Lire et sortir

Dans Réveiller les esprits de la Terre, Barbara Glowczewski nous fait découvrir différents univers et cultures. Dans son ouvrage, elle cherche à démontrer que les luttes menées pour sauvegarder la planète par différents peuples ne sont pas dénuées de spiritualité. Afin de prendre soin de la terre, il est important de respecter un principe de dette ouverte, ne pas prendre sans compenser la perte engendrée, différentes alliances doivent exister entre humains, animaux, végétaux et esprits des différents lieux.

Pour commencer, elle nous invite au sein de la culture aborigène à travers ses différentes expériences passées avec les Walpiri notamment. En 1979, alors âgée de 23 ans, Barbara part vivre en Australie pour ses études et est adoptée par Nakakut Barbara Gibson Nakamana, sa mère Walpiri. Depuis, elle a passé beaucoup de temps au sein du peuple Walpiri et possède un savoir sur la culture et l’histoire aborigène impressionnant. Pour les Aborigènes, entre autres, la nature fait partie de leur culture, elle n’en est pas séparée. La musique est au même plan que les sources, les rochers ou encore les différents vents. Les Aborigènes portent également une grande importance aux rêves, moyen de communication des esprits de la Terre. Ce rapport à la nature explique les combats menés par nombre d’entre eux. Depuis la colonisation, ils se sont vus expropriés de leurs terres, chassés et repoussés dans les villes. Et même actuellement, sur des territoires « regagnées », ils doivent toujours lutter face à l’avidité des compagnies minières souhaitant explorer et exploiter leurs terres. « Constamment confronté.es à la dépossession de leurs terres, à l’aliénation bureaucratique, aux violences policières parfois meurtrières et à la criminalisation de leurs moindres gestes […], beaucoup d’Aborigènes s’autodétruisent dans l’alcool et la drogue, alors que des enfants sniffent du pétrole et se suicident. »

Après cette plongée dans l’univers aborigène, Barbara nous transporte jusqu’en Amazonie guyanaise, à la rencontre de différents peuples autochtones. De nombreuses luttes sont menées par ces peuples telle que la demande de construction d’un collège au bord du fleuve Maroni afin que les jeunes amérindiens puissent être scolarisés sans devoir quitter leurs villages. Actuellement, ils sont obligés de partir en ville où « ils sont confrontés à des situations de survie très difficiles » telle que la maltraitance au sein de leurs familles d’accueil ou à la prostitution afin de se nourrir.
Certains anciens déplorent une certaine perte de pratiques spirituelles, peu de chamanes trouvent successeurs, cependant l’importance de la spiritualité reste forte. Ces luttes restent liées à leur spiritualité, à leurs rapports à la Terre. « [...]Aujourd’hui il n’y a quasiment plus de chamanes, mais les esprits sont encore là sans personne pour les écouter. C’est sans doute la raison de notre désespoir […] » selon Christophe Yanuwana Pierre, jeune activiste de la Jeunesse Autochtone de Guyane. D’autres luttes sont menées activement telle que celle contre la Montagne d’Or. D’ailleurs Christophe Yanuwana Pierre exposa, lors de la COP 23, les risques d’écocide de ce projet devant le Tribunal International des Droits de la Nature. Entre le cyanure, le mercure et autres substances chimiques, les eaux des fleuves et rivières se retrouvent polluées, devenant poison pour la nature et les peuples qui en vivent.
Afin de contrer les différentes luttes, en parallèle d’une politique néolibérale qui cherche à écraser les cultures contraires aux intérêts capitalistes, la conversion à des religions dominantes est toujours d’actualité. Ce sont, principalement, les églises évangélistes qui cherchent à prendre le dessus, et à éradiquer toute autre forme de spiritualité autochtone. Les moyens actuels pour coloniser les esprits ne sont plus la Bible et les armes, à présent elles arrivent avec la consommation de masse afin de séduire les populations. « Lorsque des zones résistent, tous les moyens sont bons pour les expulser, sous des prétextes sécuritaires, économiques ou technologiques. Leur environnement est détruit et les personnes qui y habitent sont contraint.es à changer leur manière de vivre, voire à disparaître en partant ailleurs ou en étant tué.es ».

Après un détour par la Polynésie et Standing Rock notamment, l’autrice finit son récit par Notre-Dame-Des-Landes. Barbara s’est rendu à plusieurs reprises à NDDL et rapporte sa vision de cette bulle d’expérimentation d’ « un autre monde ».
« […] je sentis une ardeur époustouflante qui me fit rêver à un autre futur. Il n’était pas question de faire ici une recherche en anthropologie mais […] essayer de comprendre ce qui rapproche des luttes différentes qui cherchent des manières de vivre un rapport d’ancrage avec le territoire. »
Bien sûr comme beaucoup d’autres Zad, cet « autre monde » défendu n’est pas au goût des intérêts capitalistes et l’État a déployé des moyens disproportionnés pour détruire cette bulle. Après des années, la lutte a fini par payer, l’État abandonnant le projet et permettant à cet autre monde de subsister mêlant différents horizons. Et ce rapport spirituel à la Terre fait partie intégrante de cette bulle. « Nous sommes le bocage qui se défend ».

Anthropologue et ethnologue, l’autrice utilise un langage qui pour les novices peut déconcerter en début de lecture, mais au fil des mots et des pages, l’histoire, notre histoire de la Terre, qu’elle nous conte permet de dépasser la complexité de certains termes employés et de se plonger au cœur des différentes communautés qui souffrent et qui luttent. À travers les récits, elle donne envie d’aller à la rencontre de l’autre, de garder en nous une ouverture d’esprit. Elle transmet ce souffle d’espoir qui permet de lutter face au néolibéralisme, descendant d’un colonialisme destructeur. Barbara Glowczewski passe un « appel à l’entraide » à travers son livre afin de « construire dans les territoires et en réseaux nationaux et transnationaux des alternatives contre les méfaits des politiques néolibérales que le gouvernement continue à protéger, en accélérant les erreurs et abus de pouvoir, malgré la situation sanitaire ». Elle nous amène à penser à un nouveau modèle de société en s’inspirant des différentes cultures qui parsèment notre Terre, à renforcer les solidarités face à ce rouleau compresseur qu’est le capitalisme avilissant.

Glowczewski Barbara,Réveiller les esprits de la Terre, Éditions Dehors (juin 2021)

Rachel Outhier

 

 

Abonnez-vous

Chère lectrice, chère lecteur,
Les équipes du Journal de l'insoumission travaillent d'arrache-pied pour vous offrir un magazine trimestriel et un site internet de qualité pour informer et participer d'une culture de l'insoumission. Nous améliorons sans cesse notre formule et nos thématiques : politique, climat, économie, social, société, international. Nous traitons de nombreux sujets avec sérieux et sous de nombreux formats : interviews, analyses, reportages, recettes de cuisine etc. Nous participons aussi à un nouveau média insoumis en ligne Linsoumission.fr. Le Journal de l'insoumission en devient le pendant en format papier et magazine. Les médias insoumis se fédèrent et s'entraident pour affronter la période et les échéances à venir.

Notre objectif est la vente en kiosque dans toute la France métropolitaine et d'outre-mers. Pour ce faire, nous avons plus que jamais besoin de vous. L’abonnement et les ventes sont actuellement notre seule source de financement.

Aidez-nous dans cette aventure. Soutenez le Journal de l’insoumission. Abonnez-vous.

Pour suivre les actualités du JI, abonnez-vous à notre newsletter. C'est gratuit.