
Rencontres

Longtemps ignorés, les proches aidants des personnes en situation de handicap se sentent la plupart du temps démunis face aux difficultés rencontrées tant au niveau médical qu'au niveau administratif.
Rare mais jamais seul !
« Il y a eu un avant et un après la loi de 2005, même si le chemin n'est pas terminé... Revalorisation de l'Allocation adulte handicapé (AAH), droit de vote accordé aux majeurs sous tutelle, attribution des droits à vie, école inclusive, stratégie autisme... Toutes ces mesures participent à une philosophie nouvelle où l'on ne considère plus les personnes handicapées comme des figures d'altérités, eux, mais comme des citoyens à part entière, nous. Il n'y a pas, d'un côté, des personnes handicapées et, de l'autre, celles que le destin ou l'existence auraient épargnées » déclare Emmanuel Macron lors de la Conférence nationale du handicap le 11 février 2020.
Lors de cette conférence, 12 engagements ont été pris par le chef de l'État : des mesures pour l'école inclusive, favoriser l'emploi, prendre en compte le handicap dans le système universel des retraites, accélérer la mise en accessibilité universelle, lancer une grande campagne de sensibilité aux handicaps en 2025, un numéro unique de prise en charge, stopper l'exil vers la Belgique, sécuriser les projets de vie, une meilleure prise en charge de la rééducation par l'Assurance maladie, la Prestation de compensation de handicap (PCH) sera étendue, développer l'innovation technologique au service de la vie quotidienne, raccourcir les délais de traitement. En relisant la liste de ces engagements, on ne peut que se noyer dans cette novlangue.
En réalité, que ce soit pour les personnes en situation de handicap et leurs aidants familiaux, il y a d'un côté eux, et de l'autre les valides. Cette fameuse inclusivité tant citée ne serait en fait qu'un mot vide de tout sens ?
Emmanuelle et Chloé ainsi que Jean-Marie sont particulièrement concernées par cette problématique de l'inclusivité. Emmanuelle Outhier est la maman de Chloé, jeune fille atteinte de la maladie de Batten, qui a pour conséquence d'handicaper sévèrement Chloé, bientôt âgée de 17 ans. Habitantes au cœur du Morvan, la prise en charge du handicap est un vrai parcours du combattant accentuée par la ruralité. Depuis l'apparition des premiers symptômes de la maladie de sa fille, Emmanuelle n'a eu de cesse de se battre pour que Chloé ait une enfance, et qu'elle soit la plus heureuse possible. Comme tous les ans, à cette période, Chloé passe une longue journée à l'Hôpital Femme-Mère-Enfant à Bron (69) afin de faire le point sur l'avancée de la maladie.
Cette journée démarre tôt et finit tard, Chloé doit passer plusieurs examens médicaux (prise de sang, examen neuro, kiné, psy,…). Pas une partie de plaisir ! Mais grâce à la présence de bénévoles de l'association VML, on se sent moins seul. Jean-Marie Favreau, administrateur au sein de l'association VML, est un enseignant-chercheur, habitant Clermont-Ferrand, et le père de Maëlyn, jeune fille de 16 ans atteinte de la maladie de Batten également. Lorsque Jean-Marie a su pour la maladie dont souffrait sa fille, il s'est d'abord rapproché de l'association BDFA (Batten disease Family Association) située à Londres. Peu avant le début de la crise du COVID, il a rejoint l'association VML, « c'est là que je sens où est ma place ». En parallèle de cet investissement, Jean-Marie souhaite au travers d'un podcast « Quand même pas, Papa », partagé son expérience en tant qu'aidant familial. Il veille aussi sur les actualités, les avancées scientifiques mondiales au niveau de la maladie de Batten et tiens à jour un site réunissant ces informations en français.
Le Journal de l'insoumission : Quand a été créée l'association ? Quelles sont ses missions?
Jean-Marie : Initialement, ce sont des parents, des proches de personnes atteintes d'une maladie lysosomale qui ont fondé l'association VML (Vaincre les Maladies Lysosomales). Depuis 1990, elle s'est construite autour de plusieurs valeurs : la solidarité, l'engagement actif et la rigueur, la transparence au niveau de l'association. Le slogan de l'association, que j'affectionne énormément est « Rare mais pas seul ». Tout est dit.
La particularité de notre association est qu'elle concerne 53 maladies, dans les autres pays, une association se monte autour d'une seule maladie. Réunir 53 maladies rares permet de mutualiser les investissements dans la recherche scientifique et médicale. C'est la force de notre collectif, offrir un pouvoir d'action à chacun. Nous nous sommes fixés trois missions principales afin de soutenir toutes les personnes concernées par notre combat. La première, c'est de faire progresser la recherche et améliorer l'accès aux soins. La deuxième, c'est de dispenser une information scientifique et médicale certifiée et adaptée à tous au niveau de la compréhension. Et la troisième, c'est accompagner et aider les familles dans le quotidien. Tous les ans, nous organisons une rencontre du lysosome où toutes les familles passent une journée ensemble afin de se sentir moins seul dans ce combat quotidien face à la maladie, entre autres actions que nous menons.
Emmanuelle : L'association VLM constitue un soutien de taille. L'association est présente lors des journées d'hospitalisation. Des bénévoles sont là pour nous soutenir, discuter, s'occuper des plus jeunes durant les rendez-vous. Nous avions pu également contacter une assistante sociale afin de nous soutenir dans nos démarches à l'époque où l'association en comprenait une. L'association nous a également orienté auprès de spécialistes, et nous mettre en relation avec d'autres familles.
Le Journal de l'insoumission : Que sont les maladies lysosomales ?
Jean-Marie : Ce sont des maladies génétiques, qui ont toutes un point commun, le lysosome fonctionne mal. C'est à dire que le centre de gestion des déchets des cellules ne fait pas son travail, et cela entraîne une dégradation des cellules. Selon la maladie, la prise en charge et les thérapies ne sont pas les mêmes, d'ailleurs pour certaines des 53 maladies, la recherche avance et ces thérapies permettent aux malades de palier à ce défaut génétique. Depuis quelques années, les malades ont une meilleure espérance de vie grâce à de meilleures prises en charge au niveau médical. La maladie de Batten a la particularité d'être la seule dont un des symptômes premiers est la cécité.
Le Journal de l'insoumission : Pouvez-nous expliquer ce qu'est la maladie de Batten ? Quelles sont les conséquences sur la santé de Chloé ?
Emmanuelle : La maladie de Batten est donc une maladie génétique, rare et orpheline. À ce jour il n'existe aucun traitement efficace pour la soigner ou encore moins la guérir.
Pour ce qui est des personnes atteintes de la maladie de Batten, les cellules atteintes en priorité sont les neurones, c'est en cela qu'elle est neuro-dégénérative. Au fil du temps l'état de santé de la personne atteinte se dégrade. Elle débute dans la toute petite enfance et les premiers signes apparaissent généralement quelques années plus tard, aux alentours de 8-9 ans. Elle se traduit tout d'abord par une atteinte du nerf optique, des crises d'épilepsie pour évoluer vers une cécité totale, des troubles cognitifs sévères, une incapacité à marcher, déglutir, etc.
Pour Chloé, aucun signe ni symptôme parlant avant 8 ans... Elle a été un bébé, vif et intelligent, puis une toute petite fille épanouie, aucun retard de croissance, bien au contraire. Pas de soucis de santé en particulier, à part juste une hypermétropie qualifiée de très forte. Mais au fil du temps, le comportement de Chloé paraissait de plus en plus étrange, elle s'enfermait dans son monde, présentait des troubles de la concentration, se faisait de moins en moins d'amis...et sa vue, au lieu de s'améliorer -ce qui est toujours le cas pour une hypermétropie dans l'enfance- s'aggravait, au grand étonnement de son ophtalmologue.
A 8 ans, première crise d'épilepsie, et dans le même temps son enseignant nous alarme sur le fait que sa vue semble baisser fortement, elle ne parvient plus à lire les leçons inscrites au tableau. Nous bataillons pendant des semaines afin de savoir ce qu'il se passe et allons d'ophtalmologues en orthoptistes, neurologues en pédo-psychiatres... rien, on tournait en rond. La seule réponse qui nous était faite était que Chloé simulait, qu'elle développait une phobie scolaire, ou bien pire, que tout cela n'était que le reflet de manquements éducatifs de notre part, son papa et moi... !!! C'est sa kiné qui a fini par nous orienter vers un ami à elle, qui travaillait au service d'ophtalmologie du CHU. Il l'a convoquée en urgence : après plusieurs examens poussés, le verdict est tombé : Chloé perd la vue, sa rétine est atteinte, quasiment plus réceptive aux stimuli...elle serait même déjà au bord de la cécité... De son côté, l'épilepsie s'est amplifiée et son comportement de plus en plus déstabilisant.
Quand nous avons appris cela nous résidions dans le dijonnais. Les médecins nous ont conseillé de l'inscrire dans une école spécialisée afin d'y apprendre le braille. Mais au même moment l'unique section brailliste (au Clos Chauveau) de la Côte d'Or, et de la Bourgogne entière fermait ses portes ! Restriction budgétaire. On nous a orienté vers Villeurbanne dans le Rhône.
A 9 ans, Chloé perdait la vue et devait partir en internat à 200 kms de chez nous pour y apprendre le braille.... Et ce qui est horrible à dire c'est que dans son malheur, Chloé a eu la chance d'être orientée au vu de la gravité de son handicap. J'ai rencontré plusieurs parents dont les enfants atteints de malvoyance, ne bénéficiaient d'aucun suivi au niveau scolaire, pas même une AVS !
Suivent ensuite des années d'errance médicale, sans aucun diagnostic....avec en parallèle un fort déclin des capacités cognitives de Chloé qui se voit redoubler son CM1, des troubles du comportement, une baisse de l'état général. C'est une amie, elle-même malvoyante, qui nous oriente vers le CARGO à Strasbourg (Centre des Affections Rares en Génétique Opthtalmologique) en 2017. L'équipe parvient alors à mettre un nom sur ce qui affecte notre fille : Batten, plus précisément une céroïde lipufiscinose de type 3 (CLN3). Un tsunami. Apprendre que son enfant est condamné. Mais en même temps une sorte de soulagement. Enfin nous savons, nous mettons des mots et des explications sur ce mystère qu'était notre fille.
Le Journal de l'insoumission : Depuis la perte de la vue de Chloé en passant par la découverte de sa maladie, quelles sont les conséquences sur la vie de famille ? Comment vivez-vous avec?
Emmanuelle : Les impacts sont multiples ; vivre avec un proche gravement malade est une épreuve difficile. Chloé est l'aînée de la fratrie, et pour ses frères et sœurs ça n'est pas toujours évident. Être frère ou sœur d'une personne handicapée et/ou malade n'est pas une mince affaire. On parle de la détresse des parents, des aidants proches, mais les frères et sœurs sont souvent les grands oubliés de l'histoire. Ils vivent des choses dures mais doivent continuer à avancer, à se construire et profiter de leur enfance. Nous tentons de les préserver au maximum, tant que possible, tout en protégeant Chloé. C'est parfois un jeu d'équilibriste. Mais nous sommes bien accompagnés malgré tout et on peut dire qu'on ne s'en sort pas si mal !
Au niveau du couple lorsque le handicap ou la maladie surgissent, ils peuvent facilement le briser. Son papa et moi, nous nous sommes séparés à l'annonce du handicap de Chloé, pas la même façon de gérer la douleur, le couple est ébranlé par la nouvelle et parfois ne parvient plus à retrouver son équilibre; il se brise. C'est assez fréquent malheureusement. Peut-être un suivi psychologique devrait être proposé aux familles pour palier à certaines difficultés ? Je ne sais pas si cela réglerait tous les problèmes mais ce serait déjà mieux que rien.
Le Journal de l'insoumission : Chloé vient d'avoir 17 ans. Comment vit-elle son adolescence ?
Emmanuelle : L'adolescence est généralement un moment délicat, où tout ce avec quoi on a grandi est remis en question.... Dans ces moments-là, on se raccroche à ses amis, ses passions. Pour une jeune ado atteinte de Batten c'est compliqué car la socialisation est délicate, du fait des troubles de langage, des comportements autistiques. Elle a quelques amies auxquelles elle tient énormément, et de nombreux centres d'intérêt, mais elle est souvent seule. Cependant, la structure dans laquelle elle est semi-interne, lui apporte beaucoup et elle y est entourée de jeunes de son âge. Ils se côtoient tous les jours, de nombreuses sorties sont organisées ainsi que des temps collectifs. Elle vit grâce à cela des choses de son âge, et c'est chouette !
Le déclin physique pèse aussi beaucoup dans sa vie d'adolescente et le fait de ne pas pouvoir se projeter... Mais Chloé, comme nombre d'enfants malades, est courageuse et volontaire. Elle sait se faire une fête de tout et la joie n'a pas quitté notre maison ni son cœur.
Le Journal de l'insoumission : La création de l'association VML a été nécessaire, est-ce par un défaut de la prise en charge des patients, des aidants par l'État ?
Jean-Marie : Au niveau médical, comme je le disais auparavant, la prise en charge s'améliore, la recherche avançant permet de faire de beaux progrès. Mais en effet, c'est bien parce que l'État faisait défaut que l'association a été créée et c'est toujours le cas. Il y a encore un énorme manque d'information médicale, et sur la dimension sociale ces personnes ne savent pas quelle place occuper au sein de notre société. En Angleterre, elles sont mieux renseignées au niveau médical et donc il y a une meilleure approche au niveau social. Cela donne le sentiment de ne pas être seul pour les aidants notamment, cela donne de la force pour avancer.
Le Journal de l'insoumission : Beaucoup de frais doivent être engrangés pour la prise en charge des différents handicaps de Chloé. Les aides sont-elles à hauteur des besoins ? La MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) vous soutient-elle suffisamment ?
Emmanuelle : Les aides existent. Mais le secteur du handicap se dégrade nous le constatons de plus en plus. Et là aussi c'est une bataille, qui vient s'ajouter à celle que nous menons contre la maladie. Nous avons dû attendre longtemps avant de pouvoir ouvrir un dossier auprès de la MDPH, et donc pouvoir bénéficier d'aides matérielles, ou bien encore humaines et financières... Pour certaines familles ce délai d'attente de traitement du dossier de prise en charge par la MDPH se compte en mois : 6, 8, 12, 15, ... Il manque toujours une pièce, que bien évidemment nous leur avions pourtant déjà fournie !
J'ai aussi été choquée de constater qu'en déménageant et donc en changeant de département, les prises en charge de la MDPH n'étaient pas les mêmes ! Une réelle disparité géographique. Nos aides ont largement baissé en passant de la Côte d'Or à la Nièvre ! Et nos besoins, quant à eux étaient pourtant les mêmes ! Nous vivons pourtant tous le même pays, non ?
Un jour, je reçois une nouvelle notification de la MDPH me réduisant les sommes que je perçois. Je passe un appel, la personne me répond que oui c'est bien normal car il faut maintenant que j'envoie tel ou tel papier afin de prouver que je ne fraude pas, car « vous savez, nous partons du principe que tout le monde cherche à frauder » … Quelle considération pour les personnes handicapées et leurs proches! C'est parfois rocambolesque... Vous savez j'avais une amie handicapée, atteinte de nanisme, qui, tous les 5 ans devait prouver par maints justificatifs que son handicap n'avait pas évolué, qu'elle était bien toujours naine et n'avait pas grandi !!! C'est ahurissant !
La maladie de Batten génère des troubles graves et variés, qui amènent au polyhandicap sévère. Nous essayons d'adapter notre maison, mais ce n'est pas toujours évident. Les aides et prises en charge existent mais elles sont très restrictives et limitées. Si par exemple nous sollicitons une aide financière pour installer une rampe d'accès, cela doit répondre à un cahier des charges très strict qui ne peut s'appliquer à notre habitation, et en plus nous ne pourrons plus faire une autre demande pour adapter la salle de bains, car nous dépasserions le plafond. De plus, il faut s'y prendre plusieurs mois à l'avance. Pour le véhicule c'est la même chose, la MDPH ne finance l'aménagement d'un véhicule que sous certaines conditions : neuf ou quasiment neuf (les véhicules d'occasion sont tolérés mais dans une certaine limite). Je dois acquérir un véhicule plus grand que ce qu'il me faut pour pouvoir l'aménager afin d'y installer le fauteuil roulant de Chloé, je dois donc mettre un prix bien plus élevé. Son aménagement sera pris en charge mais aucune aide sur l'acquisition du véhicule en soi, aucune prise en compte de cette réalité.
La grosse difficulté, me semble-t-il, est celle des structures et lieux d'accueil. À l'annonce de la perte de sa vue, Chloé a dû partir dans un EREA (Etablissement Régional d'Enseignement Adapté) à Villeurbanne. Peu de temps après est survenue la réforme des EREA. Avant la réforme, le personnel encadrant à l'internat était alors constitué d'éducateurs, moniteurs-éducateurs, AMP. Après, l'effectif du personnel s'est réduit pour se voir constitué de plus en plus d'assistants d'éducation ! De simples pions ! Je n'ai rien contre eux mais on parle bien de gérer la vie quotidienne d'enfants handicapés ! Ensuite par chance, nous avons trouvé une chouette structure dans l'Allier à Yzeure. Mais force est de constater que rien n'existe en Bourgogne et que les jeunes déficients visuels n'ont pas droit à une scolarité proche de leur domicile. La plupart, dès tout petits, vivent en internat. C'est un peu une double peine pour eux et leurs proches.
Le Journal de l'insoumission : Quelles seraient pour vous les mesures qu'il faudrait prendre en urgence et à long terme pour améliorer le quotidien des patients et des aidants ?
Jean-Marie : Alors beaucoup de choses sont à faire. La société prêtant être inclusive, mais en réalité ces enfants sont mis à l'écart, ils sont en dehors d'une vie sociale. Et pour les aidants, il y a un manque de moyens, on doit concilier entre le travail, la vie de famille, la vie sociale et associative. C'est très compliqué pour tout gérer. À court terme, il y a un problème avec l'AAH (Allocation adulte handicapé) qui n'est pas nominative, elle doit être désolidarisée des revenus du ménage. Le versement de cette allocation ne doit pas se faire en fonction des revenus du conjoint.
Au niveau de la recherche, VML est pour que l'État finance et que ce ne soit pas uniquement des mouvements collectifs comme ce qui faisait dans les pays anglo-saxons dans les années 70 style téléthon, en mode show. Un des problèmes au niveau de la recherche, c'est que les firmes pharmaceutiques n'ont pas d'intérêt pour faire des recherches sur les maladies rares.
Le Journal de l'insoumission : Pas assez lucratif ?
Jean-Marie : Oui, tout à fait. Trop peu de malades seraient concernés par ces thérapies et donc ce ne serait pas assez rentable.
Emmanuelle : Pour faire simple : établir des aides égales et fixes dans tout le territoire, sans disparité géographique ; créer des structures d'accueil, avec du personnel qualifié en nombre, et ce dans tout le territoire ; revaloriser et mieux rémunérer les métiers du soin et de la santé, en structure comme à domicile.
Le Journal de l'insoumission : Beaucoup d'annonces et de promesses mais concrètement avez-vous l'impression que depuis la création de l'association, il y a une amélioration dans la prise en charge du handicap ?
Jean-Marie : Il y a eu un moment clé lorsque les MDPH ont été créées. Cela a changé beaucoup de choses. Mais au final, cet outil n'est pas assez égalitaire, pas simple à manier. Face à la MDPH, les usagers rencontrent en plus de leurs difficultés médicales, des difficultés administratives, ce n'est pas très aisé. De plus, il y a eu la « découverte » des proches aidants, qui depuis sont un peu plus pris en compte, et ont, par exemple, pu obtenir un an de prise de congé afin de pouvoir s'occuper de leur conjointe, enfant, parent mais ce n'est clairement pas assez. On peut dire que des progrès dans la prise en charge ont eu lieu mais au final ce n'est jamais assez.
Une loi a été prise le 11 février 2005 pour que tout établissement recevant du public soit accessible à toutes personnes en situation de handicap. Nous voilà presque 17 ans plus tard et ce n'est toujours pas fait. Il reste trop de lieux inaccessibles à ces personnes. Pour rester dans le pragmatisme, un décret va bientôt sortir sur les modalités de remboursement des fauteuils roulants. Il ne sera plus possible de posséder deux fauteuils roulants, si l'on souhaite s'en faire rembourser un il faudra rendre celui que l'on possède déjà. En gros, si vous souhaitez acquérir un nouveau fauteuil et que vous sollicitez des aides auprès de l'Assurance maladie « l'assuré signe un engagement de restitution lors de l'achat de son véhicule » précise le texte, donc vous devez restituer votre ancien fauteuil. Vous ne pourrez plus le garder. Et il ne sera pas autorisé de faire des demandes pour l'acquisition de deux fauteuils en simultané, un seul suffit évidemment ! Et cette demande d'aides au niveau des fauteuils, ne pourra se faire que tous les 5 ans. Tout ceci n'est pas acceptable. Dans certaines situations, il est très pratique d'avoir deux fauteuils roulants, et la plupart d'entre eux ont été payés par les familles sans aides financières. Une autre difficulté qui n'est pas prise en compte, est celle des foyers séparés. Ces situations entraînent forcément deux fois plus de besoins pour adapter chaque foyer, donc deux fois plus d'aides tant humaines que matérielles et financières.
L'austérité entraîne une réduction de la solidarité, même en matière de handicap.
L'ONU a dernièrement sorti un rapport sur les personnes en situation de handicap en France. Et le bilan n'est pas vraiment bon. Surtout au niveau de la notion d'inclusivité. « Ce n'est pas le fait d'augmenter le budget qui va faire que la France sera un pays égalitaire et inclusif. Ce sont des moyens qui sont encore une fois fléchés vers la construction d'établissements spécialisés. Ce n'est pas de la politique inclusive » selon le rapport. Pour l'ONU et comme pour le collectif CLHEE, ce sont des moyens humains qu'il faut en nombre pour permettre une meilleure inclusivité, et non plus de centres.
En fonction de certaines décisions politiques, notre tâche se complique. Indirectement, l'État par la réduction d'impôts de 66 % liés aux dons faits par les particuliers, finance les associations. En supprimant l'ISF (Impôt sur la fortune), des personnes qui, par un montage financier pour voir réduire leurs impôts donnaient aux associations, ont arrêté de le faire et en conséquence, quasi plus personne ne les finance dorénavant. Depuis la crise COVID, nous faisons face à d'autres soucis. Nous avons beaucoup moins d'adhérents, il y a un désengagement massif. Les nouvelles familles ne se rapprochent plus de nous, ce par manque d'information. Et d'un autre côté, beaucoup de familles créent leur association pour leur enfant. Cela démontre une sorte de repli, la perte de solidarité nous mène à l'individualisme, ce qui est dans l'air du temps.
Par contre, cette crise a démocratisé la communication via les visios, ce qui a permis de créer des groupes d'échanges, de contrer l'éclatement social, de se rapprocher malgré l'éloignement géographique.
Le Journal de l'insoumission : L'association Tes Yeux bleus a été créée en 2016. Dans quel but ?
Emmanuelle : Lorsque nous avons créé l'association, nous n'avions pas encore de diagnostic, Chloé était atteinte de cécité et d'épilepsie. Nous étions perdus et ne savions pas vers qui nous tourner. Il est vrai que bien souvent les familles n'ont pas connaissance que des associations existent. Son état de santé se dégradait, et nous voulions lui venir en aide. Le but était de l'aider à réaliser ses rêves, mener à bien ses choix de vie. Nous avions également pour but de soutenir d'autres enfants atteints de déficience visuelle. Nous avons en 2017, offert une semaine de vacances en famille ainsi qu'un stage d'équitation pour une jeune adolescente non-voyante. Maintenant que nous avons un nom sur sa maladie, nous nous sommes rapprochés de l'association VLM mais Tes Yeux Bleus existe encore et nous menons des petites actions afin de sensibiliser et continuer à récolter quelques fonds et tenter de pourvoir aux coûts élevés des nombreux aménagements et solutions d'hébergement à venir (ateliers d'initiation aux techniques de guide d'une personne déficiente visuelle, dégustations à l'aveugle etc..). De nombreux parents d'enfants malades constituent ainsi une association, c'est une façon de canaliser sa détresse, de transformer tout cela en une énergie positive, constructive, de mobiliser le maillage local, mais aussi une façon d'apporter une réponse sur-mesure aux difficultés financières, aux problèmes de prise-en-charge.
Le Journal de l'insoumission : Quels sont les combats à venir ?
Emmanuelle : La santé de Chloé va continuer à se dégrader, et il faudra pour cela sans doute une aide respiratoire et d'autres appareillages et suivis techniques. Rester à la maison sera sans doute impossible. Nous vivons dans une région rurale isolée dans laquelle même l'Hospitalisation À Domicile (HAD) est difficile à mettre en place. Nous bénéficions déjà d'aides à domicile mais la structure qui les emploie peine à recruter et elles ne sont pas assez nombreuses.
Une des solutions serait d'obtenir une place dans une structure pour adultes polyhandicapés en foyer d'accueil médicalisé. Mais pire encore que pour le secteur de l'enfance handicapée, celui de l'âge adulte est plus que bouché. Il n'y a pas assez de lieux et les listes d'attente sont de l'ordre de plusieurs années.
Dans le cadre de la maladie de Chloé, nous aborderons d'ici 4 ou 5 ans sa fin de vie, nous ne pouvons pas attendre comme il nous l'est demandé. Nous n'avons pour l'heure aucune solution...
Rachel Outhier
Crédit photo : Rachel Outhier

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