
France

Alors que la France était l’année dernière condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme pour sa surpopulation carcérale, la crise de la covid-19 a eu l’effet positif, s’il en est, de rétablir un certain équilibre dans nos établissements pénitentiaires. Si la délinquance a baissé de 70% comme le soulignait place Beauvau durant le premier confinement, et dans une moindre mesure dans les confinements successifs, ce sont aussi des libérations anticipées qui ont été menées pour respecter les règles sanitaires.
Au 1er janvier 2021, il y avait 62.673 détenus en France, pour 60.783 places, une nette amélioration si l’on compare aux chiffres de l’année dernière de 70.651 détenus. L’équilibre a été atteint en mars 2020 mais à la fin du 1er confinement, les chiffres sont ensuite repartis à la hausse et la surpopulation également.
En revenant sur ce problème structurel c’est la viabilité du système carcéral actuel qui pose question.
Les établissements pénitentiaires fonctionnent-ils ?
Il existe en France 187 établissements dont 86 maisons d’arrêt et 94 établissements pour peine. On compte également 6 établissements pour mineurs. Ils ont tous pour mission de permettre l’exécution de la peine dans de bonnes conditions, le maintien des liens familiaux et la réinsertion des individus.
Mais pour quel bilan ? Il y a de cela 20 ans, une commission parlementaire chargée d’enquêter sur les conditions de détention des établissements pénitentiaires a porté à l’attention des sénateurs plusieurs problématiques liées tant au respect des droits des prisonniers qu’aux difficultés administratives et structurelles des prisons.
Avec l’augmentation constante de la population carcérale non compensée par des mesures appropriées, la prison se retrouve face à une insuffisance de formation et d’effectif des personnels pénitentiaires. C’est aussi le taux de récidive qui inquiète, l’Observatoire international des prisons soulignait, en 2020, que 63% des condamnés en France le sont à nouveau dans les 5 années qui suivent.
Des voisins européens plus vertueux.
Les modèles nordiques sont souvent acclamés et promus par les observatoires de la détention pour leur taux de récidive très bas : 30% en Suède, 28% au Danemark ou encore de 20% en Finlande.
Si l’on constate que leurs choix de détention sont différents et expliquent en partie leur succès (détenus en semi-liberté avec des accompagnements sociaux très nombreux, pouvant travailler quasiment comme les autres citoyens dans des systèmes autonomes ou ouverts), il y a lieu de souligner que les budgets alloués par les pays nordiques sont plus du double du modèle français.
Face aux arguments du modèle nordique, on pointe souvent leur population carcérale beaucoup plus faible que la nôtre en proportion de la richesse du territoire. Pourtant ce modèle existe en France. En effet, le modèle type « prison ouverte » est bien expérimenté en France et il l’est depuis 35 ans ! C’est Robert Badinter alors garde des Sceaux qui l’a lancé en France.
La Dordogne en avance ?
Dans le village de Mauzac en Dordogne, située au milieu d’un domaine agricole de près de cent hectares, la prison est construite comme un village, et les détenus peuvent circuler très librement à l'intérieur. Voilà ce que l'on peut voir quand l'on se promène à l'intérieur de ce centre pénitentiaire : un groupe de détenus en pleine partie de pétanque, d'autres qui discutent à l'ombre ou jardinent, certains plus sportifs courent autour du terrain de foot... Autour de cette prison, il n'y a aucun mur, mais seulement un grillage qui permet de voir le paysage.
Dans la prison-village, il y a 21 maisons. Dans chaque maison, il y a 12 chambres-cellules, une personne dans chacune d'elles. La cuisine, le salon et les douches de la maison sont collectives. Au 1er janvier 2021, ils sont 329 prisonniers pour une capacité de 369 places. Dans les maisons, ni couloirs, ni caméras, ni serrures électriques. Dans ces établissements, on cultive la responsabilité et l’autonomie, aussi, durant la journée les détenus disposent de la clé de leur cellule. Le soir, ce sont les surveillants qui ferment les cellules. Les prisonniers doivent y rester obligatoirement de 19h à 7h.
En dehors de ces horaires, ils sont libres d’aller et de venir dans l’enceinte du centre où ils peuvent se balader, aller à la salle de musique, de sport ou à la bibliothèque. Certains considérés comme des détenus exemplaires sortent pour se rendre au travail dans une ferme-école à proximité. Pour les détenus en fin de peine, des formations leur sont proposés. Anticiper et préparer leur réinsertion est l’enjeu. On la sait d’autant plus efficace que le détenu aura travaillé en prison. Quand c’est le cas, il récidive deux fois moins que les autres.
Ouvert en 1986, cette prison au modèle novateur devait être un centre d’expérimentation visant à proposer une autre politique carcérale dans une imitation du modèle danois, avec un coût de construction moins élevé que celui d’une prison classique. Mais à l’exception d’un autre site en Corse ce modèle de prison ouverte n’a pas été reproduit en France.
Au fil du temps, Mauzac a accueilli essentiellement des délinquants sexuels, réputés comme étant plus « dociles ». Aujourd’hui, ils représentent 85% des prisonniers. Ceux qui sont accueillis à Mauzac sont considérés par l’administration pénitentiaire comme des détenus modèles. Ils sont également soumis à une obligation de soin. Si la délinquance sexuelle reste la première cause d’incarcération à Mauzac, ce système de « prison ouverte » est compatible avec d’autres catégories de criminels.
Résultat, la prison de Mauzac enregistre un des plus bas taux de tentatives d'évasion, une seule a été enregistrée en 33 ans. Une violence réduite, un climat plus apaisé pour les détenus mais aussi pour le personnel. Un modèle faisant le pari de la réinsertion pour lutter contre la récidive. Si aucune étude sur la récidive des prisonniers n'a encore été menée à Mauzac, on peut espérer que ce modèle suive les bons résultats de nos voisins nordiques.
C’était sans compter le dogme austéritaire…
Cependant, la bonne volonté des débuts dans un monde où le modèle fait exception a laissé place à des irrégularités et des dysfonctionnements dénoncés par les syndicats, en cause notamment, les restrictions budgétaires qui empêchent de suivre correctement les prisonniers.
Depuis plusieurs décennies, les restrictions budgétaires ont détricoté les services publics en général et la justice les a subies de plein fouet. Des moyens humains et financiers doivent être à la hauteur des enjeux. C’est ce que défend le programme de l’Avenir en commun : mettre fin à la paupérisation de la justice et de l'administration pénitentiaire. Pour cela voici quelques mesures concrètes :
- Mettre en œuvre un plan de recrutement de personnels pour désengorger les tribunaux
- Rénover et construire de nouveaux locaux pour les tribunaux
- Recruter 2 000 agents pénitentiaires pour les escortes des détenus
- Mettre fin au tout carcéral en développant les peines alternatives, de rénover les prisons pour garantir la dignité humaine et assurer la socialisation des détenus.
Alors pourquoi nos politiques carcérales contre-productives se poursuivent-elles ? Quand allons-nous traiter nos prisonniers avec décence et avec les moyens nécessaires ? Une société ne peut vivre en excluant à perpétuité celles et ceux qui lui ont causé préjudice. L’enjeu principal reste de préparer et d’anticiper au mieux la sortie. Dans l’intérêt du détenu mais aussi dans l’intérêt de la société toute entière.
Matteo Vicente
Crédits photos : Matteo Vicente

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