
France

Plusieurs grandes journées de mobilisation, y compris pendant les fêtes de Noël, un mouvement qui d’ores et déjà, bat le record de longévité de 1995… Et pourtant, E. Macron semble vouloir avancer à marche forcée, imposant un calendrier aux allures de compte à rebours : projet de réforme présenté en conseil des ministres le 24 janvier, premier passage à l’Assemblée nationale en février. Le gouvernement se veut rassurant sur les conséquences de la réforme sur les pensions de demain mais il semblerait bien que les Français.e.s n’y croient pas une seule seconde.
« Nous ne sommes pas dupes !»
Le 5 décembre dernier, première grande mobilisation, nous rencontrons Michel, ingénieur retraité. Il nous dit être là pour ses enfants et l’avenir de ses petits-enfants. « J’ai travaillé et payé la retraite de mes parents, mes enfants font de même aujourd’hui avec moi. C’est ça que je suis venu défendre aujourd’hui. » Michel cite la loi PACTE votée en mai dernier qui défiscalise la capitalisation : « ils nous disent vouloir maintenir notre système par répartition mais ils font le contraire, de manière sournoise et méthodique. La retraite à points, mécaniquement, fera baisser les pensions. Quelle solution restera-t-il alors aux travailleurs pour espérer vivre décemment après plus de 40 ans de travail ? La capitalisation. Nous ne sommes pas dupes du double langage de Macron ! » Pour lui, le plan du gouvernement est bien huilé : défiscalisation de la capitalisation puis baisse des pensions. Ce qui remettra en cause, de fait, notre système par répartition puisque ne permettant plus aux retraités de demain de bénéficier d’une retraite correcte.
« J’ai 21 ans, mon avenir, c’est l’effondrement climatique et le chacun pour soi »
Mobilisation du 17 décembre, nous croisons Léo, étudiant. Il travaille dans le périscolaire pour aider ses parents à financer ses études et nous fait part de son désarroi. « Nous, les jeunes, sommes face à des enjeux vitaux avec l’effondrement climatique. Le capitalisme prône l’accumulation mais la Terre n’en peut plus ! » Léo pointe du doigt le fameux 14% du PIB alloué au financement des retraites. Il nous explique que non seulement ce seuil est une aberration du fait de la population vieillissante mais qu’il est aussi le signe d’une irresponsabilité écologique. « Si le gâteau reste le même, les parts seront d’autant plus petites que nous serons nombreux à se le partager. Et croire encore que la croissance nous sauvera est totalement irresponsable ! D’abord, elle est en panne dans les pays occidentaux depuis plus de 40 ans, et en plus, elle n’est pas souhaitable ». Léo nous explique que nous devons tourner le dos à ce modèle de développement : produire pour consommer, consommer pour produire. « Cette course à la croissance a épuisé nos ressources, pollué nos cours d’eau, notre air, rempli la mer de plastique à n’en plus pouvoir. Asseoir le financement de nos retraites sur une espérance de croissance est totalement utopique et criminel ! » Léo est végétarien, un brin décroissant, par conviction mais pas seulement. « Nous devons retrouver le sens de la vie. Le bonheur n’est pas dans le consommer plus, il est dans l’humain, dans le lien».
« A ce rythme-là, je serai en retraite à 70 ans ! »
Un peu plus loin, nous croisons Emeline, 37 ans, enseignante d’anglais en collège depuis 2 ans. Entre 27 et 35 ans, elle fut assistante d’éducation et de français à Edimbourg. Elle a donc bien cotisé toutes ces années, mais sur la base d’un SMIC… Et ce n’est que depuis 2 ans qu’elle cotise sur la base d’un salaire correct. Si la réforme passe, elle devra cotiser 43,75 annuités, soit jusqu’à ses 70 ans : « c’est pas sérieux d’être devant des ados à cet âge-là ! » nous dit-elle. 70 ans, pour une retraite à taux plein mais à quel niveau ? Elle ne le sait pas exactement. Des primes très faibles pour les enseignants, une rémunération bloquée depuis 10 ans avec le gel du point d’indice, un calcul de la pension sur l’ensemble de la carrière : les premières simulations font état de pertes nettes entre 300 et 1000 euros pour les enseignant.e.s du fait de la réforme.
« Ce n’est pas un mais deux âges d’équilibre que le gouvernement a prévus ! »
La mise en œuvre progressive de la réforme crée 3 catégories de retraités. Ceux nés entre 1960 et 1975 verront leurs pensions de retraite calculées selon l’ancien régime mais seront concernés par l’âge pivot (âge pour une retraite à taux plein), avec système de bonus/malus, s’il est maintenu. Cet âge commencerait à augmenter dès 2022 pour atteindre 64 ans en 2027. Les modifications des taux de cotisations en 2025 les impacteront également. Ceux nés entre 1975 et 2004, verront leurs pensions calculées selon le système à points dès 2025. Et enfin, les générations nées à partir de 2004 ne connaîtront que le système à points, avec une entrée en vigueur prévue en 2022.
A cela s’ajoutent les diverses dérogations accordées à certaines professions par le gouvernement : policiers, pilotes, douaniers, surveillants pénitenciers, routiers… De quoi mettre encore plus à mal l’argument du système dit universel.
Julien, paysagiste, voit dans le retrait provisoire, annoncé par le gouvernement, de cet âge pivot dit de court terme, un coup politique. « Cette annonce est là pour casser la mobilisation. Je vous fais le pari qu’au moment de la seconde lecture du texte à l’Assemblée nationale, il reviendra à la charge ! » Le gouvernement a en effet conditionné ce retrait : les partenaires sociaux doivent lui proposer une autre solution pour assurer l’équilibre du système, d’ici avril prochain, sans augmenter les cotisations… Sinon… Pour Julien, tout ça n’est que supercherie, d’autant plus que le projet de loi prévoit un autre âge pivot : un âge d’équilibre dit systémique, applicable pour les générations à partir de 1975, c’est-à-dire à partir de 2037 avec un an de bonus/malus. Et celui-ci est irrévocable, comme l’a bien fait comprendre E. Philippe. Le maintien de cet autre âge pivot poussera donc, demain, les jeunes générations à travailler jusqu’à 65 ou 66 ans ou plus…
Plus globalement, Julien a voulu nous parler de l’esprit de cette réforme. Il a deux enfants, dont un né en 2004 : « je me bats aussi pour mon fils qui a aujourd’hui 15 ans. Si on ne fait rien, nos enfants ne connaîtront pas notre système de solidarité hérité du Conseil National de le Résistance. C’est un grave recul ».
« Les femmes seront les grandes perdantes »
Carrières hachées, travail à temps partiels, salaires plus bas que ceux des hommes, les femmes semblent les grandes perdantes de la réforme à points. Et pourtant, c’est par l’annonce inverse qu’Edouard Philippe a présenté les mesures qui leur seront applicables : prime de 5% par enfant plus 2% à partir du 3ème, calculée au choix sur le salaire de la mère ou du père. Mais les hommes étant mieux rémunérés que les femmes, il y a fort à parier que les couples feront le choix d’une application au salaire du père, pénalisant alors la mère… Juliette, caissière depuis plus de 20 ans, travaille à temps partiel dans la grande distribution. S’il est vrai qu’elle a pu, un temps, apprécier ce temps de travail réduit pour élever ses enfants, aujourd’hui elle estime qu’elle en paiera le prix fort lors de son départ en retraite. « Avec le calcul de ma pension sur l’ensemble de ma carrière, forcément, je suis perdante ». Juliette en est consciente, elle n’aura alors pas d’autres choix que de travailler plus longtemps ou voir sa retraite baissée. Mais c’est sans compter ses douleurs aux épaules et aux bras du fait des postures de travail. « J’ai 50 ans et j’ai déjà des douleurs partout dans le haut du corps. Quand j’entends le nouveau ministre Pietraszewski balayer d’un revers de la main la question de la pénibilité en nous disant que nous n’aurons qu’à nous reconvertir, je suis ahurie.»
Cette fois-ci, il ne suffirait donc plus de traverser la rue mais de se reconvertir…. Roger, charpentier, ne décolère pas : « il paraît que Macron n’aime pas le mot « pénibilité » mais qu’il redescende sur terre, le travail c’est pénible ! Et certains encore plus que d’autres ! »
Mais alors que prévoit la réforme des retraites en matière de pénibilité ? Un départ en retraite possible deux ans plus tôt ou un travail à mi-temps trois ans avant le départ. Alors, deux ans de gagnés ? Pas vraiment quand on compare cette mesure avec le recul de l’âge de départ à taux plein de 62 à 64 ans… Ce qui est acquis d’un côté est repris de l’autre. Et qui serait concerné ? Les infirmières et les aides-soignantes le seraient, mais quid des autres professions ? Les ouvriers qui manient un marteau piqueur toute la journée, et qui depuis les ordonnances Macron de 2017 ne bénéficient déjà plus des mesures applicables aux métiers dits pénibles, le seraient-ils ? Juliette, notre caissière et ses troubles musculosquelettiques, le sera-t-elle ? Le flou est total.
Jusqu’au retrait…
La détermination est grande, la grogne est profonde et dépasse largement le seul cadre de la réforme des retraites. Après un an de gilets jaunes, c’est toute une politique qui est rejetée. Celle de la casse des services publics et des systèmes de protections solidaires et collectifs, celle des cadeaux aux plus riches, celle de l’irresponsabilité écologique, celle de la répression d’un peuple qui se lève pour dire stop. Ce nouveau pavé dans la mare du gouvernement cristallise de nouvelles colères et agglomère un mouvement d’ensemble puissant. Rappelons-nous ces images sur le parvis de l’Opéra de Paris avec ses danseurs et ses musiciens, mobilisés à leur façon, mobilisés avec leur art. Là aussi, le gouvernement a bien tenté de casser cette cohésion des travailleurs en leur proposant, à eux-aussi, une dérogation… Leur refus de sacrifier les générations futures illustre à quel point, tous et toutes ont compris les enjeux de cette réforme. Car ce qui se joue ici n’est pas qu’une question technique. C’est tout un projet de société qui est au cœur de cette bataille, le choix de la solidarité et du collectif. Gilles, amer, nous le dit à sa façon : « notre société crève de son individualisme et ce gouvernement appuie sur l’accélérateur ».
Séverine Véziès

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