Lire et sortir

Conseillère en Économie Sociale et Familiale (CESF), Katia Yakoubi accompagne les personnes bénéficiaires du Revenu de Solidarité Active (RSA) qui sont dans des précarités diverses dont notamment celles en lien avec la santé.

Dans « Les patates chaudes », elle raconte son métier de travailleuse sociale dans le centre-ville de Marseille, un des territoires aux arrondissements les plus pauvres d'Europe selon l'Insee.

À travers son témoignage de professionnelle, s'appuyant sur des situations vécues, elle casse le mythe de l'assistanat et dénonce la dégradation des conditions d'accompagnement des allocataires, la perte de sens du métier de travailleuse sociale et la maltraitance institutionnelle des bénéficiaires du RSA, baladés de services en services comme des « patates chaudes ». 

Militante associative et politique, s'appuyant sur son expertise, elle propose des solutions, en particulier la mise en place d'une « une troisième voie entre RSA et AAH » qui prendrait en charge un public en situation de précarité avec une difficulté de santé mentale.

Un livre « coup de gueule », instructif et sourcé qui permet de bien comprendre le rôle sociétale et l'importance du métier de travailleur social. Pour que ces métiers retrouvent leur sens premier de l'humain « de l'accompagnement au bonheur, à la dignité, à la fraternité » plutôt que de l'économie d'argent et de la maltraitance sociale.

RSA : De la complexification des démarches au non recours aux droit

Au début du livre, Katia Yakoubi revient sur les conditions d'accès au RSA et sur les dispositifs de contrôle et d'accompagnement comme le Contrat d'engagement Réciproque ou le Projet Personnalisé d'Accompagnement à l'Emploi.

Elle y décrit la complexification et la déshumanisation des démarches et de l'accompagnement : la numérisation systématique, des rendez-vous sur place « quasi impossibles », des interlocuteurs par téléphone payants, et des temps de traitement des dossiers à la CAF « exagérément longs, faute de personnels. ».

S'ajoutant à la méconnaissance des droits et à la peur d'être stigmatisé, cette complexification des démarches a entraîné une hausse du nombre de non-recours aux droits chez les personnes en situation de précarité : « le Secours catholique nous révèle que 24 % des personnes éligibles au RSA ne le percevaient pas en 2010. Elles étaient 29 % en 2020. ».

Dénonçant le discours de stigmatisation des plus fragiles et ses conséquences, Katia Yakoubi défend l'accès aux droits et y voit « un enjeu pour l'avenir si on veut en finir avec la pauvreté et le creusement des inégalités sociales ».

Maltraitance institutionnelle et perte de sens du métier

Tout au fil de la lecture, Katia Yakoubi revient sur les conséquences du néolibéralismes et des économies réalisées sur le travail social, la novlangue managériale déshumanisante, le manque de moyen humain, la dégradation de l'accompagnement, la perte de sens du métier, le sentiment d'être démunie face à des commandes publiques qui deviennent « difficiles à réaliser ».

Elle y dénonce également une prise en charge psychiatrique et psychologique sans moyen, le manque de formation, les conséquences des fermetures de lits, la perte des capacités d'accueil et les appels des professionnelles de santé restés sans réponse, sur les atteintes réitérées portées aux droits et à la dignité des patients. Katia Yakoubi rappelle qu'il s'agit pourtant d'un « public vulnérable, qui peut représenter un danger pour lui même mais aussi pour les autres

Et ce n'est pas une petite question. À l'échelle nationale, rien que pour la schizophrénie, « 1 personne sur 100 est concernée, cela représente la totalité de l'agglomération Lyonnaise ».

Pour illustrer son propos, elle prend l'exemple de situations de personnes qu'elle accompagne. Comme celui d'un jeune homme en difficulté, dont la prise en charge par les parents et la famille proche est devenue impossible. Seulement 4 rencontres et 13 appels téléphoniques dans l'année, malgré le besoin d'accompagnement et une situation de vulnérabilité indiscutable.

Un suivi qui s'inscrit parmi 150 autres accompagnement qu'elle doit effectuer sur 35 heures de travail par semaine « sans compter les réunions internes, externes avec les partenaires, les visites à domicile et le travail administratif qui prend de plus en plus de place ».

Katia Yakoubi se questionne « Comment un travailleur social gérant une file active de 150 personnes avec tous les autres rendez-vous qu'il doit honorer, peut entamer un tel accompagnement dans la qualité et le respect de la personne ? C'est impossible ! »

Les limites de l'AAH et la nécessité d' une « troisième voie entre le RSA et l'AAH »

Katia Yakoubi revient sur les limites des conditions d'accès de l'AAH (Allocattion Adulte Handicapé).

Elle rappelle que beaucoup de personnes ne rentrent pas dans les conditions fixées pour être accompagnées - l'AAH est accordée que s'il existe une employabilité impossible avec un taux d'incapacité de 80 % -  mais aussi, que toutes les personnes ayant un problème de santé pouvant dépendre de l'AAH ne sont pas toutes reconnues, par manque d'information des droits mais aussi pour des difficultés d'ordre administratif.
Ainsi, un nombre considérables de personnes à la santé mentale fragile, éloignées du secteur de l'emploi, avec des difficultés à entreprendre des démarches administratives, notamment numériques, mais considérées comme « insuffisamment malades pour obtenir l'AAH », se retrouvent dans un dispositif non adapté à leur situation.

L'enjeu est alors de créer cette « 3ème voie » et un accompagnement efficient pour ne plus abandonner ce public aux maltraitances institutionnelles.

Anthony Brondel

Les patates chaudes, Katia Yakoubi, Vérone éditions, 148p, 15,50€
À retrouver sur le site internet de Vérone éditions

 

 

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