France

Depuis plusieurs semaines maintenant, on peut lire dans la presse qu'Emmanuel Macron et son gouvernement souhaitent faire passer une énième réforme des retraites. Celle-ci aurait pour but d'allonger l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 65 ans de manière progressive : chaque année, l'âge légal de départ serait reporté de 4 mois jusqu'à atteindre les 65 ans. En réalité, cette réforme n'est ni justifiée sur le plan économique et financier, ni juste.

Une réforme injustifiée

l'argument avancé pour justifier la nécessité d'une telle réforme n'est pas nouveau. Déjà éculé, il a été utilisé pour justifier les réformes précédentes du système des retraites : sans une telle réforme, le système des retraites serait largement déficitaire.

Cette affirmation serait la conclusion inéluctable de la prévision 2022 du Conseil d'orientation des retraites (COR) quant à l'équilibre du système des retraites. Dans cette prévision, il est avancé un scénario de croissance très molle entre la période 2027 – 2032. Cela suppose un chômage plus élevé et donc mécaniquement une baisse du niveau des cotisations retraites. Au plus fort de la crise, soit l'année 2032, les caisses de retraite seraient déficitaires de 0.8% du PIB, ce qui correspond à 30 milliards d'euros environ. c'est ce chiffre qui a été avancé par exemple par Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion. Il se garde bien d'indiquer que tout ceci repose sur l'hypothèse centrale douteuse d'une atonie prolongée de l'économie française.

Le scénario du COR est une prévision économique à très long terme : 40 ans. c'est une hypothèse qui a très peu de sens dans la mesure où le moindre choc peut perturber la probabilité de cette perspective. Par exemple, la guerre en Ukraine a ébranlé toutes les prévisions économiques à court terme, et a fortiori celles à long terme. De plus, pour l'heure, le régime des retraites est excédentaire. l'argument du déficit ne tient donc pas la route.

Un autre argument avancé par le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire, révèle, en réalité, la véritable motivation du gouvernement à mener cette réforme : elle « permettrait de financer les autres mesures de soutien de l'économie dont la baisse des impôts de production ». Un tel argument a de quoi surprendre. Tout d'abord, le budget des caisses de retraite et le budget de l'État sont et doivent rester séparés. Depuis quand doit-on vider les poches de notre système des retraites pour financer les choix politiques, qui plus est contestables sur le plan idéologique, d'un gouvernement qui ne cesse de dilapider l'argent public pour distribuer des cadeaux fiscaux et sociaux aux ultra-riches et aux grandes entreprises ? Rappelons que les aides publiques, versées sans contreparties sociales ou écologiques, représentent déjà un tiers du budget de l'État ! 160 milliards par an, soit 3 fois plus qu'il y a 20 ans. Il y a bien d'autres sources de financement qui pourraient être mobilisées. La taxe sur les superprofits en est un très bon exemple ! Mais en macronie, c'est le peuple qui paie les pots cassés et non les ami.es du monarque.

Une réforme absurde

Une telle réforme des retraites engendrerait, à coup sûr, une nouvelle source de maltraitance sociale de masse. Il s’agirait de forcer en particulier les seniors à travailler 3 ans de plus. Or, à l'âge de 60 ans, le taux d'emploi est de 38 %, ce qui signifie que 62% n'ont déjà plus d'emplois. Si une telle réforme venait à passer, ceux-ci n'auraient plus d'autre choix que d'essayer de survivre 5 ans, au lieu de 2 actuellement, en alternant petits boulots précaires, lorsque leur santé le leur permet, indemnités chômage et RSA.

Dans un même temps, la réforme de l'assurance chômage, votée par l'Assemblée nationale le 11 octobre dernier, qui vise encore à dégrader le niveau de celle-ci en renforçant, par ailleurs, la compétition entre régions (le gouvernement voulant faire dépendre le niveau de l'assurance chômage de l'activité économique régional), pourrait aussi donner lieu à une diminution de la durée maximale d'indemnisation des seniors au chômage. l'idée du gouvernement derrière une telle réforme est toujours la même : c'est celle du·de la chômeur·se senior fainéant·e qui « profiterait » des allocations chômage pour partir en vacances aux Bahamas, c'est bien connu. Ainsi, il faudrait forcer nos aîné·es à aller au travail le plus longtemps possible, et qu'importe ce que cela signifie pour leurs corps et pour leur santé.

À l'autre bout de la chaîne, les jeunes seraient aussi impacté·es. Moins d'offres d'emploi disponibles et plus de compétition pour obtenir un emploi, le taux de chômage des jeunes ne ferait qu'augmenter. Or, celui-ci en 2021 était déjà à un niveau élevé de 19%. La priorité devrait donc être de faciliter l'entrée dans l'emploi des jeunes et le transfert de compétences entre générations et non de fragiliser les travailleur·ses aux deux extrémités de la vie active.

Cette maltraitance sociale associée à la hausse du chômage des séniors se traduirait par une hausse des prises en charge par le système des assurances chômage (sauf à grignoter la prise en charge comme le fomente le gouvernement) et par une dégradation de la santé des salarié.es, un recours accru aux soins et donc, in fine, une augmentation des dépenses de la Sécurité sociale. Une telle réforme des retraites permettra ainsi de justifier une réforme de la Sécurité sociale, sous la crainte malhonnête, là encore, de caisses vides ! 

Une réforme injuste

Actuellement, l'espérance de vie en bonne santé des hommes est de 64 ans, tandis que celle des femmes est de 66 ans. Faut-il rappeler que l'amélioration de l'espérance de vie en bonne santé est justement le fait que l'on travaille moins ? Faut-il rappeler qu'un homme ouvrier a 6 ans de moins d'espérance de vie qu'un homme cadre ? qu'une femme ouvrière en a 3 de moins qu'une femme cadre ?

Par ailleurs, la durée moyenne des retraites est actuellement de 24,8 ans pour la génération 1940, 25,6 ans pour la génération 1950 et 24,6 ans pour la génération 1970. Avec la contre-réforme de Macron, la durée moyenne des retraites pour la génération 1970 passerait à 23,1 ans, soit une perte moyenne de 1 an et demi de retraite. Ainsi, en plus de raccourcir la durée des retraites pour les métiers les plus rudes, cette réforme créerait une large inégalité générationnelle, qui ne serait pas compensée par le fait souvent avancé que l'on vit plus longtemps et qu'il faudrait en conséquence travailler plus longtemps… l'important pour le gouvernement est de faire des économies, qu'importent les conséquences sociales funestes.

Outre le désir de faire des économies sur le dos des salarié.es, on ne peut ignorer le projet idéologique sous-jacent du gouvernement, à savoir affaiblir notre système des retraites par répartition pour pousser les salarié.es vers la capitalisation et donc vers des fonds de pension, dans l'espoir de se construire une retraite digne. Outre la remise en cause totale des valeurs et principes de notre modèle social, c'est aux affres et sursauts des marchés que le gouvernement souhaite livrer les futur·es retraité.es. Dans ce sinistre projet, le gouvernement pourra compter sur le soutien des Républicains qui ont commencé à avancer l'idée alors qu'un Plan épargne retraite (PER) a été créé en 2019 via la loi PACTE.

Cette réforme acterait donc un affaiblissement conséquent de notre système de retraite, une injustice sociale grandissante et un grave recul. l'histoire du progrès social est celui de la réduction du temps de travail et non l'inverse.

À rebours de cette réforme réactionnaire, le progrès social est le retour à l'âge légal de départ à la retraite à 60 ans pour tous et toutes. Une vie ne se résume pas au travail et à la consommation. Nous vivons globalement mieux et en meilleure santé justement parce que nous travaillons moins que nos grands-parents. 
Tout un chacun mérite, au soir de sa vie, de profiter de ce temps dégagé des contraintes du travail, un temps libre mais souvent encore très occupé par les petits-enfants, les activités au service de la collectivité… un temps encore occupé mais choisi. Voilà ce qu'est le progrès social. Une utopie ? Non un souhait majoritaire dans le pays puisque plus de 70 % des Français.es sont opposés à la contre-réforme Macron.
Le peuple souverain doit donc avoir le dernier mot et devra se mobiliser pour l'imposer. À l'Assemblée nationale avec les député.es de la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale ou dans la rue, la France doit se mobiliser.

Metztli

crédit photo : Jeanne Menjoulet - Manif samedi 11 janvier contre le projet de "réforme" des retraites – Licences Creative Commons

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