
Climat à la loupe

Un prototype sans lendemain
Située à Brennilis dans le Finistère, la centrale des Mont d'Arrée - centrale EL4 construite à partir de 1962 par le CEA - est un prototype de réacteur
- fonctionnant avec de l'uranium naturel (la France ne maîtrisait pas les techniques d'enrichissement)
- refroidi au gaz carbonique (qui évacue la chaleur vers la turbine et l'alternateur)
- modéré à l'eau lourde (afin de ralentir les neutrons pour une meilleure efficacité de fission)
Les REP actuels (de Fessenheim à Civeaux) ainsi que le "futur " EPR utilisent de l'eau pour le refroidissement et la modération.
La centrale de Brennilis a fonctionné – avec difficultés– de 1967 à 1971, date à laquelle le gouvernement a décidé d'abandonner cette filière au profit des REP (Réacteur à Eau Pressurisée), les 58 réacteurs actuels.
Par la suite, avec des hauts et des bas, la centrale des Mont d'Arrée a fonctionné jusqu'en juillet 1985, date de sa mise à l'arrêt définitif. A l'époque, les plans de démantèlement prévoyaient
- un démantèlement des parties non nucléaires rapidement,
- une attente (8 à 10 ans) pour intervenir sur la partie nucléaire.
Et le démantèlement de la centrale de Brennilis était censé être une vitrine des capacités françaises dans le domaine du démantèlement. Vieille histoire que l'on ressort aujourd'hui à propos de la centrale de Fessenheim…
Un démantèlement mal conçu, mal présenté, sans aucune garantie de sûreté.
La première phase du démantèlement (évacuation du combustible, vidange des circuits gaz et eau) se déroule de 1985 à 1997. Dans le même temps, on mesure la complexité d'un démantèlement en raison de la géométrie de ce type de réacteur.
En 1996, un décret de "démantèlement partiel " est pris, prévoyant cette première phase entre 1997 et 2004 : décontamination et destruction sur possible des bâtiments non nucléaire / évacuation des déchets nucléaires / confinement du bâtiment réacteur. Cette phase ne se termine officiellement qu'en 2007.
En 2006, nouveau décret autorisant le démantèlement complet (partie nucléaire), et annulé en 2007 car l'étude d'impact n'avait pas fait l'objet d'une information suffisante auprès du public (pas d'enquête publique) et parce que les estimations de doses reçues par les travailleurs laissaient à désirer.
En 2008, nouveau dossier, donnant lieu à une enquête publique cette fois, mais recevant un avis défavorable car il n'existait pas à l'époque de centre de stockage des déchets FAMA (Faible ou Moyenne Activité).
En 2008 également, sortie du documentaire "Brennilis, la centrale qui ne voulait pas s'éteindre " de Brigitte Chevet, qui relate cette histoire.
Fin 2011, nouveau dossier de démantèlement complet présenté par EDF : ICEDA, le centre de gestion des déchets FAMA est sur les rails. Mais le permis de construire de ICEDA est annulé, et le dossier de Brennilis est jugé irrecevable…
En 2016 : pour en finir, l'ASN (et dons le gouvernement) imposer le dépôt d'un nouveau dossier de démantèlement complet avant fin juillet 2018.
Pour en finir, en juillet 2018, dépôt par EDF du dossier de démantèlement complet, à l'étude par l'ASN à ce jour (site de l'ASN en octobre 2021)
Et l'enquête publique sur ce dossier démarre le 15 novembre, pour s'achever en janvier 2021. Alorsd que le dossier est toujours à l'étude, lorsque le centre de stockage définitif des déchets radioactif n'est pas encore approuvé, et que EDF, de même que le CEA, recommandent d'attendre encore une quarantaine d'années avant de s'attaquer la cuve et aux circuits annexes, très radioactifs…
Quelle leçon ?
Le nucléaire a beau prétendre être maîtrisé, l'affaire de Brennilis montre une coupable impréparation et une arrogance peu commune.
- En 1985, date de l'arrêt de la centrale, rien n'avait été fait pour savoir quoi faire des structures nucléaires déclassées.
- Par la suite, EDF a présenté des dossiers de démantèlement conçus à la va-vite, sans se préoccuper réellement du devenir des déchets radioactifs (cuve et circuit primaire) ni de la santé des travailleurs (des intérimaires pour la plupart). Dossiers reposant en outre sur des structures de stockage de déchets inexistantes ou en projet.
Et aujourd'hui, alors que le dossier technique est encore à l'étude par l'Autorité de Sûreté Nucléaire, une enquête publique démarre, mais sur quelles bases, alors que l'ASN n'a pas encore pris position ?
Et tout ceci pour un nouveau décret de démantèlement pour le courant 2022, prévoyant probablement des travaux pour 17 à 20 ans.
Moralité : si cela se confirme, entre 1885 et 2040 il aura fallu plus de 50 ans pour démanteler une centrale qui n'aura fonctionné que 18 ans. Et pour un coût estimé (aujourd'hui…) à près de 850 millions d'euros contre les 480 millions prévus initialement.
Jean-Marie Brom
© Crédit Photo : Anthony Brondel

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