ÉDITO : Le poison de l’extrême centre
par Séverine Véziès - Le Journal de l'insoumission n°1794 mars 2025
« Le macronisme n’est pas une révolution : c’est une vieille histoire.1» C’est par ces termes que Pierre Serna, historien de la Révolution française, nous appelle à analyser sur le temps long cette pratique du pouvoir qu’incarne le macronisme aujourd’hui mais qui n’est pas nouvelle et que l’auteur qualifie « d’extrême centre ». Nous avions déjà réalisé dans le cadre de ce journal son interview lors de la sortie de son ouvrage en 2019, L’extrême centre, le poison français, mais son analyse est plus que jamais d’actualité.
Dans son ouvrage, il dépeint à travers chaque crise depuis 1789, la persistance d’un centre politique qui sous couvert de rationalité, de raison, de tempérance, de modération, de responsabilité, se déclarant ni de droite, ni de gauche, mène en réalité des offensives violentes à l’encontre de nos institutions et de ses opposant·es, dans le but de maintenir des politiques visant à défendre les intérêts d’une oligarchie et les préceptes du marché tout-puissant. Seul son discours est légitime et tout ce qui s’y oppose est renvoyé au vocable « des extrêmes » et est méprisé. Cette intolérance, on la retrouve dans son exercice du pouvoir : criminalisation des opposant·es, violences policières, texte constitutionnel dévoyé, Parlement méprisé, état d’exception permanent, violence sociale, fiscalité au service du capital, instauration d’un pouvoir exécutif fort, l’extrême centre fait basculer nos institutions vers une République autoritaire.
Cet extrême centre aujourd’hui est allié à l’extrême droite. Après l’avoir instrumentalisée pour gagner les seconds tours de présidentielles, il en emprunte le vocable et le programme espérant attirer à lui son électorat. Dans son refus de voir ses politiques remises en cause, face à la défiance dans les urnes et dans la rue, il scelle les pires alliances, croyant peut-être pouvoir maîtriser la bête.
Là encore, l’histoire doit nous alerter. Et c’est Johann Chapoutot qui dans son dernier ouvrage Les Irresponsables : qui a porter Hitler au pouvoir nous le rappelle. Il revient sur la période qui a mené au 30 janvier 1933 et la nomination d’Hitler en tant que chancelier par le président Hindenburg. Il décrit le contournement de la Constitution de Weimar par cet extrême centre dès 1930, avide de vouloir conserver le pouvoir à tout prix, menant des politiques austéritaires d’une violence inouïe, enclin à la démocratie tant qu’ils sont aux affaires, la bafouant quand elle les conteste. Un extrême centre ayant bénéficié de la complaisance de la sociale démocratie et du soutien des milieux affairistes.
Quand on observe notre situation contemporaine, on ne peut que voir des analogies avec cette période sombre de notre histoire européenne. Loin des raccourcis qui affirment que c’est le peuple qui aurait mené les nazis au pouvoir, il est bon de rappeler que c’est cet extrême centre, buté, violent, méprisant, refusant de perdre la main et de remettre en cause ses politiques mortifères pour le peuple, qui porta au pouvoir l’extrême droite nazie avant de se faire emporter par elle. À force d’inviter son chien à la table, il la renverse.
Mais l’histoire n’est jamais écrite d’avance. Elle est le fruit de choix faits par des individus. Il n’y a rien d’inexorable ou qui ne peut être combattu jusqu’à la dernière minute. Ça aussi, l’histoire nous l’apprend. Et notre histoire récente aussi. Face à l’extrême droite, seule une gauche qui tient bon, qui porte une réelle alternative aux extrêmes centre et droite, est à même de porter l’espoir. Le Nouveau Front Populaire l’a prouvé en juillet dernier. Tandis que les dernières élections allemandes ou la situation italienne ont démontré qu’une gauche qui se couche est une gauche qui s’effondre.
À bon entendeur.
1. Faisant référence au livre d’E. Macron sorti en 2016