Rencontres

La disparition récente de 13 soldats français au Mali a rappelé la guerre que la France y mène.

Auparavant, les massacres récurrents de civils ou de soldats maliens avaient mis en évidence la dégradation de la situation. Dans une Ve République où le Président concentre les décisions militaires, il est crucial que les élus de la Nation réclament des comptes à l’exécutif sur sa stratégie dans les conflits où nos forces armées sont engagées.
Bastien Lachaud, député insoumis de la Seine-Saint-Denis et membre de la commission de la défense à l'Assemblée nationale, figure parmi les rares à l’avoir fait. Entretien réalisé par Aurélien Le Peletier.

Aurélien Le Peletier : Que fait la France au Mali ?

Bastien Lachaud : Rappelons le récit officiel élaboré sous F. Hollande et repris par E. Macron. En janvier 2013, des groupes armés du nord du Mali fondent sur la capitale Bamako. Le gouvernement français affirme que ce pays risque de devenir un nouvel Afghanistan, un foyer de djihadistes qui planifieront des attentats à l'étranger. Il s’appuie sur l’appel à l’aide du militaire putschiste à la tête du Mali et un accord bilatéral de 1985 pour donner un paravent légal à une intervention. Ainsi a débuté l'opération Serval, à savoir le bombardement des pick-up filant vers le sud. Elle a été suivie par Barkhane, la traque des groupes armés sévissant au nord. Dernièrement, le chef d'état-major des armées, le général Lecointre, a même affirmé que ces opérations avaient évité une hausse du flux des migrants en provenance ou de passage dans la région, donc endigué la montée de l'extrême-droite. Cet argument est extravagant, mais largement mobilisé. Voilà pour la théorie. En pratique, la France est en train de perdre au Mali une guerre ingagnable.

ALP : Que voulez-vous dire ?

BL : L’analyse initiale était fausse et les objectifs indéfinis, donc inatteignables. Le slogan de « la guerre au terrorisme » a conduit à tout mélanger. Le terrorisme est un procédé, pas un ennemi : on n'en vient pas à bout par la force. On a négligé les facteurs politiques du chaos malien. Le djihadisme s’est greffé sur de vieilles blessures : un des pays les plus pauvres du monde, ravagé par les politiques d'austérité exigées par le FMI, un sentiment national inégal entre nord et sud, une crise écologique qui avive la concurrence entre communautés pour les ressources... Ajoutons que la guerre déclenchée en Libye par N. Sarkozy a disséminé au Sahel quantité d'armes et de mercenaires du régime de Kadhafi. Là est la vraie ressemblance avec l'Afghanistan : des dirigeants obstinés, manipulant l’idée de menace sur l'intérêt national, ont agi dans l’opacité. Le Parlement ne s’est jamais prononcé sur le maintien de nos soldats au Mali.

ALP : La France a pourtant des intérêts dans la région, non ?

BL : Bien sûr ! Mais pas forcément ceux dont on parle. Des Français vivent là-bas, comme de nombreux binationaux de part et d'autre de la Méditerranée. Ce n'est pas négligeable. Mais les intérêts vitaux de notre pays ne sont pas menacés. Certes l'uranium du Niger voisin demeure indispensable au fonctionnement des centrales nucléaires françaises, mais l'approvisionnement aurait pu être assuré autrement que par l’envoi de 4 500 hommes au Mali. L'hypothèse selon laquelle cette guerre viserait l'exploitation de matières premières ne résiste pas à l'examen : la prospection au nord du Mali n'a pas été concluante. Alors pourquoi y être allé et resté ? Il y a un ensemble de causes : le vieux réflexe de la Françafrique d’un exécutif français jouant au grand frère, des liens tissés au sein de l'Internationale socialiste entre l'actuel président Ibrahim Boubacar Keïta et F. Hollande et ses proches ont joué. Enfin et surtout, la guerre peut avoir des effets positifs sur la popularité des pouvoirs faibles : F. Hollande dit avoir vécu « le plus beau moment » de sa vie politique quand il a été acclamé par la population de Bamako et a gagné quelques points dans les sondages...

ALP : Justement, que reste-t-il de cet enthousiasme ?

BL : Rien. La désaffection s’est muée en hostilité à l'égard d'une armée qui n’a pas pacifié le pays. Comment reprocher aux Maliens de trouver inadéquate cette présence militaire de l'ancien colonisateur ? Notre armée n’est pas en cause, mais notre gouvernement si. Il n'a pas de stratégie. À peine élu E. Macron a prétendu avoir un plan reposant sur l’implication des pays voisins du Mali dans une force commune. Mais en 2020 ce G5 Sahel n’existe que sur le papier. Les groupes armés se sont éparpillés dans la zone, et les pertes humains s'accroissent au Mali, au Burkina Faso et au Niger.

ALP : Que faudrait-il faire ?

BL : On ne peut partir immédiatement, mais il faut se donner un calendrier de retrait, cesser la fuite en avant militaire. La démocratie dans la région est à l’agonie. Or, elle seule peut donner la force suffisante aux peuples pour supporter ces épreuves. L’État malien n'assure plus ses missions. La confiance entre Maliens est cassée. Il faut la restaurer en réimplantant l’État là où il a disparu, ouvrir des écoles, des dispensaires, des tribunaux... et ne pas laisser des puissances réactionnaires remplacer les services publics par des officines islamistes. J'ai dit ailleurs qu'il faudrait prendre les groupes armés dans un “étau de prospérité”. Les mines qui tuent nos soldats sont le plus souvent posées par des individus qui ne sont pas des djihadistes. Ils ont juste reçu pour ce faire l’équivalent de plus d'un mois de revenus. Or l'aide au développement est dérisoire comparée aux dépenses militaires d’au moins 650 millions d'euros par an. Enfin, il faut protéger le Mali des luttes d'influence d’autres puissances étrangères comme la Turquie, l'Arabie saoudite voire la Russie, notamment en remettant en selle les organisations internationales légitimes, à commencer par l'ONU.

Photo : Stéphane Burlot

 

 

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