
France

Après une première étape de réforme fin 2021, nous apprenons que le gouvernement entend remettre l'ouvrage sur le métier.
L'exécutif envisage désormais de faire dépendre les conditions d'indemnisation de la situation du marché de l'emploi. « Quand ça va bien, on durcit les règles et, quand ça va mal, on les assouplit » a indiqué le Ministre du Travail Olivier Dussopt.
Selon lui, il est « insupportable d'être encore à un taux de chômage de 7,4 % et d'avoir dans le même temps un retour unanime des chefs d'entreprises sur les difficultés de recrutement ».
Bien sûr, dans leur esprit, il n'est pas question d'aller chercher plus loin les causes de ces « difficultés de recrutement » : les gens ne veulent plus bosser parce qu'ils gagnent mieux leur vie au chômage ! C'est aussi simple que ça. Il ne leur viendrait pas à l'idée de s'interroger sur les conditions de travail et de rémunération.
L'exécutif veut faire en sorte que « le travail paye plus que l'inactivité ». Mais, bien sûr, il n'est pas question d'augmenter les salaires, mais plutôt de diminuer encore les conditions d'indemnisation du chômage.
2021 : Une première réforme MACRON contre les chômeurs
La réforme de fin 2021 a déjà dégradé considérablement les critères permettant de bénéficier de droits à l'allocation chômage. Il faut désormais avoir travaillé 130 jours ou 910 heures (soit environ 6 mois) sur une période de 24 mois (ou 36 mois pour les 53 ans et plus) pour pouvoir ouvrir ou recharger des droits à l'assurance chômage. Auparavant, il fallait avoir travaillé 88 jours ou 610 heures (environ 4 mois).
Par ailleurs, le calcul du salaire journalier de référence (SJR) qui détermine le montant des indemnités chômage a, lui aussi, été durci. Auparavant, ce dernier n'était calculé qu'à partir des seuls jours travaillés par le demandeur d'emploi. Mais désormais, le SJR est calculé à partir du revenu mensuel moyen perçu par le demandeur d'emploi sur une période de 24 mois (voire 36 pour les plus de 53 ans). Ce mode de calcul est donc moins favorable aux demandeurs d'emploi, puisque les périodes d'inactivité seront également prises en compte dans le calcul de l'indemnisation. Cela entraîne une forte baisse du SJR, et donc du montant des allocations chômage, notamment pour celles et ceux qui ont une activité entrecoupée.
Au final, près de 1,3 million de personnes – principalement celles qui n'ont pas pu travailler à temps plein pendant au moins un an – ont vu leurs droits réduits, voire supprimés. Rappelons au passage que moins de la moitié des 5,9 millions d'inscrits à Pôle Emploi est indemnisée. Avec une indemnité mensuelle moyenne de 960 € par mois, on voit à quel point il était urgent de raboter encore ces « privilèges » exorbitants.
Mais cela n'était pas encore suffisant pour le Président Macron et son gouvernement. Il faut aller plus loin, aller grappiller encore quelques sous dans la poche des plus précaires pour financer les cadeaux fiscaux aux plus riches !
Les riches seraient plus entreprenants s'ils payaient moins d'impôts. Les pauvres seraient plus travailleurs s'ils touchaient moins de subsides… Tel semble être le credo, la philosophie, le mantra des libéraux qui nous gouvernent.
Un nouveau projet qui s'attaque aux chômeurs plutôt qu'au chômage
À présent, le gouvernement prévoit de moduler les conditions d'indemnisation en fonction de la situation du marché de l'emploi. Deux critères semblent tenir la corde pour savoir si la situation économique s'améliore. Le premier est l'évolution du nombre de demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi en catégorie A (sans aucune activité). Le second est le niveau des embauches. Pour constater l'amélioration du marché du travail, il faut simultanément que :
- le nombre de demandeurs d'emploi inscrits à Pôle Emploi en catégorie A baisse de 130 000 sur six mois consécutifs ;
- le nombre de déclarations préalables à l'embauche (DPAE) pour des contrats de plus d'un mois, hors intérim, soit supérieur à 2,7 millions sur les quatre derniers mois.
Se focaliser sur la catégorie A, celle des personnes « totalement » sans emploi est réducteur, dans la mesure où le chômage est désormais un continuum entre inactivité totale, petits boulots, activité à temps partiel… Aujourd'hui, un grand nombre d'inscrits à Pôle Emploi travaille. Fin juin 2022, parmi les 5,15 millions de personnes inscrites à Pôle Emploi en France métropolitaine et soumises à l'obligation de recherche d'emploi, près de 2,2 millions travaillaient (catégories B et C).
Un toilettage statistique pour faire croire à la baisse du chômage
Si le nombre d'inscrits en catégorie A baisse de 15,6 % en un an, le nombre d'inscrits en catégorie C (ayant exercé une activité réduite de plus de 78 h) a lui augmenté de 3,3 %. Mais, au-delà de cette diversité du chômage, il faut rappeler que sur l'ensemble des sorties de Pôle emploi, seuls 17% ont pour motif une reprise d'emploi, contre près de 55 % pour « cessation d'inscription pour défaut d'actualisation » ou « radiation administrative ».
On le voit, la baisse du nombre de demandeurs d'emploi n'est pas forcément directement liée à l'amélioration de la situation économique mais plutôt au « toilettage » des statistiques qui est une pratique courante depuis longtemps.
Des critères dépourvus de sens
De plus, prendre pour autre indicateur le nombre de DPAE (déclaration préalable à l'embauche) de plus d'un mois, montre à quel point la baisse de la qualité des emplois a été intégrée comme une fatalité par nos dirigeants. En effet, on estime désormais qu'un contrat de plus d'un mois est un emploi pérenne alors que la norme devrait être le CDI (contrat à durée indéterminée).
Conditionner l'indemnisation de millions de personnes à des indicateurs aussi imparfaits montre le mépris auquel nous faisons face de la part de ce gouvernement. Car derrière les chiffres, il y a des vies humaines, des familles que l'on plonge dans l'incertitude et l'insécurité sociale.
Et ce sont surtout ceux qui sont déjà le plus en difficulté qui seront les plus touchés. Car n'oublions pas que le taux de chômage des ouvriers est 3 fois supérieur à celui des cadres et celui des employés l'est 2,5 fois plus.
L'indemnisation du chômage comme l'ensemble de la protection sociale, avait initialement pour vocation de garantir la sécurité aux plus fragiles d'entre nous. Aujourd'hui, tout est fait pour les pousser à prendre des emplois non conformes à leurs qualifications, dans les secteurs où les conditions de travail sont les plus dégradées.
Dans cette vision, les causes du chômage résideraient principalement dans l'incapacité des individus à s'adapter, à changer de secteur d'activité, de région, du jour au lendemain. Ils sont considérés comme des entités désincarnées, interchangeables, de simples rouages d'une machine économique dont on surveille la santé avec des indicateurs statistiques.
L'objectif de plein emploi ne peut se réduire à un indicateur purement quantitatif sans considération pour le nombre d'heures travaillées, la rémunération, les conditions de travail.
S'il y a une différence fondamentale entre la gauche et la droite, elle réside dans la capacité et la volonté d'aborder les problèmes en termes de causalité sociale et pas seulement de responsabilité individuelle.
Pierre Polard
Sources
https://www.lesechos.fr/economie-france/social/assurance-chomage-5-questions-sur-une-reforme-tres-contestee-1786242
https://www.lesechos.fr/economie-france/social/assurance-chomage-vers-des-regles-qui-evolueraient-avec-la-conjoncture-1779150
https://www.pole-emploi.fr/candidat/mes-droits-aux-aides-et-allocati/allocations-et-aides--les-repons/nouveau-calcul-de-lallocation-ch.html
https://basta.media/reforme-assurance-chomage-pole-emploi-indemnisation-droits-rechargeables-CDD-boulots-de-merde
https://www.capital.fr/votre-carriere/reforme-de-lassurance-chomage-les-nouvelles-mesures-qui-entrent-en-vigueur-le-1er-decembre-1416570
https://www.insee.fr/fr/statistiques/2429772
https://www.insee.fr/fr/statistiques/5234273

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