Rencontres

Marie Mesmeur est étudiante en doctorat de sociologie à l’université de Brest et Secrétaire Nationale de l’Alternative, une fédération d’associations et de syndicats étudiants locaux engagés dans 37 établissements et devenue la deuxième organisation étudiante représentative derrière la FAGE, et première organisation syndicale d’opposition devant l’UNEF.

Cette rentrée universitaire aura lieu après une année marquée par la crise du Covid. En janvier 2020, le président de la République avait annoncé vouloir réformer les bourses sur critères sociaux. Une revalorisation des bourses de 1 % pour la rentrée a finalement été annoncée. Les mesures du gouvernement sont-elles à la hauteur ?

Pour les étudiants et étudiantes, il s’agit d’une année universitaire et demie marquée par la crise du Covid. Entre isolement social, précarité financière, alimentaire, de logement, détresse morale massive… la jeunesse n’a pas été épargnée. Nous avons tous et toutes en tête les queues alimentaires hebdomadaires sans fin, ou encore les annonces de suicides de jeunes.

1 étudiant·e sur 2 travaille en parallèle de ses études, c’est d’ailleurs la première cause d’échec à l’université. Aussi, ces dernier·es ont perdu leurs deux sources de revenus : celui du travail, mais également celui de la solidarité familiale car les familles ont, elles aussi, été très impactées par la crise.

Par ailleurs, la précarité étudiante, multidimensionnelle, n’est pas une nouveauté. Elle a simplement été mise en lumière et exacerbée par la crise sanitaire et sociale. La précarité étudiante est structurelle. Elle est due à un système de bourse archaïque, qui date de l’après seconde guerre mondiale et qui n’a pas évolué en parallèle de la massification de l’enseignement supérieur.

La seule protection existante pour nous est ce système de bourse périmé. Ce dernier prend en compte les revenus des parents et donc fait dépendre l’étudiant·e de son système familial. Il exclut 3/4 des étudiant·e·s par ses conditions. Il s’étend sur 8 échelons allant de 104€ à 573€/ mois. La grande partie des étudiant·e·s sont aux échelons inférieurs et reçoivent entre 100 et 200€ mensuels. Même celles et ceux qui ont droit à 573€/mois touchent près de 500€ de moins que le seuil de pauvreté.

Ce système de bourses est, vous l’aurez compris, totalement dépassé. Nous en attendons une refonte complète. Cette dernière est promise par Frédérique Vidal depuis plus d’un an et demi. Pour nous, la revalorisation dernièrement appliquée est loin d’être suffisante, à la fois parce qu’elle ne répond pas à la problématique structurelle et à la fois parce qu’elle ne prend pas en compte le coût de la vie. Nous continuons à exiger une réforme globale des bourses.

Cet été, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche a annoncé le principe de cours « 100 % en présentiel ». Les étudiants n'auront pas à présenter de pass sanitaire pour assister aux cours et à l'ensemble des activités ouvertes sur les campus. Comment réagissez-vous aux annonces de Frédérique Vidal ?

Le 100% présentiel de Frédérique Vidal n’a aucune autre réalité que médiatique. Dans la pratique, on a des remontées de rythmes de cours alternés où seulement la moitié d’une promotion peut assister en présentiel aux cours une semaine sur deux, ou encore, des universités où seuls les TD sont en présentiel.

La raison est simple, les amphis ne sont plus assez grands et ne permettent pas une bonne distanciation physique. En fonction des salles, des dizaines d’étudiant·e·s, bien avant la covid, ne pouvaient pas s’installer pour suivre les cours. C’est pour cela que nous demandions, depuis longtemps, le recrutement de personnels et la réquisition de salle permettant une réelle rentrée en 100% présentiel à la hauteur, avec les distanciations physiques possibles.

Concernant le pass-sanitaire, nous sommes satisfait·es qu’il ne soit pas obligatoire. En revanche, nous attendons des établissements qu’ils mettent en place une réelle stratégie vaccinale avec des centres de vaccination à proximité ou sur les lieux d’études.

Concernant les modalités d'examen, une circulaire du 5 août dernier du ministère indique que les examens pourront « être organisés en présentiel ou distanciel, au libre choix de l’établissement ». Qu'en pensez-vous ?

Sans surprise, nous dénonçons cette annonce qui laisse la place à la différenciation locale.

En temps de crise sanitaire et sociale, le gouvernement aurait dû imposer des gardes fous. Frédérique Vidal a communiqué majoritairement par courrier avec les président·es d’universités, sans jamais leur astreindre des actions particulières. Ainsi les modalités d'examens ont été fortement inégalitaires d’une université à l’autre.

Certaines ont été bienveillantes et ont mis en place des rattrapages et des compensations en faveur des étudiants et étudiantes. D’autres universités en ont profité pour sélectionner, ne permettant pas de session de rattrapages, ou en créant de toute pièce des diplômes mention « examen en présentiel ». Nous dénonçons cette situation. Face à une ministre sourde et aveugle, nos moyens d’actions aujourd’hui sont majoritairement dans ces conseils locaux universitaires.

À moins de 8 mois de l'élection présidentielle, quel bilan général tirez-vous du quinquennat d'Emmanuel Macron ?

Au-delà de la gestion de la crise sanitaire et sociale, Emmanuel Macron a aggravé la précarité de la jeunesse.

Ces 4 dernières années sous Macron ont commencé par une baisse de 5€/mois des aides au logement, puis par la réforme du calcul de ces mêmes aides. Ce qui a impacté directement les étudiants et étudiantes.

De plus, Emmanuel Macron a instauré une taxe étudiante de 92€, la Contribution de Campus et de Vie Etudiante (CVEC). Une taxe floue, absolument pas transparente, utilisée de manière différente d’une université à l’autre, dont les étudiant·es n’observent pas ou très peu les retombées concrètes, et qui a servi de caisse de solidarité durant la crise sanitaire. Il a aussi désindexé l’augmentation annuelle des bourses par rapport à l'inflation tout en ancrant dans la loi l’augmentation annuelle des frais d’inscription en fonction de ce taux d’inflation. C’est aussi sous ce gouvernement qu’a été mis en place le plan « Bienvenue en France » qui augmente les frais d’inscription - de 170€ à 2770€ en licence et de 243€ à 3770€ en master- pour les étudiant·es extra-communautaires, qui étaient pourtant déjà les plus précarisé·es d’entre nous.

Emmanuel Macron, c’est également le président qui met en place des réformes successives de précarisation, de libéralisation et de privatisation de l’enseignement supérieur et de la recherche : mise en place de la sélection, fonctionnement par appel à projet, valorisation des diplômes privés types bachelors et mastères au dépit des diplômes publics…

De Parcoursup, à la Loi de Programmation de la Recherche, par la réforme des Bachelors Universitaires Technologiques, par le renforcement de la sélection en Master, ou les fusions d’établissements… et sans en faire toute la liste, nous pouvons dire qu' Emmanuel Macron est directement responsable de la désastreuse situation des établissements universitaires et de l’aggravation de la précarité chez les étudiant·es.

Plutôt que de former une grande partie de la jeunesse pour atteindre un haut niveau de qualification pour répondre aux enjeux de notre temps comme la nécessaire bifurcation écologique, le bilan d'Emmanuel Macron est le fruit direct d’une politique qui veut contraindre la jeunesse à une vie de travail précaire et sous-payés.

Une mission d’information du Sénat sur les conditions de vie étudiante présentait son rapport le 6 juillet dernier afin d'améliorer la condition de vie des étudiant·es. Adopté à l’unanimité, celui-ci proposait la remise à plat du système de bourses, le prolongement du ticket de restaurant universitaire à un euro ou encore de favoriser les petites universités pour l’enseignement du premier cycle. Que pensez-vous de ces préconisations ? Quelles sont pour vous les principaux chantiers afin de refonder l'enseignement supérieur ?

Nous sommes bien évidemment en accord avec ces préconisations. La question est aujourd’hui simple : au-delà de tout calcul financier, quel projet de société nous voulons ? Au sein de l’Alternative nous défendons un projet de transformation sociale. Celui-ci passe par l’autonomie et l’émancipation de la jeunesse. Nous revendiquons une refonte globale du système de bourse et la mise en sécurité sociale de l’ensemble de la jeunesse en formation. Il faut que les jeunes puissent étudier sans se préoccuper de leurs conditions matérielles d’existences afin qu’ils et elles soient disponibles pour se former.

Pour cela, il est nécessaire d’augmenter les bourses progressivement jusqu’au seuil de pauvreté, d’augmenter également le nombre de boursier·es pour tendre vers une universalité, étendre les bourses sur 12 mois et non 10, ouvrir l’accès aux bourses aux étudiant·es étranger·es. D’ici là, il y a des étapes intermédiaires et/ou complémentaires comme calculer les bourses sur les revenus des étudiant·es et non plus de leurs parents, rouvrir le repas à 1€ à toutes et tous, rendre gratuites les consultations psychologiques, ou encore, ouvrir le RSA au moins de 25 ans…

Au-delà de la mise en protection sociale des jeunes en formation, pour nous, le deuxième chantier majeur est la refondation d’un service public de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) unifié. Cela passe par la démocratisation de l’ESR. Il faut supprimer la sélection, qu’elle soit par dossier ou par l’argent et également supprimer la différenciation des diplômes. C’est-à-dire, mettre en place la gratuité, le libre accès et la proximité des études avec des financements pérennes et un cadrage national... loin des privations et de la mise en concurrence des établissements et des diplômes.

Anthony Brondel
Crédit photo : Gabriel Rupert

 

 

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