
France

Les jours heureux , programme du Conseil National de la Résistance fait figure d’héritage pour notre pays. Face à la barbarie, il trace un nouvel horizon. Un horizon d’espoir.
L’espoir d’une société plus juste, d’un projet collectif pour vivre mieux, pour vivre ensemble, pour vivre libre. Création de la Sécurité sociale pour tous, nationalisation des entreprises stratégiques, organisation politique de la société… Ce programme fut l’architecture politique, économique et sociale de la France pendant plus de 30 ans. Mais après les fondements économiques dans les années 80, c’est le volet social qui subit le souffle du vent libéral.
La retraite par répartition, un projet de société
L’ordonnance du 19 octobre 1945 donne naissance à la retraite par répartition. L’âge légal de départ à la retraite fixé à 65 ans, sera ramené à 60 ans en 1982 par F. Mitterrand. Plus qu’une question technique, elle est un projet de société, basé sur la solidarité intergénérationnelle. On ne cotise pas simplement pour soi, de manière isolée et individualiste, ce sont les cotisations des actifs qui financent les pensions de retraite versées, tout en permettant l’ouverture de droits pour le cotisant. Ce mode d’organisation sociétale n’est pas inédit, la solidarité intergénérationnelle ayant toujours été au cœur du fonctionnement des groupes humains. La grande innovation et avancée sociale de 1945, n’est donc pas tant cet aspect technique en lui-même, que le choix politique d’en faire la structure de fonctionnement d’un système étatique. La solidarité intergénérationnelle devient la loi, la retraite par répartition incarne ce grand projet progressiste.
Livre blanc de 1991, le point de rupture
Jusqu’en 1993, les réformes des retraites ont surtout permis d’étendre les garanties du système à l’ensemble des salariés et d'améliorer le montant des pensions. Le Livre blanc sur les retraites, préfacé par M. Rocard, marque une rupture. Il aborde pour la première fois les conséquences financières de l’allongement de la durée de l’existence. Il est une rupture à double titre. Outre le lien entre vieillissement de la population et équilibre du système, il pose les bases de l’esprit des réformes qui vont ensuite être menées successivement. A partir de 1993, elles vont donc s’articuler autour de 4 axes : allongement de la durée de cotisation, report de l’âge de départ à la retraite, réévaluation du mode de calcul des pensions et remise en cause des régimes publics et spéciaux.
La réforme Balladur de 1993 assène les premiers coups au régime général. Avec à la clé, selon une étude de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse publiée en 2008, une baisse des pensions versées à l’ensemble des retraités présents entre 1994 et 2003 et la baisse du taux de remplacement pour les salariés (pourcentage de son ancien revenu perçu une fois à la retraite).
En 2003, la réforme Juppé alignera la durée de cotisation du secteur public sur celle du privé et prendra en compte pour la première fois l’espérance de vie en y indexant la durée de cotisation pour une retraite à taux plein. La retraite par capitalisation se voit favorisée par la création du Plan d’épargne pour la retraite populaire.
Sous Sarkozy, en 2010, 2 mois de manifestations massives, plus de 3 millions de personnes dans les rues à l’automne et pourtant, la difficile généralisation du mouvement aura raison de la contestation : recul progressif de l’âge légal de départ de 60 ans à 62 ans et recul progressif de l’âge du taux plein de 65 ans à 67 ans. En 2014, la réforme portée par les socialistes, prévoit, une nouvelle fois, l’augmentation de la durée de cotisation mais cette fois-ci selon un calendrier par génération.
Réforme Macron, l’illusion d’un système universel
Après avoir “simplifié” le code du travail, “simplifié” l’assurance chômage, asséché les ressources de la Sécurité sociale par sa fiscalisation et la remise en cause du système des cotisations, E. Macron continue de mener de manière méthodique et systématique son combat contre l’Etat social. La pierre angulaire de la réforme du gouvernement est la remise en cause des régimes spéciaux et la création d’un système de retraite à points pour tous d’ici 2025.
Derrière le vernis de l’universalité se cache une recette vieille comme le monde : diviser pour mieux régner. Le Rapport Delevoye donne le ton : il faut dépasser les “égoïsmes corporatistes”. En montrant du doigt l’existence de 42 régimes de retraite, le gouvernement cherche à opposer les salariés entre eux. Mais outre le fait que ces régimes correspondent à des situations particulières, qu’ils ont été acquis à la suite de luttes douloureuses et de renoncements à des avantages en contrepartie, il est important de rappeler qu’ils ne concernent que 3% de la population française.
Une volonté d’allonger la durée de cotisation
Après l’universalité, voilà que l’égalité est à son tour invoquée : 1 euro cotisé donne les mêmes droits quels que soient le métier et le statut. En réalité, dans les pays européens où ce système a été mis en place, on observe une forte baisse générale des pensions. Avec le système par annuité, la retraite à taux plein est obtenue au bout d’une certaine durée, avec le système à points, c’est la durée de cotisation qui détermine le niveau de pension. On voit donc bien poindre le but ultime du projet : faire en sorte que les salariés travaillent plus longtemps. Se pose également la question de la valeur du point et de son évolution. Le risque étant que sa fixation devienne l’apanage d’une décision politique pouvant alors au gré des exigences économiques et budgétaires la faire varier, modifiant alors mécaniquement sa conversion en pension perçue. La maîtrise des déficits publics étant devenue si obsessionnelle, idéologique et en dehors de toute rationalité, on est en droit de craindre que la valeur du point devienne une des variables d’ajustement pour diminuer la dépense publique. Alors si harmonisation il y a, elle sera assurément par le bas.
Le gel des ressources des retraites à 14% du PIB, voulu par le gouvernement, valide également cette analyse. Avec l’augmentation du nombre de seniors dans les années à venir, mathématiquement si le gâteau ne bouge pas, les parts seront plus petites… Ce projet de réforme apparaît donc plutôt comme un projet de répartition de la pénurie visant à rendre le système par répartition indigent et ainsi inciter soit à travailler plus, soit à se faire sa propre retraite dans son coin, pour espérer vivre dignement après une dure vie de labeur.
L’espérance de vie, l’alibi
L’allongement de l’espérance de vie est l’argument sans cesse brandi pour justifier les réformes successives. Mais ne vit-on pas plus longtemps car on travaille moins longtemps ? Nous avons gagné 30 ans d’espérance de vie au XXème siècle. Mais depuis 4 ans, elle plafonne (85,3 ans pour les femmes et 79,4 pour les hommes en 2018) et présente de fortes inégalités au sein d’une même génération : une espérance de vie inférieure de 13 ans entre les 5% les plus pauvres et les 5% les plus riches ; une espérance de vie inférieure de 6 ans entre un cadre et un ouvrier.
Signe d’une société de progrès, la stagnation de cet indicateur pose question quant à l’image peu rassurante que cela donne de notre société. On observe une inflexion dans d’autres pays européens et une baisse depuis 3 ans aux USA. Quant à l’espérance de vie en bonne santé en France, elle a tendance à se dégrader (64,1 ans pour les femmes et 62,7 pour les hommes). L’âge pivot de 64 ans serait donc au-delà de l’espérance de vie en bonne santé…
Une autre réforme est possible
Le vieillissement de la population rend nécessaire la réforme de notre système de retraite pour assurer sa pérennité. Mais il y a deux façons d’aborder la question du financement. La vision libérale qui tait les gains de productivité et la question de la répartition de la richesse, en faisant payer les salariés et les retraités. La vision progressiste qui voit dans l’amélioration de l’espérance de vie un objectif de progrès social. D’autres voies sont donc possibles : élargissement de l’assiette de cotisation en mettant par exemple à contribution les revenus financiers, une réelle égalité salariale homme/femme, la relance de l’emploi, l’augmentation des salaires…
Les mois à venir vont donc être décisifs pour la survie de notre système de retraite. Pour l’heure, le président Macron s’est à nouveau lancé dans une série de one man show dans le cadre d’une grande concertation nationale. Craignant une explosion sociale non contrôlée, le gouvernement espère rassurer et convaincre une société en crise. Crise des gilets jaunes, crise des corps intermédiaires et désintermédiation de la politique, le climat est explosif. D’autant plus que les français ne sont pas dupes, 60% estiment que tout est déjà décidé… Mère de toutes les batailles, de nombreux gouvernements se sont heurtés à la grogne de la rue. Deux journées de mobilisation ont déjà eu lieu, mais l’enjeu des prochaines semaines et mois sera de réussir, face à l’opposition orchestrée par le gouvernement des uns contre les autres, à se mobiliser tous ensemble pour un intérêt commun.
Séverine Véziès

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