France

L'Éducation Nationale est victime depuis des années d'une gestion managériale mortifère. Le rapport Darcos avait pourtant, dès 2007, annoncé la ligne : L'Ecole de la République allait devoir suivre pour rester « compétitive » au niveau mondial dans les années à venir. La doctrine libérale de rentabilité du savoir avait déjà mis par terre L'enseignement supérieur avec les différents plans U3M et LMD (Universités du 3ème Millénaire et réforme dite Licence Master Doctorat).

Si philosophiquement et idéologiquement il est difficilement supportable d'envisager L'école comme « une entreprise comme une autre », les dérives libérales ne cessent de sévir au sein de nos établissements. L'entrée dans les universités, puis dans les lycées, des entreprises privées sur les territoires ont eu tendance à former de futurs travailleurs. Les étudiant.es sont d'abord stagiaires à moindre coût, pour des entreprises qui ne cessent de licencier au fur et à mesure des crises économiques et de la recherche effrénée de profits.

A Clermont-Ferrand par exemple, Michelin tout puissant avait, de manière à peine cachée, monté sa propre filière sur le Campus de Sciences des Cézeaux, lors de la mise en place de la réforme des Universités. Cela posait double problème : L'ouverture culturelle pour les formations universitaires concernées mais également le problème de recrutement quand les étudiant.es sortaient diplômés, forts de leur Licence ou de leur Master « Michelin », quand, la même année, L'entreprise clermontoise menait une campagne de licenciements sans précédent.

Les différents ministres de ces dernières années ont tous eu la même ligne en terme de politique scolaire. De Claude Allègre à Jean-Michel Blanquer, en passant par Xavier Darcos, Luc Ferry et Najat Vallaud-Belkacem, tous, sous pression des enquêtes PISA, des curseurs de performances de L'Union Européenne et des pays de L'OCDE, se sont employés à détruire ce qui aurait dû et devrait être garantie de mixité et d'ascenseur social pour les élèves de France.

Comparer avec des curseurs biaisés, les résultats des différentes évaluations internationales ont conduit à construire une école à deux vitesses. De même, comparer les enfants scolarisés en France avec ceux scolarisés dans les pays scandinaves qui nous sont souvent cités en exemple, n'a fait que culpabiliser les enseignant.es et leurs élèves de ne pas être aussi performants que leurs voisins européens.

Dans une note de blog de Pedro Cordoba intitulée « La Finlande au tableau noir » (La Finlande au tableau noir – Dissensus.org (home.blog) ), le maître de conférences honoraire à L'Université de Paris-Sorbonne pointe les bilans biaisés du système scolaire finlandais et le mal-être ressenti par toute une frange de la population scolaire laissée sur le bas-côté de leurs études. Il met également en avant L'erreur qu’est de comparer L'Éducation Nationale française et L'éducation finlandaise, les contextes sociaux, économiques et démographiques n'étant absolument pas équivalents.

Dans un essai cette fois-ci, impulsé par Roland Gori dans le cadre du collectif L' « Appel des appels » (L'Appel des Appels - Le Livre) paru en 2009 après les méfaits du ministre Darcos, les professionnels du service public dénoncent le tout-évaluation dans les services publics, et notamment au sein de L'école. Le collectif dans cet essai montre la dangerosité pour les services publics de fonctionner comme dans les entreprises privées à coup « d'études de marché ».

À cette rentrée 2021, après des années de pertes de valeurs dans L'Ecole de la République, de dévalorisation des métiers dans L'éducation, de surcharge administrative qui ne cesse de croître, de démantèlement des formations pour les personnels, de précarisation de métiers, de suppressions de postes, tous les feux sont au rouge. Le résultat des politiques scolaires et du mépris affiché par les ministres de L'Éducation depuis plus de vingt ans maintenant sont sans appel : personne ne rêve plus d'enseigner. Pire, les jeunes collègues qui parviennent à obtenir le concours démissionnent au fur et à mesure. Les plus aguerris, quant à eux, ont régulièrement L'impression de ne plus savoir faire leur métier.

L'École de la République manque de tout : d'infirmières scolaires (même en temps de pandémie mondiale), de médecins scolaires (la médecine du travail n'existe plus dans L'Éducation nationale depuis des années), de Psy-EN (anciens conseillers d'orientation-psychologues), d'assistants sociaux… Les missions de ces différents métiers sont désormais réparties entre les différents personnels non formés dans les établissements.

Les logiques libérales qui dictent désormais les politiques éducatives ont fait perdre le sens des métiers de L'éducation.

La casse des statuts des surveillant.es dans les établissements du 2nd degré, la création d'emplois précaires pour L'accompagnement des enfants en situation de handicap au lieu de créer un réel corps de métier, L'embauche croissante de contractuels malmenés par leur affectation, les heures de route et les non-renouvellements de contrats, le manque d'enseignant.es avec des classes sans professeur.e, dans les écoles, comme dans les établissements du secondaire… Voilà le tableau que nous pouvons brosser, une nouvelle fois en cette rentrée.

Mais pire que les pénuries de moyens et la souffrance des personnels, c'est la mission même de service public qui est mise à terre. L'École de la République devrait donner L'envie d'apprendre et de s'émanciper. Demandez aujourd'hui à un élève pourquoi il faut travailler à L'école. Demandez à un.e enseignant.e pourquoi il faut que ses élèves réussissent. Rares seront ceux qui vous parleront du pouvoir émancipateur de la connaissance, la réussite scolaire est désormais quasi-unanimement et uniquement devenue le passeport pour L'emploi. La perte de sens des métiers de L'éducation réside à cet endroit. Et c'est ce fléau qui en grande partie, fragilise les personnels dans leur goût de leurs métiers.

Il y a lieu de mettre en place une nouvelle politique éducative qui replace L'École au cœur de sa mission d'émancipation et de construction des savoirs, une École publique, laïque et républicaine. L'éducation n'est pas une marchandise, elle est L'une des principales richesses du peuple et de notre pays. Renouer avec cette vision de L'Éducation passe notamment par des processus de recrutement pérennes en phase avec les besoins réels, c'est-à-dire des personnels qualifiés et formés. c'est le projet défendu par le programme L'avenir en commun.

TÉMOIGNAGES

Lors de la journée de mobilisation du 23 septembre 2021 dans L'Éducation Nationale, nous avons discuter avec différents professionnels de l'éducation sur La perte de sens de leur métier.
Pour Mathieu, professeur d'Histoire-Géographie en lycée (filières technologiques) :
« Les programmes ne sont plus faits dans L'intérêt des élèves mais pour récupérer des postes d'enseignants. Il n'existe plus de spécialité des programmes, le seul but est de regrouper 33 élèves par classe. On constate que les programmes des années 2000 étaient plus actuels, plus contemporains, et de fait, parlaient plus aux élèves, les aidaient à mieux comprendre le monde qui les entoure. Les programmes actuels ont été élaborés sans IPR (Inspecteur Pédagogique Régional) et sans professeur. »

Pour Coralie, enseignante en lycée professionnel :
« Les programmes ne préparent plus à L'enseignement professionnel et deviennent de plus en plus pauvres dans les matières générales également. Les élèves arrivent dans les entreprises avec des diplômes au rabais. De plus en plus d'entreprises se plaignent du manque de formation professionnelle chez les nouveaux diplômés. »

Pour Aline, CPE (Conseillère Principale d'Education) en collège :
« La Crise sanitaire a aggravé les tensions dans les Vies Scolaires avec le protocole sanitaire à appliquer et le port du masque à faire respecter. Cela nous a pris beaucoup de notre temps de travail. L'année dernière, à cause du respect de non-brassage des élèves, je n'ai pas pu faire la formation des délégués d'élèves, ce qui m'a beaucoup handicapée dans L'exercice de mes fonctions. A la rentrée, j'ai été choquée d'avoir reçu L'ordre d'accompagner les élèves se faire vacciner, même si c'était sur demande des parents. Je ne suis pas infirmière. Et ce n'est pas le rôle de L'Éducation nationale d'emmener les élèves à la vaccination. Ces dernières années, le rapport à la hiérarchie a changé. La logique managériale est néfaste. Je me sens seule et je me retrouve à « manager » L'équipe de surveillants. »

Pour Antoine, AESH (Accompagnant des Élèves en Situation de Handicap) en collège :
« La gestion répond à une logique budgétaire et ne correspond plus du tout aux besoins réels. La mutualisation à outrance, la mise en place des PIALs (Pôles Inclusifs d'Accompagnement Localisés) poussent les collègues à une mobilité forcée. Nos services de 24h sont répartis de telle sorte que nous ne pouvons pas cumuler un 2ème travail pour avoir un traitement salarial complet. »

Pour Charline, professeure des écoles dans le primaire :

« La perte de sens c'est surtout ces derniers temps le mépris et la non-reconnaissance du métier, et cela passe aussi par le salaire. Cette rentrée, des guides ministériels qui n'ont aucun sens ont été distribués aux stagiaires à la place des programmes. Le recrutement de contractuels en hausse place des personnels non formés devant les élèves. c'est évidemment plus intéressant financièrement pour le ministère. Au lieu de recruter des enseignants avec un concours, L'Éducation nationale préfère recruter des personnels précaires. »

Propos recueillis par Eloïse Gonzales

Abonnez-vous

Chère lectrice, chère lecteur,
Les équipes du Journal de l'insoumission travaillent d'arrache-pied pour vous offrir un magazine trimestriel et un site internet de qualité pour informer et participer d'une culture de l'insoumission. Nous améliorons sans cesse notre formule et nos thématiques : politique, climat, économie, social, société, international. Nous traitons de nombreux sujets avec sérieux et sous de nombreux formats : interviews, analyses, reportages, recettes de cuisine etc. Nous participons aussi à un nouveau média insoumis en ligne Linsoumission.fr. Le Journal de l'insoumission en devient le pendant en format papier et magazine. Les médias insoumis se fédèrent et s'entraident pour affronter la période et les échéances à venir.

Notre objectif est la vente en kiosque dans toute la France métropolitaine et d'outre-mers. Pour ce faire, nous avons plus que jamais besoin de vous. L’abonnement et les ventes sont actuellement notre seule source de financement.

Aidez-nous dans cette aventure. Soutenez le Journal de l’insoumission. Abonnez-vous.

Pour suivre les actualités du JI, abonnez-vous à notre newsletter. C'est gratuit.