
Rencontres

À la rencontre de Gilles Perret réalisateur de « L'insoumis » qui sortira en février 2018. Un film qui nous fera approcher l'homme, le militant dans l'intimité de la campagne présidentielle.
Propos recueillis par Manon Le Bretton
Après La Sociale, sorti en novembre 2016, qui retraçait l’histoire de la Sécu - « L’histoire d’une lutte qui n’est jamais finie », Gilles Perret, réalisateur de films documentaires, prépare la sortie en salles de L’Insoumis, pour lequel il a suivi au jour le jour Jean-Luc Mélenchon dans la campagne présidentielle.
Manon Lebretton : Pourquoi avoir fait le choix de filmer la campagne de Jean-Luc Mélenchon ?
Gilles Perret : Il se trouve que je connaissais J-L Mélenchon qui avait participé à un de mes films précédents. Quand j’ai discuté avec lui, je me suis dit que c’était un personnage de film. J’ai eu envie de tourner avec lui un film politique, tourné vers l’avenir, et un portrait du bonhomme. Je voulais filmer ce moment qui est important non seulement dans sa vie à lui, mais aussi dans la vie de la France ; observer les traits de caractère et les tensions qui peuvent exister à la fois dans le pays et chez lui comme être humain. Et puis je savais que je ne m’ennuierais pas ! Bien sûr, on peut trouver des gens dans les camps opposés qui ont du caractère, mais je n’ai aucune envie de porter leur idéologie, c’est un vrai choix de ma part. Quand Serge Moati disait qu’il s’était fait happer par [Jean-Marie] Le Pen, bien sûr : Monsieur Le Pen aime son chien, il aime sa femme... mais il n’avait qu’à pas y aller ! J’ai choisi J-L Mélenchon parce que même si je ne suis pas forcément d’accord avec tout, il a un programme qui sur les questions environnementales et sociales me correspond. Mais je ne fais pas des films de communication politique : je fais des films pour le cinéma. L’idée première c’est donc qu’il y ait des sentiments, de l’humain, et suffisamment d’affects pour que les gens soient pris dans cette histoire-là, et que ce ne soit pas un film de journaliste, sur les stratégies de campagne.
ML : Filmer la campagne d’un insoumis, est-ce un appel à l’insoumission ?
GP : Je ne vais pas me cacher derrière une pseudo-objectivité : c’est un film avec un point de vue assumé sur un moment important qui nous concerne tous dans nos vies. J’essaie de faire des films, et en particulier celui-ci, qui ne soient pas de simples produits de consommation, mais qui soient supports à discussion, qu’on soit d’accord ou pas, pour faire avancer la réflexion. Il faut aussi que les gens sortent en ayant été émus, et peut-être ébranlés : certains seront peut-être en colère contre Jean-Luc Mélenchon, et d’autres se diront « Il est formidable ! ». Je ne veux pas que mes films soient tièdes, j’aime que les cinéastes aient quelque chose à dire, qu’ils bousculent un peu la société ou en tout cas qu’ils la questionnent. Mes films s’adressent à tout le monde : en donnant à voir un autre visage du personnage, à la fois par le côté humain mais aussi par la réflexion intellectuelle, et en n’utilisant pas forcément la dialectique politique habituelle, j’espère que celui-ci peut amener des gens à réfléchir sur les thèmes qui sont portés par L’Avenir en Commun. Mais je reste dans mon champ d’action, qui est le cinéma.
ML : Ce film a-t-il changé votre regard sur l’homme, le mouvement, la politique ?
GP : Filmer une campagne présidentielle c’est forcément intéressant, on voit les choses de l’intérieur. Mais cette campagne-là en particulier : c’était quand même sacrément dynamique, il y avait une super équipe de jeunes, motivés, avec plein d’idées, ça fusait de partout... J’ai appris beaucoup. Et puis avec Jean-Luc on est toujours moins con le lendemain que la veille, de par sa culture et tout ce qu’il a envie de transmettre. C’est sa vie d’ingurgiter, d’analyser, de transmettre et de convaincre. Par ailleurs le personnage est à peu près conforme à ce que j’imaginais : quelqu’un de très sensible et très direct. C’est ce que j’apprécie en général - et qui est finalement assez rare dans le milieu politique : un rapport d’homme à homme, sans filtre.
ML : Quels choix de réalisation avez-vous faits lors du tournage de ce film, destiné au cinéma ?
GP : Ce que j’estime être du cinéma, c’est quand il y a de l’émotion, et quand on laisse du temps à la pensée pour s’exprimer. Concrètement, j’ai l’habitude de travailler le plus discrètement possible, pour être au plus près de la personne que je filme. J’ai fait le choix d’être tout seul pour ne pas perturber l’équipe, et j’ai cherché une relation de confiance. C’est pour ça qu’il y a de beaux moments d’échange entre nous, sur le vif. On n’a jamais installé Jean-Luc dans un salon pour qu’il raconte sa vie / son œuvre : on discutait dans le train, dans la voiture, dans des moments de pause. Nous avions convenu avec Jean-Luc et Sophia Chikirou [Directrice de la communication de campagne, NDLR] que je serais présent y compris dans les moments de décision, les moments de « l’intimité » de la campagne. Le but étant d’arriver à capter des moments inattendus, d’émotion, de rire... J’ai filmé aussi des moments difficiles : j’étais par exemple avec lui à une émission de France 5 avec entre autres Patrick Cohen sur le plateau, et la charge était assez violente contre lui. Même s’il s’en est très bien tiré à l’antenne, il est sorti laminé, meurtri. Bien sûr on se pose alors des questions : est-ce qu’il faut filmer, ne pas filmer… Ce sera finalement une séquence forte du film, humainement parlant. Avec l’expérience, d’une manière générale je filme tout pour ne pas avoir de regrets, en sachant que j’aurai ensuite du temps pour monter et faire ces choix.
ML : Comment avez-vous pensé chacune des deux versions ?
GP : Le projet de départ était de faire un film pour le cinéma, c’est dans un second temps que nous avons eu l’opportunité de faire la version 52 minutes pour LCP. Celle-ci a un côté très « chronique de campagne », très rythmé : il a fallu s’adapter à la forme. Dans la version cinéma, en cours de montage, on n’a pas seulement ajouté des séquences à la première : un bon tiers de la version courte a été supprimé. Le temps aussi fait qu’on change de forme et de centres d’intérêt : le film devrait sortir en février, on sera donc un peu loin de la campagne. On veut donner la priorité à l’avenir et à la pensée plutôt qu’aux questions de stratégies de campagne, aux positionnements vis-à-vis de Hamon, Jadot etc. : la 2e version est destinée au temps long. Ce qui ne veut pas forcément dire un film long ! Je me demande toujours en faisant mes films : comment mes voisins, qui ne votent pas comme moi, regarderaient ça ? Il faut arriver à toucher les gens sans les assommer, pour s’adresser à tous. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, Jean-Luc est quelqu’un qui intéresse, il ne laisse pas indifférent ; il faut donc aussi que les gens qui viendront voir mon film par curiosité ne soient pas rebutés par la durée du film.
ML : Comment sera financée et diffusée cette version pour le cinéma ?
GP : Après la version de 52 minutes, pour laquelle tout le monde a été payé, on n’a plus un euro pour financer cette version-ci : c’est pourquoi nous lançons un appel à souscription. D’abord, ce n’est pas forcément évident de trouver un organisme qui accepte de financer un film comme celui-ci ! Mais c’est aussi un gage d’autonomie, et quand les gens souscrivent, ça leur permet de s’impliquer dans l’aventure et d’être un peu partie-prenante dans la réalisation. La bonne nouvelle c’est que c’est un distributeur assez important en Art et essai qui a accepté de le faire circuler, et qui permettrait une diffusion plus large que pour La Sociale. On est donc très motivés et on a besoin de souscripteurs nombreux. Pour l’instant on n’a rien, mais on y croit : on repart de zéro mais pas avec zéro motivation !
Retrouvez la souscription sur: http://www.linsoumis.org/
Propos recueillis par Manon Le Bretton
Photo : Stéphane Burlot

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