France

Faute d’effectifs suffisants, la direction du Centre hospitalier de Dracénie (Draguignan, Var) a basculé le service des Urgences en mode dégradé impliquant un fonctionnement sans les ressources habituelles, humaines et matérielles. Seules les urgences vitales seront accueillies le soir, à partir de 20 h 30, et ce pendant au moins cinq semaines. En France, d’autres établissements sont confrontés à des problèmes similaires.

Vendredi soir, les salarié·es des Urgences du CHD étaient en grève, en colère, désappointé·es mais surtout épuisé·es. Ce passage en mode dégradé est le résultat d’un manque criant d’effectifs. Sur les dix-huit médecins nécessaires, six assurent le fonctionnement de ce service, ce qui aboutit à une situation parfaitement intenable. Les médecins font soixante-dix heures ou plus par semaine, ce qui ne permet ni un travail correct, ni une prise en charge rapide des malades.

La directrice de l’établissement a indiqué que cette décision avait été prise afin de « permettre aux équipes de souffler et rouvrir dans de bonnes conditions ». Précisons qu’à ce jour, la procédure n’a pas été transmise au personnel et les instructions sont uniquement orales. Les Services Mobiles d’Urgence et de Réanimation (Smur) continuent à fonctionner, à l’instar des services psychiatriques et de maternité.

Depuis plusieurs mois, l’hôpital déplore de grosses difficultés de recrutement.

À qui la faute ? Les jeunes médecins ne veulent pas y travailler pour des raisons qui semblent légitimes. Au départ, il·elle sera embauché·e selon le statut d’assistant·e et gagnera 2 000 € (après huit à dix ans d’études, rappelons-le). Afin d’augmenter son salaire, il·elle sera obligé·e de multiplier les gardes au risque d’avoir un rythme épuisant.

Selon Le Quotidien du médecin du 27/10/2021, les deux-tiers des étudiants et des internes de médecine sont en burn out. À ce sujet, une soignante du CHD nous rapporte : « Quand on a des internes, on leur demande s’ils viendront après travailler à l’hôpital. Leur réponse est toujours la même : non ! ».

Et elle nous brosse ensuite un tableau édifiant de la situation : « Il y a deux mois, nous avions une unité d’hospitalisation de courte durée comprenant quatorze lits, gérée par des urgentistes. Elle a fermé et maintenant nous n’assurons plus les urgences à partir de 20 h 30. Cela fait des années qu’on nous supprime des lits et des postes. Du coup, les patients s’entassent dans le fond des urgences sur des brancards, en attendant une place dans un service de médecine. Quand Véran dit que les lits fermés sont des chambres doubles transformées en chambres simples à cause de la crise sanitaire, c’est faux ! On a des chambres simples car on a réduit les lits, faute de médecins et à cause de la suppression du personnel. Aujourd’hui, le service de médecine polyvalente a toujours ses vingt-six lits et toujours des chambres doubles avec deux patients à l’intérieur. »

Et elle continue : « Le personnel voit bien la situation se dégrader, nous sommes en première ligne. On revient de plus en plus sur nos jours de repos. Ceux-ci vont dans notre balance horaire car nous avons un temps de travail annualisé et c’est tout. Aujourd’hui, certain·es soignant·es aux urgences ont des balances horaires qui atteignent plus de 200 heures, et l’année n’est pas finie ! Nos plannings ne sont pas légaux. Les week-ends, les jours de repos, le temps de repos entre deux jours de travail…, tout ça n’est pas respecté ! Les heures supplémentaires ne sont plus majorées comme durant la crise sanitaire. Et on est obligé·es de quémander que celles-ci soient payées. Et encore, ce n’est pas toujours accepté bien que nous ayons un temps de travail effectif qui dépasse le temps de travail annuel. Du coup, le personnel n’a pas envie de rester dans ces conditions et certain·es franchissent le pas et partent. Mais nous n’avons pas les chiffres exacts, la direction ne nous les communique plus. Il fut un temps où nous avions un petit journal, distribué avec nos fiches de paye, qui indiquait le nombre de départs et d’arrivées. Ce n’est plus le cas. » Peur des conclusions qui pourraient en être tirées ?

Cette situation est loin d’être unique.

À Givors (Rhône), la direction du centre hospitalier a pris une décision identique. À Douai (Nord), les urgences pédiatriques ont adopté un mode de fonctionnement dégradé depuis la mi-septembre.

Suite à la publication d’un avis du Conseil scientifique, plusieurs hôpitaux ont alerté sur la pénurie de lits, mais surtout de soignant·es, en France.

Le Collectif Inter-Hôpitaux (CIH) écrit dans un rapport qu’un lit sur cinq est fermé à cause du manque de soignant·es. Il dénonce : « Des enfants en situation d’urgence ne peuvent plus être pris en charge par les services compétents. » Il parle également de « tri » et de « perte de chance » dans les services de pédiatrie. D’autres établissements ont alerté sur les déprogrammations de soins auxquelles ils étaient contraints, faute de place. Dans un établissement d’Alençon, les arrêts maladie se succèdent. Un absentéisme lié à la fatigue et à l’usure provoqué par la Covid-19 et le manque de moyens qui ne fait que s’accumuler depuis de nombreuses années.

Quelles réponses apporte le ministre de la Santé et des Solidarités Olivier Véran ?

Accueilli sous les huées des manifestant·es devant le Centre hospitalier de Blois et interpellé par une infirmière, il reconnaît les difficultés du métier mais affirme qu’il n’y a pas de crise de vocation à l’hôpital. Il relève que la situation actuelle ne date pas d’hier : « Il y a des décisions qui n’ont pas été prises il y a vingt ans, on les paye aujourd’hui ». Il n’empêche, ce ne sont pas moins de 5 700 lits d’hospitalisation complète qui ont été fermés en 2020 en pleine crise sanitaire, même si près de 1 400 places ont été ouvertes dans un même temps, selon une étude du ministère de la Santé.

Désormais, signe d’un déclin, la France compte moins de 3 000 hôpitaux et cliniques avec, sous l’effet des réorganisations et des restructurations, la fermeture de 25 établissements publics et privés l’an dernier. Parallèlement, les traitements en ambulatoire et les hospitalisations à domicile (HAD) ont explosé. Les syndicats dénoncent ainsi régulièrement une offre de soin qui diminue et une baisse du nombre de lits qui a des conséquences sur les conditions de travail. Ils réclament que le gouvernement rompe avec une approche essentiellement financière pour regarder les besoins de la population.

Et dans les autres pays ?

La comparaison est intéressante même si les réalités des systèmes de santé varient considérablement d’un pays à une autre. Le classement établi par l’OCDE des pays en fonction du nombre de lits d’hôpitaux pour 1 000 habitants montre que le Japon et la Corée arrivent premier (respectivement 12,84 lits et 12,44 lits pour 1 000 habitants), loin devant l’Inde (0,53 lits pour 1 000 habitants). La France se situe en 10e position, avec 5,84 lits pour 1 000 habitants, derrière la République tchèque, la Lituanie ou encore la Pologne.

Face à cette situation, quelles solutions sont envisageables ?

La priorité est de mettre fin à « l’hôpital-entreprise » pour restaurer le service public hospitalier. Des moyens humains et financiers devront être donnés afin que celui-ci fonctionne dans des conditions de travail respectueuses des soignant·es. Les personnels ne doivent plus être la variable d’ajustement budgétaire. Pour cela, on pourrait revenir sur la tarification à l’acte (mise en place avec les ARS – Agence Régionale de Santé – sous la directive de Roselyne Bachelot) qui entraine une logique comptable et engager un plan pluriannuel de recrutement de médecins, infirmier·ères, aides-soignant·es et personnels administratifs (62 500 recrutements seraient nécessaires).

Concernant la lutte contre les déserts médicaux, il paraît essentiel d’accroître le nombre de spécialistes, en supprimant le numerus clausus, en augmentant le nombre de postes d’internes et en portant notre attention sur leur répartition sur le territoire. Au CHD, le service de gastro-entérologie est fermé car une seule gastro-entérologue ne peut faire tourner celui-ci.

Le programme L’Avenir en Commun porté par le candidat de l’Union populaire, Jean-Luc Mélenchon, propose une piste intéressante. Celle de créer un corps de médecins généralistes fonctionnaires rémunérés pendant leurs études, afin de pallier leur insuffisance dans certaines zones. De même, la création de centres de santé pluri-professionnels permettrait une prise en charge globale du patient ou de la patiente dans un seul et même lieu. Le paiement au forfait ou le salariat de ces professionnel·les de santé seraient développés.

Il y a urgence à faire à nouveau confiance aux acteurs de terrain et à intégrer davantage de souplesse dans les organisations, conditions indispensables pour redonner à l’hôpital public son attractivité. Rappelons que c’est grâce à l’auto organisation des personnels de santé que la gestion de crise pendant le Covid a été moins catastrophique. Cet attrait pourra être restauré en privilégiant l’amélioration des conditions de travail et la mise à disposition des techniques de soins et des plateaux techniques les plus performants car c’est ce que demandent prioritairement les professionnel·les de santé.

Ce financement à la hauteur des besoins n’implique pas forcément une hausse des dépenses de santé. Notre système actuel est caractérisé par l’existence d’un nombre très élevé de dépenses inutiles du fait de sa mauvaise organisation, avec par exemple un hôpital public obligé de suppléer les lacunes de notre dispositif de ville, du dualisme assurance maladie/complémentaires, qui engendre un surcoût annuel de 7 à 10 Mds d’euros ou de la soumission à certains intérêts privés, l’industrie pharmaceutique notamment. Ce sont ainsi 40 Mds d’euros par an qui sont dépensés inutilement. De même une gestion comptable a entraîné une explosion des services administratifs, pratiquement un administratif pour un soignant.

Des pistes intéressantes à investir afin que la Santé devienne un bien commun et ne soit plus réduite à sa seule dimension budgétaire.

Afin de soutenir les manifestant·es s’opposant à la fermeture des urgences le soir au Centre Hospitalier de Dracénie : rendez-vous devant l’hôpital le vendredi soir à 20h.

Sabine Cristofani-Viglione

© Crédit Photo : GA Insoumis Dracénie

 

 

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