
International
Même si sa mise en œuvre, initialement prévue le 1er juillet, a été reportée sine die, l’annonce en pleine pandémie par le gouvernement israélien de l’annexion de 30 % des territoires palestiniens est une menace existentielle pour les Palestiniens et tout espoir de paix au Proche Orient.
Cette nouvelle provocation est d’abord liée à la survie politique du premier ministre Benyamin Netanyahou, mis en examen en 2019 pour corruption, fraude et abus de confiance. Inapte à remporter, à la tête de la coalition droite-extrême droite au pouvoir, une majorité absolue malgré la convocation de trois élections législatives en un an, il a accueilli la pandémie comme une divine surprise. Usant de pouvoirs d’urgence il a fermé les tribunaux et formé un gouvernement de coalition avec son rival « centriste » Benny Gantz, sur fond d’appel à l’ « union nationale ». L’annexion de pans entiers des territoires palestiniens, dont la Vallée du Jourdain, constitue la principale clause de l’accord de gouvernement.
Elle découle également de l’adoubement donné par les Etats-Unis au piétinement ostentatoire des résolutions de l’ONU par Israël. L’annexion est prévue dans le « plan de paix » - de fait un plan de liquidation des droits du peuple palestinien tels que définis par l’ONU – présenté en janvier dernier par les Etats-Unis.
Plusieurs observateurs rappellent, à juste titre, que cette formalisation de l’occupation ne changera pas fondamentalement la situation sur le terrain puisque « les territoires palestiniens sont annexés de facto depuis des décennies » 1. Israël met d’ailleurs tout en œuvre pour chasser les palestiniens de ces zones. Selon l’ONG israélienne B’Tselem, 698 bâtiments ont par exemple été démolis dans la vallée du Jourdain entre 2006 et 2017 2. Et les destructions se sont accélérées ces dernières semaines.
Reste que l’officialisation de l’annexion aurait un effet réel, par exemple sur le cadre des discussions potentielles entre Israéliens et Palestiniens. Comme l’a rappelé notamment l’ONG israélienne Yesh Din, elle enterrerait ce qui reste du processus de paix issu des accords d’Oslo signés en 1993 par Yasser Arafat et Yitzhak Rabin. Or malgré leurs tares ces derniers offrent à ce jour le seul cadre de négociation censé garantir la création, aux côtés d’Israël, d’un Etat palestinien viable.
Les droits officiels des Palestiniens à circuler, cultiver leurs terres etc., seraient encore rognés. L’annexion de la Vallée du Jourdain officialiserait le contrôle exclusif par Israël des plus importantes réserves en eau de la région. Elle priverait la Palestine de sa seule frontière extérieure terrestre avec un pays tiers, la Jordanie (dont 50% de la population est composée de réfugiés palestiniens) poumon économique essentiel à la survie des Palestiniens.
Quant au statut des Palestiniens vivant dans les zones annexées, comment imaginer, deux ans après le vote en Israël d’une loi officialisant l’inégalité en droit entre juifs et non juifs, qu’ils bénéficieraient de droits civiques dignes de ce nom ? De fait, pour Yesh Din « Israël cherche à consolider, à perpétuer et à approfondir la situation existante dans laquelle deux groupes inégaux de personnes peuvent vivre sur un territoire selon ses règles et sous sa souveraineté : les citoyens israéliens jouissant de leurs pleins droits et les sujets palestiniens privés de leurs droits notamment politiques ».
En définitive la mise en œuvre de la décision du gouvernement israélien achèverait de ruiner les espoirs d’une paix juste et durable. Face à un interlocuteur pulvérisant les accords d’Oslo, quelle solution resterait-il à l’Autorité Palestinienne, depuis longtemps sous la pression d’un peuple palestinien constatant chaque jour dans sa chair que les compromis passés n’ont jamais été respectés par Israël ? Son Président Mahmoud Abbas a d’ores et déjà annoncé, et partiellement mis en œuvre, la fin de la coopération avec Israël, notamment sur le plan sécuritaire.
La suite ne pourra être qu’intensification des violences. Celle, matricielle, de l’aggravation l’occupation provoquera une intensification des actes de résistance. Aucun peuple ne peut accepter une domination niant ses droits les plus fondamentaux. Outre les Palestiniens, la société israélienne est victime de cette fuite en avant. Aucun contrat social ne peut tenir au milieu de vallées de larmes. C’est ce qu’ont compris depuis longtemps, par-delà leurs divergences, les partisans israéliens de la paix, qui ont manifesté à Tel-Aviv contre cette annexion, ou ont initié une lettre contre l’annexion signée par plus de 1080 parlementaires de toute l’Europe, dont ceux de la France Insoumise 3.
Au niveau international, le gouvernement israélien est plus isolé qu’il ne l’espérait. Certes il bénéficie du soutien prudent des Etats-Unis. Mais pour le reste, Israël se heurte à des réactions plus ou moins clairement hostiles. Les plus préoccupantes pour Israël sont celles de ses partenaires arabes, qu’il s’agisse de ceux avec lesquels il est lié par un Traité de Paix – Jordanie et Egypte - ou des monarchies du Golfe dont Israël s’est rapproché sur fond de haine commune envers l’Iran. Raison pour laquelle trois cent membres des services israéliens de sécurité ont exprimé leur opposition à cette annexion. Enfin, Michael Lynk, rapporteur spécial de l'ONU pour la Palestine, a déclaré que ce plan d’annexion « cristallisait un apartheid du 21e siècle, laissant dans son sillage la perte du droit des Palestiniens à l'autodétermination ».
Quid de l’Union Européenne et de la France ? Comme d’habitude le flou règne, sur fond de condamnation molle. Les ambassadeurs des pays européens présents au Conseil de sécurité de l’ONU ont réaffirmé que la solution de paix à deux États – dont on sait qu’elle peut être diversement interprétée – est la seule pouvant garantir la stabilité régionale. Jean-Yves Le Drian a déclaré que l'Europe se préparerait à une action commune. Sans plus de précision, tant le manque de courage généralisé, et les relations fortes nouées entre le gouvernement israélien et ses équivalents de droite et d’extrême droite européens, compliquent l’établissement d’un rapport de force qui contraindrait Israël à respecter le droit international. Quand le haut représentant de l’UE pour la politique extérieure, Josep Borell, a rappelé que « l'Union ne reconnaît pas la souveraineté israélienne sur la Cisjordanie occupée », les dirigeants polonais, hongrois, tchèques, slovaques ou encore autrichiens, se sont démarqués de ses propos.
Dans ce contexte, si Israël laisse planer indéfiniment la menace et que l’UE s’avère incapable de mesures concrètes, la France, via son Président jusqu’à présent silencieux, aura le devoir d’aller au-delà des mots. La valeur de sa parole sera évaluée à l’aune des décisions concrètes qu’elle prendra, ou non, au service de la paix au Proche Orient. La reconnaissance de l’Etat de Palestine, pour laquelle l’Assemblée nationale s’est prononcée en 2014, serait par exemple un acte symbolique d’une grande force.
1ère publication en Août 2020
1 « Palestine. L’annexion formelle ne changera rien sur le terrain », entretien avec Robert Malley, ancien conseiller de Barack Obama pour le Proche-Orient, Orient XXI, 30 juin 2020
2 « Vallée du Jourdain. Nettoyage ethnique et harcèlement des paysans palestiniens », Orient XXI, mis en ligne le 25 juin 2020
3 Lire « 1080 parlementaires européens condamnent l’annexion des territoires palestiniens », Lemondeencommun.info, mis en ligne le 24 juin

Abonnez-vous
Chère lectrice, chère lecteur,
Les équipes du Journal de l'insoumission travaillent d'arrache-pied pour vous offrir un magazine trimestriel et un site internet de qualité pour informer et participer d'une culture de l'insoumission. Nous améliorons sans cesse notre formule et nos thématiques : politique, climat, économie, social, société, international. Nous traitons de nombreux sujets avec sérieux et sous de nombreux formats : interviews, analyses, reportages, recettes de cuisine etc. Nous participons aussi à un nouveau média insoumis en ligne Linsoumission.fr. Le Journal de l'insoumission en devient le pendant en format papier et magazine. Les médias insoumis se fédèrent et s'entraident pour affronter la période et les échéances à venir.
Notre objectif est la vente en kiosque dans toute la France métropolitaine et d'outre-mers. Pour ce faire, nous avons plus que jamais besoin de vous. L’abonnement et les ventes sont actuellement notre seule source de financement.
Aidez-nous dans cette aventure. Soutenez le Journal de l’insoumission. Abonnez-vous.
Pour suivre les actualités du JI, abonnez-vous à notre newsletter. C'est gratuit.