Rencontres

La République chevillée au corps, Alexis Corbière a toujours combattu les idées d'extrême droite. Il a longtemps travaillé à décrypter Marine Le Pen pour dénoncer les contre-vérités, les calomnies et les falsifications historiques qui nourrissent le discours d'extrême droite. Il a en a écrit en 2012 un livre: "Le parti de l'étrangère : Marine Le Pen contre l'histoire républicaine de la France".

Alors que Marine Le Pen se retrouve qualifiée au 2nd tour de l'élection présidentielle de 2022, nous avons interviewé le député de Seine-Saint-Denis, pour comprendre pourquoi Marine Le Pen ne défend pas le peuple et pourquoi aucune voix ne doit aller vers la candidate d'extrême droite.

Qu'est-ce qui différencie Marine Le Pen d'Emmanuel Macron ?

Les deux sont des adversaires politiques. Mais je ne les place pas du tout sur le même plan.

Observons leurs fonctions politique et sociale. Emmanuel Macron est l’archétype du représentant politique des intérêts de la finance et du grand patronat. Avec son bilan des cinq dernières années, il en est devenu la caricature. Sa vision de l’économie et de la société est absolument néolibérale. Notre pays devrait fonctionner selon les normes managériales. Macron est le chantre de l’idéologie folle de la « Start up nation ». Certes, en raison des puissantes résistances sociales – à commencer par les gilets jaunes - , des mobilisations écologistes et de la crise du Covid, il a été contraint de manœuvrer, d’aménager son agenda et de remiser momentanément certains de ses dogmes et obsessions austéritaires. Mais ne nous trompons pas : il reprendra implacablement son cap, une fois réélu. Son projet socialement brutal entraine logiquement la brutalisation des méthodes pour le faire accepter. Nous en avons déjà eu plus qu’un avant-goût depuis 2017. Macron a déjà diminué l’indemnisation des chômeurs. Il veut faire travailler plus longtemps nos concitoyens et repousser à 65 ans l’âge légal de la retraite. Il conditionnera le RSA à des travaux sous-payés. Ses propositions pour l’école, avec l’autonomie des établissements, sont inspirées des officines néolibérales qui conseillent déjà les ministres Blanquer et Vidal. Elles détruiront le service public d’éducation au profit d’un marché privé de l’enseignement. Finalement, Macron a pour programme la poursuite de la concentration des richesses entre les mains d’un tout petit nombre, au prix du creusement plus profond encore des inégalités. . Pour utiliser un jargon qui sera compris j’espère, il est de façon presque chimiquement pure, l’adversaire de classe du monde du travail.

Le cas de Marine Le Pen peut paraitre plus complexe et pourtant il ne doit abuser personne. Le Pen, c’est le pire. Quelle est son identité politique ? D’où vient-elle ? Il faut rappeler qu’elle reste la candidate d’un parti fondé en 1972 pour permettre la convergence de tous les courants de l’extrême-droite : anciens collabos pétainistes, royalistes maurassiens, antisémites, militants de l’OAS, néofascistes d’Ordre Nouveau, etc. Certains, qui en tiraient même fierté, ont lutté, les armes à la main ou par les bombes, pour abattre la République et briser le mouvement ouvrier organisé. En 2007, Marine Le Pen était directrice stratégique de la campagne de Jean-Marie Le Pen, l’homme qui avait réuni ce conglomérat de vaincus de l’histoire. Et c’est ce dernier qui l’a désignée comme héritière pour prendre sa suite à la présidence du parti. Ne soyons pas naïf donc.

Depuis toujours, l’extrême droite, prétend représenter le « véritable » peuple. La vérité est qu’elle ne porte que la colère de la fraction la plus réactionnaire de la société. Elle est une force de division. Plutôt que lutter contre les authentiques responsables des souffrances sociales, Le RN aujourd’hui, identique au FN d’hier, choisit de stigmatiser une partie du peuple, dénoncée comme autant d’ « assistés », « fainéants », et « délinquants », et de cibler en bloc les « immigrés » et les « musulmans. » Le racisme de l’extrême droite est un poison idéologique qui exacerbe les différences culturelles pour donner une cohérence apparente à la fracturation du peuple. Fondamentalement, l’extrême droite n’accepte pas la nature civique du Peuple, fondée en 1789, sur des droits politiques et la promesse universaliste des Droits de l’Homme et du Citoyen. La vision de Marine Le Pen reste identitaire : un peuple ethnicisé par la religion catholique et une Histoire imaginaire qui vante « le baptême de Clovis, l’oeuvre des rois unificateurs, Henri IV, , les bâtisseurs de nos cathédrales, les codes de Bonaparte », effaçant l’oeuvre de la Révolution française pour masquer que le berceau de l’extrême droite est dans ce rejet absolu de 1789. A la lutte pour les droits politiques, économiques et sociaux, Marine Le Pen veut substituer la guerre des identités ethno-raciales.

L’histoire des 19e et 20e siècles nous enseigne que l’extrême droite parle fort et tape du poing sur la table, qu’elle aime prendre l’apparence d’une force de contestation du système économique et social, jusqu’à contrefaire des accents anticapitalistes. La même histoire nous apprend qu’elle agit toujours pour que la protestation ne modifie surtout pas à la répartition des richesses, qu’on ne prenne jamais rien au capital pour mieux rémunérer le travail. C’est pourquoi Hier comme aujourd’hui, l’extrême droite est si utile aux tenants de l’ordre établi. Ils jouent avec elle, la mette en valeur et la médiatise, ils la « dédiabolise » pendant des mois avant de la rediaboliser quand elle a rempli sa mission, comme on le voit depuis le 10 avril. Le pouvoir néolibéral se complait cyniquement de ses outrances, comme on l’a vu avec la candidature gonflée à l’hélium médiatique d’Eric Zemmour. Mais gare ! Deux siècles nous apprennent que la créature peut devenir si forte qu’elle échappe un jour à ses créateurs.

Aucune alliance, même ponctuelle, n’est donc possible avec l’extrême droite. Elle est l’antithèse absolue de ce que nous sommes, notre adversaire continument le plus mortel même si son nom et son apparence ont souvent changé.

Pourquoi aucune voix ne doit aller vers la candidate d'extrême droite ?

Voter pour l’extrême droite, c’est mathématiquement la renforcer. C’est lui donner confiance et une façon de lui dire « Nous sommes frères de lutte contre Macron ». C’est l’aider à prendre un jour le pouvoir ; c’est l’autoriser à prendre le contrôle de l’appareil d’Etat, de la police, de la justice, l’armée….

Non, mille fois non ! Pas d’accord. La banalisation du racisme est une erreur intellectuelle mortelle. Elle répugne viscéralement à toute conscience républicaine. Elle trahit les nôtres et notre histoire. Voter pour l’extrême droite serait la marque d’une ignorance de toutes les leçons du passé. Le rejet de la politique de Macron ne doit pas nous rendre idiots ou insensibles face à la xénophobie, à l’antisémitisme et à la haine des musulmans.

Il n’y a rien à attendre qu’un désastre à un succès de Marine Le Pen. L’extrême droite quand elle est forte, affaiblit le rapport de force social. Elle méprise les luttes sociales et traite les syndicats de « gréviculteurs ». Elle impuissante en les divisant les milieux populaires dont une partie sombrerait encore plus profondément dans le racisme. Les exemples étrangers de Trump ou Bolsonaro, modèles assumés de Mme Le Pen, attestent que lorsque cette extrême droite est au pouvoir, nos luttes sont plus difficiles. Plus près encore de nous, les exemples des ultraconservateurs polonais ou de Viktor Orban en Hongrie sont aussi éloquents. Arrivés au pouvoir en critiquant le libéralisme économique, ils ont conforté l’ordre social inégalitaire, réduit les droits individuels et collectifs, muselé les médias, maltraité les minorités et imposé durablement leur emprise à la vie politique.

Soyons sans illusion sur les concessions de façade accordées par E. Macron dans l’entre-deux-tours. Subissons avec rage que les mêmes qui ont tout fait pour accroître l’audience de l’extrême droite se drapent pour le 2e tour dans le discours de la morale. Mais ne nous trompons pas. L’extrême droite doit être faible dans le pays et donc faible dans les urnes dimanche prochain. Celui qui nourrit un chien féroce rend possible que celui-ci le dévore demain.

Punir Macron et battre sa politique est un objectif qui peut encore être atteint demain, au mois de juin, avec les élections législatives. D’ici là, il n faut pas punir tout un peuple et briser la nature républicaine de notre Nation. Malheur à ceux qui joueront au plus malin en croyant faire un vote « révolutionnaire ». Voter pour le racisme n’est pas neutre, nul n’en sort indemne.

Marine Le Pen a cherché à se dédiaboliser. Elle indique être la candidate du " Bloc populaire face au bloc elitaire". En quoi, son programme ne défend pas les catégories populaires ?

Prenons quelques exemples concrets. Elle ne veut pas l’augmentation du SMIC, mais propose une entourloupe : puiser dans une partie du salaire indirect (les cotisations) pour le verser en salaire direct. Les patrons ne payent pas plus. En revanche, les salariés versent moins aux organismes : c’est la porte ouverte à la privatisation de la solidarité.
Le Pen ne veut pas du blocage des prix de premières nécessités car elle juge cela « irréaliste » puisque les grands distributeurs n’accepteront pas de voir baisser « leur marge », comme elle l’a expliqué à la TV.
Enfin, elle ne veut pas de la retraite à 60 ans. Bref, à y regarder de près, aucune conquête sociale n’est proposée par le programme du RN. C’est l’inverse. C’est un programme de recul.

Certaines formules sont peut-être habiles, mais elles sont trompeuses. Le contenu n’y est pas. Notre tâche est donc de dénoncer cette imposture. Aucun raccourci n’est possible.

Nous devons certes combattre la politique d’Emmanuel Macron. Mais la victoire de l’extrême droite serait un terrible recul qu’il ne faut pas permettre.

Propos recueillis par Anthony Brondel
Crédit photo : Stephane Burlot

 

 

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