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A Saint-Saulve, proche de Valenciennes dans le Nord de la France, l’usine Ascorval, l’une des aciéries les plus modernes & éco-responsables d’Europe, est menacée de fermeture. Alors que les salarié.es arrêtent la production et s'emparent des ronds-points pour protester, Éric Guéret, réalisateur français de documentaires, spécialisé dans le cinéma d'immersion, décide de les retrouver pour suivre leur combat.
Ascoval : une aciérie de pointe et écoresponsable
Créée en 1975 par le groupe Vallourec, Ascoval a été reprise par le Groupe British Steel Limited en mai 2019 après 18 mois de lutte. Elle est ce qui se fait de mieux en matière d'impact environnemental. Contrairement aux grandes aciéries dites « intégrées », qui fabriquent de l’acier à partir de minerai de fer importé du Brésil ou d’Australie dans des hauts-fourneaux à charbon, l’aciérie de Saint-Saulve fabrique de l'acier en recyclant de la ferraille prélevée au plus près de l’usine, à partir de fours électriques bien plus économiques et offrant davantage de souplesse pour la production. L’énergie de ces fours étant essentiellement non-carbonée, elle dégage 180 kt de CO2 par tonne d’acier, contre 10 fois plus dans une aciérie « intégrée ». Sa plus petite taille lui permet une certaine souplesse et réactivité, ce qui constitue un avantage dans un contexte de fluctuations économiques.
Vallourec investit au Brésil puis menace Ascoval de fermeture
Malgré ses nombreux avantages, Vallourec - qui a acquit une grande aciérie récemment au Brésil - a décidé la fermeture du site de Saint-Saulve afin « d’ajuster leur production et redonner confiance aux investisseurs ». Les normes sociales et surtout environnementales au Brésil leur permettent en effet de produire à moindre coût.
En France, outre la perte d'une industrie de pointe et stratégique pour le pays, c'est la vie de 281 salarié.es, de leurs familles et de tout un territoire qui est en jeu. En retraçant cette lutte pour la vie, Éric Gueret nous rend compte de l'effet de montagne russe émotionnelle que les ouvrier.es ont du affronter, entre incertitudes, désillusions et rebondissements.
Lorsque la mobilisation générale porte ses fruits
Face à la colère des employés, le gouvernement joue la carte du double-jeu. Le lobbying réalisé par la firme semble porter ses fruits auprès de l'administration française. Mais une mobilisation large rassemblant les salarié.es, les syndicats, la direction de l'usine et tous les responsables politiques de la région se met en place. La lutte pour le maintien du site se médiatise. Ascoval devient peu à peu l'un des plus importants dossier industriel du quinquennat Macron. Le gouvernement est mis sous pression. Il finira par admettre la nécessité de sauver le site de Saint-Saulve. La mobilisation a payé !
Aujourd'hui l’aciérie alimente le site de Hayange, principal fournisseur de rails de la SNCF, qui fut lui même à l’époque en difficulté1 . Le gouvernement français a validé cet été la reprise des deux sites industriels par le britannique Liberty Steel.
Acier rouge et mains d'or : immersion dans le ventre du dragon
Alors qu'il est souvent difficile de pouvoir filmer à l'intérieur de ce type d'industrie « où vous côtoyez des poches d’acier liquide chauffées à 1700 degrés », Éric Guéret a pu filmer le travail au plus prés des salarié.es, le quotidien, le fonctionnement et la réalité de l’aciérie. Doté d'un équipement de protection et après avoir suivi une formation en sécurité , il nous montre comment les salarié.es transforment « la vulgaire ferraille de récupération, en aciers spéciaux, les plus techniques ».
Au fur et à mesure que le réalisateurs découvrait l'usine, des liens se sont forgés avec les ouvrier.es, au point d’en faire oublier sa caméra. L'ambiance y est fraternelle, On y découvre ainsi cet univers méconnu, les impressionnants fours où l'acier est fondu, leur vacarme assourdissant et la richesse de ce savoir faire qui fait la fierté des ouvrier.es de l'usine.
La qualité du travail d'Éric Guéret a été récompensée puisque le film a remporté le Grand Prix du 27e festival international du grand reportage d'actualité et du documentaire de société (Figra) et le Prix de l'ADEME du Festival Atmosphère de Courbevoie.
Un récit terriblement d'actualité
Si Le feu sacré évoque l'histoire d'une lutte, il reste cependant un film d'actualité. Depuis les années 70, la France connaît une forte désindustrialisation à un rythme effrayant. Les délocalisations et fermetures d'usine se multiplient ces dernières années.
Ascorval fait partie de ces grands sites industriels qui ont fait la une de nos journaux. PSA, Michelin, Continental. ArcelorMittal ou plus récemment Whirlpool à Amiens (Somme), Ford à Blanquefort (Gironde) et General Electric à Belfort, bien souvent, les tentatives de sauvetage des divers gouvernements se sont résumées à des promesses non tenues. Pas plus tard qu'hier, nous avons appris la fermeture du site de Bridgestone de Bethune qui emploie 863 personnes. La stratégie des exonérations sociales proposées par les gouvernements successifs, réalisées au détriment des investissements, s’avère être un échec. Ainsi pendant que les dividendes aux actionnaires ne cessent d'augmenter, c'est plus d'un million d'emplois qui ont disparus en 15 ans en France. Et ce phénomène est en train de s’amplifier avec la crise de la COVID 19.
Alors que l'activité industrielle a été l'un des secteurs les plus touchés lors du premier confinement ,une étude réalisée pour l'UIMM par le cabinet de conseil PwC , sortie en juin 2020, estime que jusqu'à 463.000 emplois pourraient être menacés dans l'industrie à l'horizon 2022 si aucun soutien n'est mis en place.
La crise du Covid 19 a mis en avant l’intérêt stratégique pour la France de mener une politique de souveraineté industrielle libérée de la finance. L'indispensable bifurcation écologique et relance de l'activité passera nécessairement par une nouvelle politique industrielle. Le maintien et la relocalisation de notre économie et de nos industries sont donc essentiels pour atteindre ces objectifs. Les enjeux sont écologiques, stratégiques mais aussi sociaux.
Lorsqu'une usine ferme, c'est « l'effet domino » et c'est toute une région qui est dévastée. La France comprend de nombreux bassins de vie sinistrés qui n’ont pas pu rebondir et trouver un second souffle. Les ouvrier.es sont les premiers à subir. Trois ans après leur licenciement, ils ne sont que 47% à avoir retrouvé un emploi . Mais ce sont aussi les commerces et autres emplois indirects qui disparaissent et avec eux, les services publics.
Vous l'aurez compris, le Feu sacré est bien plus qu'un film documentaire réussi et émouvant. Il fait œuvre d'utilité publique. Car en plus de démontrer que la lutte paye et de révéler la réalité méconnue des aciéries, il remet la question industrielle au centre du débat.
Anthony Brondel

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