Rencontres

Mathilde Panot est présidente du groupe de la France insoumise à l'Assemblée nationale, députée du Val-de-Marne et membre de la commission du dévelloppement durable et de l'aménagement du territoire.

Cop 26, bilan d'Emmanuel Macron, énergies, alimentation, forêt, eau, 6ème République, écologie populaire, Lyon-Turin etc. Pour le Journal de l'Insoumission, elle revient sur les  enjeux de la bifurcation écologique et sur les propositions portées par l'Union Populaire et son candidat Jean-Luc Mélenchon à l'éléction présidentielle.

Lors de la COP26 en novembre dernier, E. Macron a fait la leçon au monde entier. En tant que membre de la commission Développement durable et Aménagement du territoire à l'Assemblée, quel bilan faites-vous sur le plan écologique du quinquennat Macron ?

Désastreux. Emmanuel Macron signe des accords de libre-échange qui organisent le grand déménagement du monde, comme le JEFTA, ou le CETA, voté sans honte au Parlement le jour de la visite de Greta Thunberg. Il y a eu le Mercosur aussi, dont la négociation s'est poursuivie alors même que nous étions en pleine pandémie ! Durant son quinquennat, il a déroulé le tapis rouge aux pollueurs : +411 % de projets d'installation de nouveaux entrepôts Amazon depuis 2017, il soutient des méga-projets gaziers de Total à l'étranger, comme en Ouganda. Que les banques françaises soient celles qui investissent le plus dans les énergies fossiles ne l'émeut pas le moins du monde. Il lui suffit d'envoyer son ministre de l'Économie leur dire d'éviter ces investissements, pour penser qu'il a réglé le problème. L'empoisonnement du monde et de nos terres n'est qu'un dommage collatéral pour lui : il a réintroduit les néonicotinoïdes, interdits depuis 2016. Il refuse toujours d'interdire le glyphosate, tout en ayant prétendu le contraire au début de son mandat. C'est toute une idéologie à l'œuvre : le marché, le marché, le marché. À ce titre, il détruit la puissance publique et prive l'État des moyens de réaliser la bifurcation écologique. Depuis 2017, plus de 8000 postes ont été supprimés au ministère de la Transition écologique. Il coupe à la hache dans les effectifs de l'Office national des forêts, alors que les forêts sont indispensables à la lutte contre le dérèglement climatique. Dernièrement, il s'est mis en tête qu'il fallait nucléariser encore davantage notre pays, peu importe la masse de déchets radioactifs dont nous ne savons que faire et sa non-adaptation au dérèglement climatique. On pourrait encore continuer longtemps : enterrement des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, destruction du service public ferroviaire… Sans oublier la répression féroce à l'égard des militants et militantes pour le climat, qui ont été gazés, matraqués, traînés en justice pour certains. Mais ce gouvernement n'aime pas être contredit!

Depuis la première COP en 1995, chaque nouvelle édition se solde par des accords de principe, sans aucune mesure contraignante. Face aux grands pays émetteurs comme la Chine, les États-Unis, l'Inde ou la Russie, quelles mesures pourraient porter la France sur la scène internationale ?

Tout d'abord, il faut dire un mot sur un argument commode qui consiste à dire que la France pèse peu par rapport aux pays les plus émetteurs, et qu'à ce titre, elle pourrait être exonérée de sa responsabilité dans le désastre en cours. Au contraire, la France a une grande responsabilité. Notre pays est celui qui a accueilli la signature des accords de Paris, mais qui n'en respecte pas les engagements. Le Haut Conseil pour le climat le dit : le rythme de baisse de nos émissions de gaz à effet de serre est parmi les plus faibles au niveau européen. Or, notre pays a les moyens techniques, humains, le savoir, les formations disponibles pour permettre cette bifurcation écologique et solidaire. La seule chose qui nous manque : des gouvernants responsables ! La COP26 l'a démontré : encore et toujours, ce sont les profits d'abord. Il faut arrêter avec ces accords minimalistes depuis 30 ans qui ne mènent nulle part. Nous pouvons emprunter d'autres voies, en faisant progresser, par exemple, le droit international. Notre pays pourrait défendre, de concert avec la Bolivie, la création d'un tribunal de justice climatique, et porter avec l'Équateur un traité pour contraindre les multinationales à respecter les droits humains et l'environnement. Aujourd'hui, les tribunaux d'arbitrage servent la soupe à leurs intérêts. Total sait depuis 1971 que ses activités augmentent significativement les émissions de gaz à effet de serre. Aujourd'hui, ses activités nous emmènent sur une trajectoire de +3,5°C. Ces multinationales qui nous volent notre avenir collectif doivent comparaître ! Nous pourrions également être précurseurs dans la mise en place d'un traité de non-prolifération des énergies carbonées. La France peut être ce pays d'envergure en mettant en œuvre une diplomatie climatique.

Jean-Luc Mélenchon a fait de l'alimentation, de la souveraineté alimentaire et le "manger tous, manger mieux" un thème central en ce début de campagne. Quels sont les enjeux?

Les enjeux alimentaires sont immenses. Il s'agit, concrètement, de s'interroger sur ce que nous donnons à manger à nos enfants. Le modèle agricole tel qu'il est structuré dans notre pays ne permet pas de répondre à nos besoins. Le modèle productiviste et intensif, dans lequel les agriculteurs sont piégés du fait de la politique agricole européenne, empoisonne les terres, les paysans, les citoyens. Un agriculteur se suicide tous les jours dans notre pays. Le secteur est en forte tension, tant le métier peine à attirer de nouveaux paysans. À l'autre bout de la chaîne, 8 millions de personnes font la queue à l'aide alimentaire. Il faut rompre avec ce système de malheur. La pandémie a rompu les chaînes d'approvisionnement alors que 50 % des fruits et légumes sont aujourd'hui importés. La souveraineté alimentaire doit redevenir un objectif national. D'autant plus qu'une meilleure alimentation est une politique de santé publique. Jean-Luc Mélenchon a de nombreuses fois sonné l'alerte. Il y a une épidémie de diabète et d'obésité dans notre pays. En 2022, nous remplacerons le ministère de l'Agriculture par un ministère de la Production alimentaire et nous ferons une loi de sécurité alimentaire pour tout le pays.

E. Macron souhaite engager la France dans de nouveaux investissements énergétiques nucléaires, arguant d'une énergie décarbonée. Qu'en pensez-vous ?

C'est une fuite en avant irresponsable. Le Président s'entête dans une énergie du passé.Alors que ces nouveaux investissements captent notre avenir et scellent notre destin énergétique, le Président ne prend même pas la peine d'organiser un débat. Cette décision est purement anti-démocratique. Par ailleurs, il ressasse les mêmes arguments archaïques. Non, le nucléaire n'est pas une énergie propre, puisqu'elle produit des déchets que nous avons sur les bras pour 20 000 ans et pour lesquels aucune solution n'est connue. Non, le nucléaire n'est pas une énergie d'avenir, puisqu'il n'est pas résilient au dérèglement climatique. Non, le nucléaire n'assure pas notre souveraineté énergétique, puisque nous nous fournissons en uranium au Niger ou au Kazakhstan, dans des conditions terribles d'extraction pour les écosystèmes et les humains. Non, le nucléaire n'est pas une énergie sûre. L'Autorité de sûreté nucléaire nous dit que la possibilité d'un accident n'est pas exclue. Il faut savoir tirer les leçons de Tchernobyl ou de Fukushima. Si un accident a lieu à la centrale de Nogent, ce sont 12 millions de personnes à déplacer. La sûreté et la sécurité des centrales est également liée à celles et ceux qui y travaillent. Aujourd'hui, il s'agit de sous-traitants du nucléaire qui assurent 80 % des activités de maintenance et qui sont les plus exposés au risque radioactif. C'est avec eux que nous devrons planifier le démantèlement des centrales.

Quelle autre politique énergétique propose l'Union populaire ?

La sobriété énergétique doit être la première des politiques. La meilleure énergie, c'est celle qui n'est pas consommée. Pour cela, il nous faut mettre en place un plan ambitieux de rénovation énergétique des logements. Il y a 4,8 millions de passoires dans notre pays. Les conséquences sociales de la précarité énergétique sont alarmantes : ce sont des familles qui n'osent plus inviter des personnes chez elles car il y fait froid, des enfants qui ont des difficultés dans leur scolarité, qui sont plus exposés aux maladies respiratoires, qui développent de l'asthme… C'est un sujet à la fois social, écologique et sanitaire. Nous pouvons également mettre en place un scénario énergétique alternatif. NégaWatt a sorti le sien récemment, afin de sortir du nucléaire d'ici 2045. Plusieurs sources d'énergie peuvent être envisagées, la géothermie, les éoliennes en mer… C'est une mobilisation générale dont nous aurons besoin. Mais le nucléaire lui-même est un exemple de planification – certes, anti-démocratique et non désirable – mais qui nous enseigne sur la manière de procéder.

La déforestation est la seconde cause du réchauffement climatique (11,8% des émissions de CO2), après la combustion des énergies fossiles (68,5%). En France, les forêts représentent 30% du territoire national. En septembre 2020, vous avez fait une proposition de loi visant à l'encadrement des coupes rases. À l'heure du réchauffement climatique, qui impacte nos forêts, pourquoi et comment préserver ce bien commun ?

La proposition de loi que nous avons déposée avec la commission d'enquête parlementaire et citoyenne que j'ai menée partait du constat suivant : les forêts sont à la croisée des chemins. Comme l'agriculture dans les années 60, la gestion forestière peut prendre deux directions complètement antinomiques. Une industrialisation croissante, avec le triptyque coupe rase, plantation, monoculture, ou un modèle alternatif de gestion forestière, qui s'inscrit dans le temps long, respectueuse des écosystèmes et des humains. Il faut résolument lutter contre le modèle qui essaie progressivement de s'imposer. Les forêts sont indispensables à la lutte contre le dérèglement climatique. Elles sont des puits de carbone, des refuges de biodiversité, elles filtrent l'eau, fournissent de l'oxygène… Or, les monocultures transforment nos forêts en champs d'arbres. Ces plantations ne sont pas résilientes au dérèglement climatique. Les forêts qui résistent le mieux aux aléas climatiques sont celles dont les arbres sont de différentes essences et d'âges variés. C'est pourquoi il faut absolument encadrer drastiquement les coupes rases. Il faut également impérativement renforcer le service public forestier, dont les effectifs ont fondu depuis les années 2000, car l'Office national des forêts sera le point d'appui primordial pour l'expérimentation d'essences, dans l'ère d'incertitude qu'ouvre le dérèglement climatique.

Le projet de construction d'un tunnel pour une ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin fait l'objet d'une opposition vive. Il touche à la question de l'eau et des transports. Que ferez-vous de ce projet si Jean-Luc Mélenchon remporte l'élection ?

Avec Jean-Luc Mélenchon, nous arrêterons l'aberration de la ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin. D'abord parce qu'elle est dangereuse. Des personnalités comme Daniel Ibanez, des associations ou l'élu régional insoumis Gabriel Amard ont lancé l'alerte : le projet Lyon-Turin ne respecte pas les lois sur l'eau et le tracé du projet n'a pas tenu compte de la protection des captages d'eau potable des communes traversantes. Ensuite parce que ce projet est inutile puisqu'on pourrait d'ores et déjà mettre l'équivalent marchandise de un million de camions sur train via les lignes ferroviaires existantes. Enfin car ce projet à 30 milliards d'euros est un partenariat public-privé, contraire à l'intérêt général et antidémocratique.

Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot sont les deux candidats de l'écologie politique pour cette présidentielle d'avril 2022. Que répondre à celles et ceux qui hésiteraient entre les deux candidatures ?

Je leur réponds que toute politique écologique et sociale sérieuse et conséquente, est incompatible avec les traités européens actuels. C'est une question centrale que Yannick Jadot évacue. Pourtant, il faut être clair et transparent : la bifurcation écologique et solidaire, la retraite à 60 ans, la nationalisation de certains pôles de notre économie sont des politiques qui imposent de rompre avec les traités. On ne peut pas être à la hauteur des enjeux quand on obéit à la Commission européenne. Il ne faut pas mentir aux Français. La rupture de modèle que nous appelons de nos vœux exige des investissements importants qui enverront balader la règle des 3 % de déficit, les règles de concurrence libre et non faussée, toutes ces mesures néo-libérales qui ont conduit à la misère des peuples. C'est un axe de dissensus majeur entre nous.  Le second, non moins négligeable, c'est la question du passage à la 6ème République. Nous sommes partisans d'une Constituante, pour que le peuple puisse se refonder politiquement. Il faut une sortie par le haut de l'impasse démocratique dans laquelle nous sommes : l'abstention progresse d'élection en élection, à croire que nous serions revenus au suffrage censitaire ! La position du candidat EELV sur ce sujet est floue. Mais peut-être aurons-nous des éclaircissements dans les mois à venir, puisque nous sommes les seuls aujourd'hui à avoir un programme politique complet pour 2022.

Comme en 2017, la droite et l'extrême droite désertent la question environnementale, estimant être une préoccupation de "bobos". En quoi la bifurcation écologique intéresse-t-elle tout le monde en général et les milieux ruraux et les plus défavorisés en particulier ?

L'écologie que nous défendons, nous l'appelons « écologie populaire ». Il ne faut pas oublier de quel camp viennent les pollueurs : celui des riches. Ce sont les riches qui sapent nos conditions collectives d'existence. L'écologie populaire exige de nommer les responsables, et de gouverner par les besoins. Dans notre pays, les besoins fondamentaux de millions de nos concitoyens ne sont pas satisfaits : manger une bonne alimentation, respirer un air sain, se chauffer correctement, avoir le droit à une éducation gratuite et de qualité… Aujourd'hui, 3 enfants sur 4 respirent un air pollué. Les enfants pauvres sont, évidemment, les plus exposés au phénomène. L'écologie populaire que nous appelons de nos vœux est indissociable de la justice sociale. Il faut pouvoir offrir à chaque citoyen de notre pays des conditions dignes d'existence. La question de manger et mieux n'est pas une question périphérique, elle inquiète les parents qui n'ont pas les moyens de donner une alimentation saine à leurs enfants. La rénovation énergétique des logements est également une mesure d'écologie populaire. Je vais plus loin : le corollaire de la question des retraites c'est aussi l'écologie. Il nous faut construire cette société du temps libéré, comme disait Gorz, c'est-à-dire libérée de l'empire marchand, de la production et de la consommation, pour fonder une société écologique. Cette question engage chacun de nous.

Jean-Luc Mélenchon porte l'avènement d'une 6e République, pour vous que doivent être les priorités constitutionnelles ?

Pour avoir beaucoup travaillé sur ce sujet, je pense que la question du droit à l'eau et à l'assainissement est essentielle. L'eau est l'enjeu n°1 de notre siècle. La ressource est en danger : elle se raréfie, elle est accaparée et pillée par les multinationales comme à Vittel par Nestlé ou à Volvic par Danone, au détriment des habitants, privatisée par les prédateurs que sont Veolia, Suez ou la Saur, au détriment des usagers et de la préservation de la ressource, elle est menacée par l'agriculture productiviste intense en pesticides et nitrates… La question du droit à l'eau est fondamentale, puisqu'elle est un préalable à la dignité humaine. Aux Antilles, comme en Guadeloupe où je me suis rendue dans le cadre de la commission d'enquête sur l'eau, ou à Mayotte, le droit à l'eau est bafoué. Nos compatriotes vivent au rythme des tours d'eau, la majorité des habitants n'est pas raccordée au réseau d'assainissement, les enfants ratent jusqu'à un mois et demi de cours par an car il n'y a pas d'eau à l'école, les pompiers appréhendent certaines opérations par crainte de ne pas avoir suffisamment d'eau… La situation est critique en cette période de Covid, puisque la population ne pouvait pas appliquer le premier des gestes barrières : se laver les mains ! Il faut en finir avec cette maltraitance sociale. Qui a choisi que l'eau, ressource sans laquelle nous sommes morts au bout de 3 jours, devait être dans les griffes des multinationales ? Personne. La votation menée dans le cadre de la campagne sur l'eau a recueilli près de 300 000 votes : 99,61 % des votants sont pour la constitutionnalisation du droit à l'eau et à l'assainissement.

Propos recueillis par Séverine Véziès

Crédit photo : Antoine Stouls

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