Lire et sortir

« Un monde à construire ensemble » est le récit d'un couple militant qui à travers son engagement écologiste,va s'intéresser aux modes de construction alternative au tout-béton. L'ouvrage revient sur l'aventure personnelle et militante du couple, riche et pleine d'humanité - faite avant tout de rencontres - et offre des pistes de réflexion sur les manières de construire ensemble un monde plus respectueux du vivant. Il donnera aux lectrices et aux lecteurs des arguments et des clés de compréhension autour des enjeux sociaux et environnementaux des choix de construction.

Un livre tiré d'une conférence gesticulée.

Méthode popularisée par Franck Lepage, la conférence gesticulée est construite par une personne ou un groupe à partir de ses expériences propres, auxquelles on va ajouter du savoir plus scientifique et théorique. C'est un acte d'éducation populaire fondé sur l'envie de partager notre propre vécu, ce qu'on a compris, tel qu'on l'a compris, là où on l'a compris pour délivrer un message politique.

De l'engagement « CONTRE », à l'engagement politique, en passant par l'expérience de l'autonomie, Emmanuelle Philippo-Poussol et Michel Philippo racontent dans ce petit livre, leurs parcours, leurs doutes et leurs raisonnements. C'est d'ailleurs là l'intérêt du livre comparé au traditionnel essai politique : comprendre comment un couple écologiste décide de s'engager dans la lutte, puis choisit de changer de vie pour l'autosuffisance avant de s'engager dans un mouvement politique.

La conférence « Terre en vue : BTP, pour nous c'est Bois-Terre-Paille » dont est issu le livre est disponible en vidéo sur la chaine Youtube de la Coopérative Citoyenne :

Ce livre est préfacée par une autre adepte de la méthode : Danièle Simonnet. L'élue du XXème arrondissement de Paris s'était également produite dans une conférence gesticulée intitulée « UBER, les salauds et mes ovaires ». La conseillère de Paris partage aussi avec les auteurs, la lutte contre les géant du BTP . En juillet 2016, elle a mené le combat pour dénoncer l'extraction intensive du sable et une convention pour Paris Plage entre la municipalité et la multinationale du BTP Lafarge-Holcim. Celle-ci étant d'ailleurs accusée par le journal Le Monde d'avoir payé DAESH pour pouvoir maintenir son exploitation d'une cimenterie dans les territoires occupés par l'organisation terroriste en Syrie entre 2013 et 2014.

Un engagement qui commence « CONTRE » un projet de cimenterie toxique

Tout commence à Tournai, en Belgique. Emmanuelle Philippo-Poussol et Michel Philippo sont tous les deux enseignants. Elle enseigne le français, lui la philosophie. Ils deviennent collègues et travaillent dans le même établissement. Ils ne s'intéressent pas encore aux questions de construction.

Mariés et jeunes parents, le couple décide de s'installer dans une maison dans le village de Gaurain-Ramecroix dans la commune de Tournai, à proximité d'une cimenterie – la CBB – qui fait partie du paysage local depuis de nombreuses années.

Le couple met en pratique ses valeurs écologiques. Il participe déjà à un SEL (système d'échanges locaux comptabilisés en heure plutôt qu'en argent), pratique le jardinage, roule à l'huile de colza, participe à un groupement d'achat de produits biologiques et décide de rénover  sa maison en prenant en compte une dimension écologique.

Mais rapidement, leur « idylle » est perturbée par un projet de la cimenterie : utiliser des déchets toxiques comme combustible pour faire chauffer leurs fours. Pour fabriquer du ciment, il faut en effet chauffer du calcaire et de l'argile à plus de 1800°C. L'utilisation des déchets toxiques permettaient ainsi à la cimenterie, de réaliser des économies sur le pétrole, tout en étant rémunérée pour faire le travail d'incinération des déchets.

Le couple va alors découvrir le militantisme. Il va s'informer, enchaîner les réunions et les manifestations contre ce projet ... en vain. Le projet est finalement validé. Le couple se questionne. Michel est prêt à des modes d'action plus radicaux comme « arrêter les trains qui amènent les déchets ». Cela angoissait Emmanuelle. Quelles seraient les conséquences pour Michel ? Quelles seraient les conséquences du projet de la CBB sur la santé de leur petite fille ? Après 3 ans de lutte, Emmanuelle est à bout.

Le contexte s'alourdit, lorsque le couple apprend le décès suite à une accident de voiture du docteur Indekeu, militant de la première heure qui avait mis son expertise scientifique et son carnet d'adresse au service de la cause. Une semaine plus tard, c'est le docteur Vigin, autre médecin engagé contre le projet qui se retrouva dans le coma suite à un accident de la route.

Changement de vie et recherche de l'autonomie

Suite à la naissance d'une deuxième fille, le couple décide alors de tout quitter pour changer de vie. Ils entreprennent un voyage  à vélo de plus de 1200km et s'installent dans un village écologique à Eourres dans les Hautes-Alpes : « En trois années où nous avions été CONTRE un projet, nous avions hâte de passer  à une phase constructive où nous allions pouvoir être POUR ».

Michel et Emmanuelle vont alors dans ce petit village vivre « l'alternative concrète » face à la société de consommation, et prendre part à la vie du village avec ses activités culturelles et sa démocratie participative. L'objectif est de tendre vers l'auto-suffisance.

Ils vont alors vivre dans la débrouille avec très peu d'argent et même vivre un an et demi dans une caravane avec leurs deux enfants le temps de construire leur maison en bois-terre-paille, grâce à des chantiers participatifs.

Ils créeront dans la foulée leur association : LESA (Liens, Engagements, Sens et Autonomie) dont l'objectif est de transmettre les savoirs et savoir-faire aux adultes qui souhaitent changer de vie et être plus autonomes, que ce soit dans tout ce qui touche à l'alimentation (jardinage, permaculture, reproduction fruitière, plantes médicinales, faire son propre pain ou fromage etc.) comme ce qui touche à la construction. Michel se préparera à devenir formateur auprès du RFCP (Réseau Français de la Construction en Paille) et donnera des formations avec des professionnels  de la construction. Leur association dispense aujourd'hui une formation sur la construction en terre crue, délivrant un titre professionnel et des formations pour les élus , des chantiers d'école  (de pose d'enduits  en terre sur les chantiers  publics ou privés) et des formations au sein d'entreprises de maçonnerie.

Le Bois-Terre-Paille : une évidence

Le livre donne au lecteur quelques chiffres et arguments qui permettent de comprendre les enjeux climatiques d'un nécessaire changement radical dans les pratiques liées au secteur de la construction.

Selon un rapport de l'Agence internationale de l'énergie, pilotée par les Nations Unies, le secteur du bâtiment (production de matériaux, extraction, cuisson, déplacement et fin de vie) et la vie des bâtiments (chauffage, climatisation...) représentent 40% des émissions de CO2, dont plus de 6% pour le ciment. En France, selon l'ADEME (Agence de la Transition écologique) le secteur du bâtiment représente en France 33% des émissions de CO2 et surtout 76,9% des déchets, soit 228 millions de tonnes (dont 50% sont des terres excavées).

À l'inverse des matériaux utilisés par les multinationales du BTP, le Bois-Terre-Paille est une méthode de construction qui présente de nombreux avantages. Il est produit sur place et le matériau n'a pas besoin d'être cuit. Le bois et la paille sont également un meilleur isolant et peuvent même stocker du CO2!

En effet, le bois ou les fibres végétales stockent le CO2 dont ils ont eu besoin pour croître, s'ils sont utilisés comme matériaux de construction, le CO 2 n'est alors pas rejeté dans l'atmosphère . Dès lors, il devient possible de lutter contre le réchauffement climatique en construisant !

L'utilisation de seulement 5% de la paille non utilisée à ce jour permettrait d'isoler la totalité des logements individuels et collectifs construits chaque année en France. Il est donc possible de généraliser ce mode de construction.

Les auteurs prennent entre autres comme exemple de réussite, un immeuble HLM de 7 étages situé à St Dié les Vosges qui en plus d'un bilan carbone positif permet aux habitants de faire des économies sur leurs charges : moins de 11€/mois par logement pour le chauffage et l'eau.

Les limites de l'autonomie et la prise de conscience du nécessaire combat politique

Convaincus de cette nécessaire révolution dans la construction, Emmanuelle et Michel vont se rendre compte des limites de l'autonomie. Le colibri a beau faire sa part, il n'éteindra pas l'incendie si ce n'est pas le système qui change.

Après avoir cherché à convaincre des patrons d'entreprises à financer leur formation en vain, c'est la prise de conscience : «Il est évident que ces patrons ne pouvaient pas soutenir l'idée de changer la matrice de production. Quelle catastrophe financière cela aurait été pour eux!
[...] J'ai pris conscience que pour faire face à la catastrophe climatique, seul un changement complet de notre matrice productive dans tous les domaines(transport, agriculture, BTP...) pouvait nous sauver .
[...]  Comme il y avait urgence, nous ne pouvions plus nous reposer sur les initiatives de nos petits colibris.
[...] L'écologie individuelle et culpabilisatrice ne bouge le système qu'à sa marge, il est temps de le renverser »

Le couple militant se tournera alors vers la politique. Après avoir interpellé les partis politiques, seule la France Insoumise leur a répondu, en vue d'une audition afin d'apporter leur contribution au programme porté par Jean-Luc Mélenchon en 2017 . C'est ainsi que le couple contribua aux livrets « Planification écologique » et « Logement » du programme de l' «Avenir en Commun».

Depuis, ils ont rejoint la France Insoumise. Michel a mené des auditions avec 13 autres personnes pour le programme BTP du mouvement, avec pour méthode, ce qu'il appelle le « Rubik's cube des luttes ». L'objectif : auditionner les différents acteurs du bâtiment pour découvrir toutes les faces du sujet et améliorer les propositions jusqu'à ce que « toutes les faces des luttes soient gagnantes ».

Le dernier chapitre du livre donnera une série de propositions pour mener la révolution citoyenne dans le secteur du bâtiment et reviendra sur la méthode du « Rubik's cube des luttes » qui a permis l'élaboration de celle-ci.

Anthony Brondel
crédit photo : Anthony Brondel

Emmanuelle Philippo-Poussol  et Michel Philippo, Un monde à construire ensemble (Récit de vies : BTP, pour nous c'est Bois-Terre-Paille), Éditions 2031, Collection Café citoyen, 13€

- - - - - - - - - - - - -
Retrouvez le Journal de l'Insoumission n°21 chez votre marchand de journaux.

Pour s'abonner ou abonner un proche à votre magazine (trimestriel) et à l'hebdomadaire afin de les recevoir directement chez vous: https://linsoumission.fr/sabonner/
Pour voir la carte des points de vente : https://www.leji.fr/

 

 

Abonnez-vous

Chère lectrice, chère lecteur,
Les équipes du Journal de l'insoumission travaillent d'arrache-pied pour vous offrir un magazine trimestriel et un site internet de qualité pour informer et participer d'une culture de l'insoumission. Nous améliorons sans cesse notre formule et nos thématiques : politique, climat, économie, social, société, international. Nous traitons de nombreux sujets avec sérieux et sous de nombreux formats : interviews, analyses, reportages, recettes de cuisine etc. Nous participons aussi à un nouveau média insoumis en ligne Linsoumission.fr. Le Journal de l'insoumission en devient le pendant en format papier et magazine. Les médias insoumis se fédèrent et s'entraident pour affronter la période et les échéances à venir.

Notre objectif est la vente en kiosque dans toute la France métropolitaine et d'outre-mers. Pour ce faire, nous avons plus que jamais besoin de vous. L’abonnement et les ventes sont actuellement notre seule source de financement.

Aidez-nous dans cette aventure. Soutenez le Journal de l’insoumission. Abonnez-vous.

Pour suivre les actualités du JI, abonnez-vous à notre newsletter. C'est gratuit.