Lire et sortir

Le dernier livre de Gérard Noiriel, Le venin dans la plume s’intéresse au phénomène Éric Zemmour. Au phénomène et non à la personne, tant ce serait faire un trop grand honneur au polémiste d’extrême droite, plusieurs fois condamné pour incitation à la haine, que d’y voir un succès personnel.

Gérard Noiriel établit les conditions dans lesquelles ce dernier peut désormais faire partie du paysage médiatique français, et déverser son fiel anti-musulman et anti-féministe, tout en recevant les hommages des plateaux télévisuels. Il compare son ascension avec celle d’Édouard Drumont, chef de file du camp antisémite de la fin du XIX° siècle. Leurs méthodes sont semblables.

Nul génie ne vient expliquer leurs destins : l’historien de métier Gérard Noiriel décortique les conditions sociales et matérielles qui rendent possible leurs succès. Il faut y voir une combinaison d’intérêts économiques pariant sur le scandale par voix de presse et une profonde remise en cause des institutions démocratiques, sur fond de crises de régime.

Tous deux ont compris que la conquête de l’opinion passait par une utilisation outrancière des nouveaux outils de communication de masse. Drumont a profité de l’essor de la presse écrite, Zemmour des chaînes internet et de la télévision en continu, qui a sans cesse besoin de coups de buzz qui relancent l’audimat indépendamment du fond.

Ils ont su jouer des scandales et de l’utilisation des faits divers, dont Pierre Bourdieu nous a déjà dit qu’ils faisaient diversion. L’attaque ad hominem, les duels par l’épée pour Drumont comme les échanges à fleuret moucheté sur les plateaux de télévision pour Zemmour leur ont permis de se placer au cœur de l’actualité. Leurs sophismes sont nombreux : ils feignent d’être les dominés et les victimes alors qu’ils ne font que répéter les antiennes éculées du racisme remis au goût du jour. Aux théories raciales de Drumont, Zemmour substitue le rejet des signes religieux.

Éric Zemmour a bénéficié d’un soutien important d’entreprises de presse médiatiques. La presse paye ici un appauvrissement du statut de journaliste au profit de communiquant. Ceux qui vont lancer Zemmour, comme Thierry Ardisson, viennent du monde de la publicité. Il peut jouer de l’incompatibilité du temps long de la vérification des sources et des données, pour se présenter comme l’expression d’une nouvelle idéologie. Que nombre d’entreprises de presse le relaient n’a rien d’étonnant : la réaction a tout intérêt à ce que l’opinion publique se construise autour du rejet par les classes populaires des plus défavorisés d’entre eux, que de devoir admettre que l’urgence écologique et la lutte contre les inégalités passent par des services publics.

Benoît Schneckenburger

Gérard Noiriel - "Le venin dans la plume." Editions La Découverte

 

 

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