une priorité. Qu'en pensez-vous ?

Que pour enseigner les fondamentaux il faut des enseignants. Et il en manque. Dans plus de 60% des collèges et des lycées d'après les enquêtes réalisées par plusieurs organisations syndicales en cette rentrée. Une réalité que je constate dans les deux villes de ma circonscription, Argenteuil et Bezons, où il manque des enseignants dans de nombreux établissements. Et puis, pour enseigner les « fondamentaux », il faut des heures d'enseignements. Les macronistes les ont beaucoup diminuées ces dernières années, allant jusqu'à retirer les mathématiques du tronc commun au lycée ou préparant une nouvelle diminution des heures de cours dans le cadre de la prochaine réforme du lycée professionnelle. Au final, ce discours sur les « fondamentaux » fonctionne davantage comme un marqueur des discours éducatifs de la droite qu'il ne traduit la recherche de solutions pour répondre au fond des enjeux éducatifs contemporains.

Le gouvernement prévoit une large concertation dans l'Éducation nationale, associant les enseignants, les personnels administratifs, les élus, les parents d'élèves, les associations et les élèves. Qu'attendez-vous de cette concertation ?

Pas grand chose. Pap Ndiaye a déjà présenté son plan de marche. C'est celui de la poursuite du blanquérisme.

Quels sont selon vous les principaux chantiers auquel devrait s'atteler le ministre de l'Education ?

Il faut d'abord un plan d'action pour rendre de l'attractivité au métier d'enseignant. Sans personnels formés, compétents, motivés rien n'est possible. Ensuite il faut s'atteler à la définition des finalités du parcours éducatifs à l'heure du changement climatique. Je dirai enfin qu'il faut redéfinir la place de l'école privée. Celle-ci est aujourd'hui très largement subventionnée par l'argent public, à hauteur de plus de 10 milliards d'euros par an, et joue un rôle majeur dans l'aggravation des inégalités scolaires. Il y a là quelque chose qui doit être interrogé. 

L'École Publique doit aussi préparer le futur de la nation face aux grands défis. Qu'aurait proposé un gouvernement de la NUPES afin que l'école prépare notre pays aux défis de la bifurcation écologique ?

Au-delà de la refonte des programmes, de l'introduction de savoirs pratiques dans le parcours éducatifs des élèves, de l'adaptation du bâti scolaire, de l'intégration des lycées agricoles au périmètre de l'Education nationale, l'école pourrait être un puissant levier de la bifurcation écologique. Prenons l'exemple des cantines scolaires. Si elles offraient des menus issus d'une agriculture locale, paysanne et biologique chaque jour aux 12 millions d'élèves scolarisés dans notre pays, nous disposerions d'un formidable outils pour faire sortir de l'agriculture intensive et des pesticides en offrant un débouché à tous les agriculteurs qui transformeraient leurs pratiques agricoles.

Propos recueillis par Anthony Brondel

Retrouvez notre entretien avec Julie Trottier, directrice de recherches, spécialiste des politiques de l’eau, dans le prochain numéro du Journal de l'insoumission.

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