France

L’absence d'éducation de la population aux risques industriels majeurs, l’insuffisance de l'organisation et des moyens actuels des services concourant aux missions de sécurité civile ne permettraient pas d’assurer efficacement la protection des populations.

Le projet politique de La France Insoumise, « l’avenir en commun » issu de celui qui a servi de base d’élaboration « l’humain d’abord » fixe parmi ses objectifs, la sortie de l’énergie électronucléaire. Les motivations de cette proposition sont multiples et ne présentent pas un caractère purement idéologique puisqu’elles réfutent les idées faussement réitérées par les politiques et les médias qui affirment qu’il s’agit d’une énergie propre, sûre, maitrisée, non génératrice de CO2 et de gaz à effet de serre, la moins chère et qui assure l’indépendance énergétique de la France…Toutefois l’argumentation qui insiste essentiellement sur la dangerosité de cette technologie ne convainc pas .

Pourtant les sècheresses répétées des cours d’eau utilisés pour le refroidissement des réacteurs et la multiplication des canicules obligent les opérateurs à les mettre régulièrement à l’arrêt (plusieurs réacteurs en arrêt pour défaut de refroidissement au cours de l’été 2019). Ces phénomènes climatiques nouveaux qui ne pouvaient pas être imaginés lors de la construction de notre parc nucléaire alliés à la dangerosité de cette technologie augmentent l’occurrence d’un risque d’accident majeur.

Depuis le début de l’année chaque semaine apporte son lot d’annonces et de révélations inquiétantes du contrôleur des installations nucléaires. L’ASN autorité de sureté nucléaire constate régulièrement lors de visites de nombreuses anomalies et retards à leur correction tant sur les installations vieillissantes et que sur le non-respect ou l’ignorance des procédures par l’opérateur EDF et de ses sous-traitants et notamment :

  • Pannes et arrêt de réacteur (centrale de Flamanville depuis le 10 janvier 2019 arrêt prolongé jusqu’au 15 octobre. Depuis le début de l'année, la centrale a annoncé quatre nouveaux événements significatifs, de niveau 1)
  • Défauts de soudures constatés par l’ASN sur les réacteurs actuellement en service et en construction en France par perte de savoir-faire !
  • Mesures de prévention des séismes non appliquées par EDF après rappels à l'ordre par l'ASN  (défaillances de la digue de protection de sa centrale nucléaire du Tricastin)
  • Non-respect des procédures ou même ignorances des procédures en cas d’accident par EDF et ses sous-traitants.

Ces anomalies sur des installations vétustes nous rapproche chaque jour d’un accident majeur. Le président de l’ASN n’avait-il pas déjà déclaré devant l’Assemblée en mai 2013 : « un accident nucléaire majeur est possible en France. Il faut donc se préparer à ce type de situation y compris a des crises importantes et longues. »(1)

Une estimation de l’ASN avait d’ailleurs fixé le coût d’un accident nucléaire majeur entre 430 à 5800 milliards d’euros ( 1/4 du PIB) en oubliant l’impact sur la population !

Gregory Jaczko (2) ex-président de l’autorité de sûreté nucléaire américaine, la Nucleus Regulatory Commission (NRC) de 2009 à 2012 affirmait dans une interview, tirant les leçon de Fukushima : « quand on dirige une autorité de sureté, on travaille sur les failles que l’on connaît mais par définition, pas sur celles que l’on ne connaît pas !  Ce qui s’est passé à Fukushima est tout simplement inacceptable pour juste produire de l’électricité et les conséquences sur la population sont stupéfiantes. Imaginez devoir abandonner son domicile pour un temps indéfini. L’accident laisse en héritage des décennies de dépollution, de décontamination et de démantèlement…. Nous devons réfléchir à un usage de la technologie nucléaire qui ne puisse jamais entrainer la contamination de territoires et l’évacuation de leurs habitants . Nous n’accepterions cela avec aucune autre technologie...

Il est temps de supprimer totalement la possibilité que des accidents nucléaires produisent. 

Et pour la plupart les centrales nucléaires aujourd’hui en activité dans le monde ne remplissent pas ce critère.

Il est donc temps de commencer d’arrêter tous les réacteurs nucléaires actuellement en service. À moins qu’on parvienne à créer une nouvelle génération de technologies nucléaires qui rempliraient ce critère - c’est à dire pas seulement la réduction du risque, mais l’élimination totale de la possibilité d’un accident grave. Je considère que le nucléaire est une technologie qui n’est tout simplement pas viable dans le monde »

À Tchernobyl depuis 33 ans et à Fukushima depuis 8 ans les habitants évacués de la zone d’exclusion de 30 km ne peuvent toujours pas y retourner.

Certaines instances de sûreté préconisent même des zones d’exclusion de 80 voire 100 km !

A titre de comparaison, un accident majeur dans la centrale EDF de Nogent-Sur-Seine (Aube) menacerait de 11 millions (zone "Fukushima") à 38 millions de personnes (zone "Tchernobyl")... Autre exemple, la Centrale EDF de Cruas-Meysse (Ardèche) menacerait entre 3 et 23 millions de Français...

  • Devons-nous continuer à produire de l’électricité en utilisant une technologie aussi dangereuse pour la population planétaire et générant des déchets que personne ne sait actuellement gérer ?
  • Pouvons-nous limiter les effets d’un accident majeur aux seules limites de chaque centrale nucléaire ?
  • Sommes nous en mesure d’assurer la protection des populations face à un accident majeur en France compte tenu du nombre de réacteurs et de la densité de population environnante ?

A ces trois questions la réponse est, NON !

Aux deux premières questions la réponse est sans appel, le président de l’ASN et l’ancien président de l’autorité de sûreté nucléaire américaine, la Nucleus Regulatory Commission (NRC) l’ont formulée, l’accident majeur est prévisible et les conséquences gigantesques. Il faut donc commencer à sortir de l’énergie électronucléaire.

Quant à la dernière question une autre problématique qui est rarement abordée concerne la protection des populations. A ce sujet et à la lecture des articles et comptes rendus des différentes instances en charge de ce domaine, la France n’est pas en mesure d’assurer avec efficacité la protection de sa population face à un accident nucléaire majeur !

Cela tient, bien sûr au caractère gigantesque d’un accident nucléaire mais également à une organisation générale des dispositifs de gestion de crise manquant de culture opérationnelle commune, à des procédures non validées en grandeur réelle sur le terrain et à des moyens de coordination et d’intervention non évalués qualitativement et quantitativement.

  • La mise en œuvre des moyens actuels d’intervention pour refroidir le cœur d’un réacteur après destruction de l’enceinte de confinement obligerait les opérateurs-liquidateurs à prendre des risques gigantesques pour leur intégrité physique allant jusqu’au sacrifice ! (À titre d’information, la spécificité du statut des sapeurs-pompiers ne leur permet pas d’exercer le droit de retrait dont dispose tout salarié!)
  • Le dispositif d’alerte des populations est obsolète. (rapport sénatorial du 28 juin 2017)
  • Aucune culture de sécurité civile n’est développée en France auprès de la population.
  • l’évacuation d’une population 1 million de personnes serait impossible dans des délais convenables
  • l’accueil de millions de réfugiés pendant plusieurs années nécessiterait une définition et une organisation préalable des lieux pour leur hébergement et leur subsistance
  • La direction des opérations de gestion de l’urgence et de la crise serait confiée en cas d’accident majeur à un ensemble d’autorités et d’experts qui n’ont aucune culture opérationnelle commune et souvent une formation purement administrative.

La synthèse de ce qui précède fait apparaître que la France n'est pas prête à faire face à un accident comme celui de Fukushima. C’est ce qu’estime également l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (Anccli) dans un rapport alarmant présenté le 5 avril 2016 -Sûreté nucléaire : quel est le prix à payer ? - Anccli

Il faut donc :

1 - Prendre la décision de l’abandon de l’énergie électronucléaire et lancer un programme de substitution par des énergies propres renouvelables.

et pendant la période de transition :

2 - contraindre les opérateurs à renforcer l’intégrité des installations et les procédures de prévention et d’exploitation.

3 - Réactualiser et améliorer les Plans particuliers d’intervention « PPI-centrales nucléaires » en évaluant en grandeur réelle les mesures de protection des populations.

4 - Recenser les lieux d’hébergement permanents pour des hébergements de longue durée (plusieurs années) sur tout le territoire.

5 - Constituer un dispositif d’aide au déplacement routier, à l’accueil et à l’hébergement pour toute évacuation de la population. 

6 - Redéfinir les rôles dans la chaine de direction et de commandement opérationnels. En terme opérationnel, la conduite de la résolution de la crise appelle une « unité de commandement claire et reconnue ».

7 - Lancer un plan d’éducation de la population face aux risques de sécurité civile

8 - Doter la France d’un dispositif d’alerte performant des populations en cas de risques majeurs (risques naturels, risques industriels, risques nucléaires, attentat…)

9 - Réorganiser les « Forces de Sécurité Civile » face aux risques de catastrophes nucléaires et aux nouvelles menaces dues au bouleversement climatique, et lancer des recherches pour les doter de nouveaux moyens de gestion opérationnels et d’intervention.

10 - Créer dans chaque département un « Centre opérationnel Départemental de Sécurité » (Sécurité Civile, Sécurité Publique et SAMU)

11 - Engager fortement la recherche dans la robotisation et la commande à distance des outils de démantèlement des centrales électronucléaires et des matériels d’intervention opérationnels en cas d’accidents majeurs.

Je mets au défi le Ministre de l’Intérieur dont les services ont notamment la charge de la protection des populations d’apporter la preuve que ses services et de ceux placés sous son autorité maitrise la totalité des actions à mettre en œuvre.

Nous pouvons mettre en grande difficulté Christophe Castaner, Ministre en charge de la Sécurité Civile. Nous avons peut-être eu une première une occasion avec le projet de loi « Énergie- Climat « Sur de nombreux sujets abordés dans cette loi « Énergie/climat » je suis d’accord, que ce soit la neutralité carbone en 2050, la réduction de l’utilisation des énergies fossiles à 40% à l’horizon 2030, la réduction de l’énergie électronucléaire à 50% en 2035. La transition énergétique ne peut pas intervenir immédiatement tout le monde le comprend. Mais à aucun moment cette loi ne fixe une date pour la sortie de l’électronucléaire ce qui à mon avis est problématique. Car cela voudrait dire que la diminution de la part du nucléaire dans la fourniture d’énergie ne répond qu’à un rééquilibrage énergétique « politique" mais aucunement au danger pour les populations de l'utilisation de cette technologie.

L’absence de prise en compte du danger relève de l’inconscience (ou du pari) , d'une part, parce que la prolongation de la durée de fonctionnement des centrales électronucléaires actuelles dont le cœur a été fragilisé par un « bombardement » neutronique intense, augmente l’occurrence d’un accident et d’autre part, parce qu'aucune réflexion sur la protection des populations et notamment celles à l’intérieur de la nouvelle zone de 20 km autour des centrales n’est envisagée .

Toutes les mesures de prévention prises (le grand carénage) ne permettront pas d'éviter l’accident majeur. Quant à la protection des populations (jusqu’à 1 million dans certaines zones désormais de 20 km) en cas d’accident, celle-ci serait matériellement irréalisable, en particulier, l’évacuation). En effet, même si nous pensons que tout est prévu dans nos plans opérationnels, nous ne disposons pas en France d'une puissance publique (organisation, direction et coordination opérationnelle, et moyens) en capacité d’assurer la protection des populations face à un accident dans une centrale électronucléaire  !

La catastrophe industrielle de « Lubrizol » à Rouen pourrait permettre de relancer opportunément le débat sur les dangers d’un accident nucléaire majeur. Nous avons la démonstration depuis l’incendie de l’impréparation des pouvoirs publics et en particulier de l’État pour assurer la protection de la population. Si l’évacuation des populations environnantes n’a pas été ordonnée pendant l’incendie c’est en particulier à cause de l’obsolescence du système d’alerte national, à l’incapacité d’évacuer et d’accueillir dans de bonnes conditions plusieurs milliers de personnes et à l’absence de culture opérationnelle du corps préfectoral chargé réglementairement de la direction des opérations.

C’est l’objet de l’étude que j’ai réalisée sur l’incapacité de l’État à assurer la protection de la population en cas d’accident nucléaire majeur qui aurait un impact encore plus vaste que l’incendie de Lubrizol puisque la population serait évacuée pour de longues années et non quelques heures !

Les questions qu’il faut se poser et qu’il faut poser au Ministre de l’intérieur et à la Ministre de la Transition écologique et solidaire sur le maintien ou l’abandon de l’énergie électronucléaire sont les suivantes : 

1 - est-ce que l’emploi de l'énergie nucléaire est dangereux pour les populations en cas d’accident majeur ?

2 - avons-nous des moyens d’intervention adaptés pour fixer et réduire les effets d’un accident majeur directement sur la centrale concernée sans sacrifier les intervenants?

3 - avons-nous des moyens efficaces d’alerte des populations (sédentaires et itinérantes) en cas d’accident ?

4 - avons nous les moyens de distribuer les pastilles d’iode (qui ne protègent que la contamination par l’iode 131 alors qu’une multitudes d’autres radioéléments tout aussi dangereux seraient diffusés dans l’atmosphère) aux populations concernées en cas d’accident ?

5 - avons nous les moyens d’évacuer les populations en cas d’accident ?

6 - avons nous les moyens d’assurer la circulation continue des moyens de transport des populations à évacuer en cas d’accident sur les routes et autoroutes?

7 - avons-nous recensé les lieux d’accueil des populations évacuées selon la direction des vents dominants en cas d’accident ?

8 - avons nous les moyens d’accueillir les populations évacuées en termes d’hébergement et de subsistance pour plusieurs semaines voire années en cas d’accident ?

 

Daniel Conversy
Colonel(er) de sapeurs-pompiers professionnels
Directeur départemental honoraire des services d’incendie et de secours
Spécialiste Sécurité Civile en prévention et intervention sur les risques radiologiques

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