
Europe

Suite à la tribune du 14 avril qui appelle à une relance verte en Union européenne et dans le monde.
On le sentait venir, mais jusqu’à présent on n’avait pas vraiment de prise, pas d’accroche forte pour argumenter. Quelques déclarations ici et là qu’il fallait extraire et relier à d’autres pour tracer les contours du tableau d’ensemble et alerter.
Cette tribune « Green Recovery, plan de relance verte pour un monde durable » est donc plutôt une bonne nouvelle car elle permet de clarifier les options sur la table et les forces politiques en présence.
Initiée par Pascal Canfin (le dernier transfuge en date d’EELV vers LREM et président de la Commission environnement au Parlement européen), cette tribune appelle à sortir de la crise économique liée au coronavirus par un plan de relance, vert donc, c’est-à-dire permettant la fameuse transition écologique, et ce au niveau de l’UE.
180 signataires en tout pour cette tribune :
▪️ 79 eurodéputés des groupes Renew Europe (les libéraux), Verts/ALE, le S&D (sociaux démocrates) et le PPE (droite)
▪️ Aux côtés de 37 patrons (L'Oréal, Ikea, Coca-cola, Suez, Danone, Unilever, Volvo, Nestlé, Engie, ...)
▪️ 28 associations d'entreprises
▪️ la confédération européenne des syndicats avec à sa tête Laurent Berger
▪️ Des ministres de onze pays
▪️ Sept ONG et six think tanks
A la lecture de ces noms, ma première réaction a été : Non, mais qu’est-ce qu’ils nous préparent encore ces … ? Si l’envie vous en prend, vous pouvez au choix remplacer les « ... » par salaud (référence sartrienne, c’est autorisé) ou connards (Lordon l’a employé, c’est permis maintenant).
Mais on va pas commencer par critiquer tout de suite, analysons d’abord la chose d’un peu plus près.
Un plan de relance
Déjà la bonne nouvelle, c’est qu’il y est question de plan de relance économique avec des « investissements massifs » pour engager la transition écologique. Ça peut paraître bête comme ça, mais en 2017, je me souviens avoir fait campagne pour « l’Avenir en commun », et les mêmes qui cosignent des deux mains cette tribune aujourd’hui, expliquaient alors que n’importe quoi, c’est pas possible, l’argent il vient d’où, et puis la dette, les engagements des traités européens à ne pas dépasser les 3 % de déficit budgétaire, etc, etc... Or là, on a une tribune qui réunit tout le gratin européen, le grand patronat, et ils nous expliquent que le plan de relance avec investissements massifs pour sortir de la crise et en profiter pour faire la transition écologique, c’est ça la solution. Ok, c’est noté.
Continuons… On y retrouve plein d’autres jolis mots aussi dedans : prospérité, neutralité carbone, neutralité climatique, un « modèle économique plus résilient, plus protecteur, plus souverain », défis sociaux, biodiversité, transition juste et équitable.…
Un point intéressant à cette tribune est l’effort qu’ont fait les rédacteurs pour intégrer la question sociale à plusieurs reprises. Ce passage notamment : «nous vivons un choc inédit pour l’économie et les travailleurs ». Oui, vous avez bien lu, l’économie est reliée aux travailleurs, et même pas de « dirigeants » ou « entreprises » juste après pour gâcher l’effet !
Je ne sais pas s’il faut en rire ou en pleurer quand on voit la liste des signataires. Alan Jope, actuel patron et Paul Polman ancien patron d’Unilever, multinationale bien connue pour son amour des travailleurs·ses, surtout celles et ceux de Fralib, les PDG d’Ikea, Volvo ou Nestlé, etc... connus également pour leur modèle social, ou encore Pascal Lamy, ancien directeur de l’OMC et donc Monsieur Satan pour toute une génération de militant·es altermondialistes. On est habitué à les voir jouer du greenwashing, mais faire semblant de s’intéresser au sort des travailleur·ses, c’est plus rare, il faut savoir apprécier.
Pour le fun, ce petit passage qui m’a fait bien rire : « Nous saluons les prises de position des leaders européens qui affirment vouloir faire « tout ce qui est nécessaire » » pour contrer les conséquences sociales et économiques de la crise ». Nos chers leaders ont déclaré qu’ils voulaient faire « tout ce qui est nécessaire » ! Dingue. Ça méritait bien d’être salué dignement des déclarations d’un tel courage, non ?
Quelle transition écologique ?
Arrivons sur le plus concret. Transition écologique, ok, voyons-voir ce qu’ils y mettent derrière.
Il ne s’agira pas de recréer une économie ex-nihilo. Au cours des 10 dernières années, de nouvelles technologies ont été développées et les chaines de valeurs se sont transformées. Le coût de la transition s’est massivement réduit, par exemple dans les énergies renouvelables, le développement de la mobilité « zéro émissions », l’agroécologie, l’efficacité énergétique, etc. Il y a 10 ans en 2009 après la crise financière, nous n’avions pas encore fait la preuve de la rentabilité de la rénovation thermique des logements, les voitures sans émissions n’étaient que des prototypes, l’énergie éolienne coûtait 3 fois plus cher qu’aujourd’hui, le solaire 7 fois.
Déjà en creux, il y a l’aveu qu’ils ont fait n’importe quoi en 2009 après la crise financière. C’est bien de reconnaître. Feront-ils mieux cette fois ? Suspens…
« Il ne s’agira pas de recréer une économie ex nihilo » Ben tu m’étonnes ! Danone &co ont mis des années pour bien écraser/absorber tous les concurrents, bien s’implanter partout en privatisant les ressources naturelles, c’est pas pour tout recommencer à zéro. On va donc oublier la remise en cause radicale du système capitalisme-mondialisé-financiarisé, en même temps vu les signataires on avait peu d’espoirs. Mais heureusement les progrès techniques permettent aujourd’hui de tout changer sans rien changer à les en croire. Le modèle proposé est donc assez classiquement celui d’une transition permise par l’amélioration des techniques : on a eu la première révolution industrielle, la deuxième, etc, place maintenant à la révolution industrielle verte.
L’exemple de la voiture sans émission est à ce titre particulièrement frappant. On va continuer à construire des voitures, mais elles seront écolos. Sont absentes de cette transition écologique version Suez et Volvo la question de la raréfaction des ressources naturelles, la question de la règle verte (on ne prend pas plus à la planète que ce qu’elle est capable de reconstituer), l’idée qu’il puisse y avoir une décroissance (aie, gros mot) de certaines productions. En même temps faut pas trop leur en vouloir, ils ont eu besoin de 10 ans depuis la dernière crise économique, puis du coronavirus, pour penser la relance par la transition écologique, ils ne peuvent pas déjà être au point sur la règle verte. Sont absentes également de cette transition, logiquement, les questions du contrôle citoyen de ces ressources, de l’existence de bien communs, et donc de la démocratie.
Comment faire ?
Maintenant qu’on a vu quelle était la transition écologique proposée, voyons comment ils pensent s’y prendre. Qui est concerné et d’où vient l’argent ? Comme toujours dans ce type d’écrits, on peut sauter directement le blabla et aller directement à la fin.
Nous appelons à une alliance mondiale de décideurs politiques, de chefs d'entreprise et de dirigeants financiers, de syndicats, d'ONG, de groupes de réflexion et de parties prenantes à soutenir et à mettre en œuvre la mise en place de paquets d'investissement pour la relance verte et la biodiversité, qui serviront d'accélérateurs de la transition vers la neutralité climatique et des écosystèmes sains. Nous nous engageons à travailler ensemble, à partager nos connaissances, à échanger notre expertise et à créer des synergies pour mettre en place les décisions d’investissements dont nous avons besoin.
Une alliance mondiale, rien que ça. Cette alliance est intéressante à analyser dans l’énumération de qui en fera partie. Prenons dans l’ordre. D’abord des décideurs, des chefs, des dirigeants (politique, d’entreprise, financiers, c’est interchangeable). Comme pour tout le texte, on peut oublier l’écriture inclusive. Puis des syndicats, ONG, groupes de réflexions – là ce ne sont plus des hommes qui décident mais des groupes aux contours flous pas bien incarnés. Enfin un truc appelé « parties prenantes » dont on ne sait pas trop ce qu’il désigne. Le mot « parties prenantes » parfois remplacé par « forces vives » dans le vocabulaire libéral sert à désigner ce qui reste une fois qu’on a nommé les importants.
Oubliés les travailleurs évoqués au début, pas l’ombre d’un·e citoyen·ne à l’horizon dans cette alliance.
Cette alliance doit donc mettre en place des paquets d’investissement pour la relance verte. C’est quoi des paquets d’investissement ? Déjà commençons par dire que c’est une mauvaise transcription de « Investment Package » dans la version english/globish. Ce qui en Français se traduit habituellement en « formule d’investissement » ou « montage financier », voire « programme d’investissement ». Difficile d’en connaître les contours actuellement. Mais on peut imaginer sans trop d’effort que ces paquets d’investissement seraient aussi/en partie/en majorité (rayer la mention inutile) destinés aux « acteurs économiques », tels que, par exemple ça tombe bien, les signataires de cette tribune. Après tout, qui mieux que Danone, Coca-Cola ou Nestlé pour « partager [ses] connaissances, échanger [son] expertise » et ainsi réaliser la transition écologique ? D’autant plus quand les signataires politiques de cette tribune sont acquis au libéralisme et n’ont pour la plupart jamais remis en cause le fonctionnement de la Banque Centrale Européenne, qui, pour faire simple, ne donne jamais directement aux États, mais au secteur financier, charge à lui d’ensuite investir intelligemment. Sur ce point et plus globalement sur le fonctionnement économique européen, je renvoie à cette note de blog de Jean-Luc Mélenchon, synthétique et efficace.
Quel personnel politique pour mettre en place ce programme libéral-vert ?
J’avoue que c’est là que ça devient rigolo.
D’abord un petit retour en arrière : en 2019, lors de la campagne des Européennes (cela semble remonter à une éternité tellement l’Histoire s’est accélérée depuis), nous expliquions que nous étions les meilleur·es – ce qui est un peu l’objectif d’une campagne électorale. Et, au-delà de notre programme européen, du soutien aux luttes en cours et notamment aux Gilets jaunes, nous avions aussi développé une critique politique des programmes et positionnements de nos concurrents. C’est ainsi que fonctionne un débat politique sain : on débat et les électeurs·trices tranchent. Certain·es ont parfois tendance à l’oublier, tout occupé·es à vanter les mérites du consensus quelles que soient les circonstances. Parmi nos concurrents donc, EELV, et parmi les arguments critiques portés sur leur positionnement politique, le fait que le groupe Verts/ALE européen envisageait une fois élu de rejoindre une grande coalition au Parlement européen pour diriger ensuite tous ensemble. Ce n’est tout de même pas un point de détail ! Savoir si les député·es pour lesquel·les vous votez vont ensuite gouverner avec ceux et celles que vous voulez voir prendre une tôle. Malheur ! Que n’avions-nous pas dit ! Forcément nous sommes devenus de vilains menteurs agressifs populistes. Les élections passées, Médiapart a publié un article sur ces négociations. Preuve en est que non, nous n’avions pas menti. Il se trouve que les négociations ont finalement échouées. Mais ce n’est pas rien qu’elles aient tout de même existé et que cette alliance ait sérieusement été envisagée.
C’est pourquoi il n’est absolument pas surprenant de voir aujourd’hui dans la liste des signataires des membres des groupes de droite « classique » et libérale (PPE et Renew Europe), aux côtés des socio-démocrates. Ça fait longtemps qu’on sait que se dire socialiste/de gauche n’est pas contradictoire avec l’adhésion aux dogmes libéraux. Ce n’est pas non plus étonnant de voir un nombre conséquent de député·es Vert être signataires en compagnie de celles et ceux avec lesquels ils avaient envisagé de gouverner en 2019.
Parmi les député·es Verts signataires, on retrouve entre autres, les 2 co-président·es du groupe, mais aussi Michèle Rivasi députée française et notre Yannick Jadot national.
Personnellement j’adore Yannick Jadot. Il est toujours exactement là où on l’attend, c’est un vrai plaisir.
En campagne pour les Européennes, il explique au Point être « favorable à la libre entreprise et l'économie de marché » et à Reporterre être anticapitaliste. Début du mouvement des Gilets Jaunes : il estime qu’il faut maintenir la hausse de la taxe carbone, puis il dénoncera régulièrement les violences des manifestations. Réforme des retraites Macron : il est favorable à un système « par point » mais pas à celui proposé par le gouvernement. Interrogé sur Mélenchon le 12 mars : festival de poncifs « je revendique le fait d’être pro-européen, il ne l’est plus, je revendique le fait de critiquer Vladimir Poutine quand il bombarde les hôpitaux et les écoles ... ». Le tracking proposé par Castaner pour lutter contre le coronavirus : ok, mais avec des garanties.
Plus inquiétant et relevé par Pierre Rimbert dans le monde diplomatique de mars 2020, sa réaction à l’annonce d’une alliance des Verts avec les ultra-conservateurs en Autriche : « Ils ont du courage de le faire, de prendre leurs responsabilités »
Non vraiment, j’adore Yannick Jadot.
Et maintenant donc cette tribune pour un capitalisme vert. Cette position européenne est compatible avec son positionnement politique national. Cette grande alliance appelée au niveau européen et même mondial pour construire un capitalisme vert peut-elle avoir une traduction politique en France ?
Les inquiétudes existent : Yannick Jadot appelle à un Grenelle du monde d’après, qui pourrait se réunir à Matignon, dans le cadre d’un travail commun avec le gouvernement en place donc. Cette proposition est relayée par Julien Bayou qui ajoute « sous la houlette du Premier ministre ».
Dans le même temps, Emmanuel Macron se la joue Nicolas Sarkozy post 2008 « j’ai changé – il faut revoir notre logiciel » et les premières mesures de la Convention citoyenne pour le Climat ont été communiquées au gouvernement, à la presse mais pas aux citoyen·nes.
Que va-t-il sortir de tout cela ?
Sorti des années Sarkozy, la crise économique de 2008 pas terminée, François Hollande, digne représentant de la social-démocratie nous a servi du « mon ennemi c’est la finance ». On a perdu 5 ans avant qu’il soit clair pour tout le monde que la politique économique libérale du PS était anti-sociale, et on a eu Macron à l’arrivée.
Je n’ai pas envie de perdre de nouveau 5 ans, 10 ans, avant qu’il ne soit clair pour tous et toutes, que le système économique libéral ou capitaliste, quel que soit le nom qu’on lui donne, est incompatible avec la préservation de l’environnement et l’enrayement du réchauffement climatique. Pas envie de perdre encore des années avant que chacun·e comprenne qu’il ne suffit pas de clamer « mon ennemi c’est le réchauffement climatique ». Le dicton dit : demander un capitalisme vert, c’est demander à un lion d’être végétarien.
Il est encore temps pour nos ami·es écologistes de se désolidariser complètement et fortement de cette initiative désastreuse de nos « leaders » européens pour une transition écologique sous l’égide de Coca-Cola.
De leur rappeler que s’il n’y a pas d’union nationale, si nous ne travaillons pas avec le gouvernement Macron, ce n’est pas une lubie de notre part, mais la constatation d’incompatibilité politiques irréconciliables.
Au capitalisme vert, nous opposerons donc la possibilité d’un nouveau collectivisme vert, vivant et solidaire. Et nous remettons sur la table notre programme l’Avenir en Commun, comme point de départ d’une réflexion commune sur le fameux monde d’après, qui a en fait déjà commencé.
Ah oui. Dernier point… « Green Recovery » le nom donné à ce plan de relance. C’est aussi le nom d’une entreprise française spécialisée dans le rachat/vente d’entreprises en faillite. Autrement dit, un fond vautour… Un nom de baptême prémonitoire ?
Claire Arnoux.
Militante politique et responsable d’une association de défense de l’environnement.

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