
France

Le hareng ça n’est pas un crustacé, c’est un poisson, et si je n’ai pas eu accès à la liste de intolérances alimentaires des époux Rugy, je sais qu’il en fait une grande consommation sur le plan rhétorique.
Quelle est l’origine de cette stratégie argumentative dite du « hareng fumé » ? On raconte qu’aux États-Unis, des prisonniers en cavale s’étaient dotés d’un stock de harengs fumés qu’ils semaient, tel le Petit Poucet, à intervalles réguliers, derrière eux. Ainsi, les chiens lancés à leurs trousses s’égaraient régulièrement, perturbés par cette odeur déroutante - ou par leur gourmandise ? difficile à dire tant qu’on ne dispose pas de la liste des intolérances alimentaires des chiens.
Cette histoire a laissé son nom à une technique bien connue des rhéteurs : « la technique du hareng fumé », ça consiste à détourner une question ou une accusation portée contre vous, en en sélectionnant délibérément l’aspect le plus anodin, le plus secondaire pour passer par dessus bord le fond de l’accusation. Vous semez ainsi tant bien que mal votre interlocuteur en essayant de l’entraîner sur des fausses pistes. C’est généralement efficace dans des formats très contraints - le temps médiatique d’une interview par exemple - quand votre interlocuteur aura peu de temps pour vous tenter de vous ramener à la question qui vous embête.
Non, M. Rugy n’est pas, comme il feint de le croire, attaqué sur ses goûts culinaires et régimes alimentaires. Qu’il se fût agit de tartines sans gluten n’aurait pas changé grand chose. Certes, les intimes à qui il offrait ces dispendieux repas auraient peut-être trouvé cela un peu fadasse, et l’on n’aurait pas raffolé de ces dîners aux frais de la princesse.
Autrement dit, qu’est-ce qui est en jeu ici ? L’ostentation bien sûr, qui est un des symptômes les plus criants de l’attachement de cette caste à ces privilèges qui la distinguent de la plèbe ; mais c’est surtout la corruption : on apprend par Mediapart que des lobbyistes, des journalistes comme M. Apathie, se rendaient officieusement à ces dîners. Et ce n’était pas pour échanger sur leurs régimes alimentaires.
L’oligarchie passe le plus clair de son temps à organiser ses réseaux, et à les entretenir. Pots de vins, repas luxueux, rencontre plus ou moins formelles font partie du quotidien de ces intrigants, corrupteurs et corrompus. Juan Branco en a donné un témoignage convaincant et documenté dans son ouvrage Crépuscule, où cette phrase me semble illustrer parfaitement la situation : « Ils ne sont pas corrompus, ils sont la corruption. » D’où l’incapacité structurelle de Rugy à voir le problème - tout comme Fillon avait toutes les difficultés à comprendre ce dont on l’accusait, et se payait le luxe de juger « misogyne » la mise en cause de sa femme qu’il employait fictivement - ces pratiques sont constitutives du sytème, elles sont la manière d’être de ces gens-là.
Alors, quand on ne peut plus répondre de ses actes, parce qu’ils ne sont même plus perçus comme le fruit d’une tricherie individuelle, mais comme les gestes habituels de sa caste, il ne reste qu’à discuter des intolérances alimentaires.
Julian Augé

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