IDÉES ET HISTOIRE « Mon combat pour la forêt » Chico Mendes militant de l’humanité !
Le Journal de l'insoumission n°1791 décembre 2024
IDÉES ET HISTOIRE
par William Foucaut
« Au début, je pensais que je me battais pour sauver les hévéas ; puis j’ai pensé que je me battais pour sauver la forêt amazonienne. Maintenant, je sais que je me bats pour l’humanité2. »
Ces mots sont souvent attribués à Chico Mendes, militant politique, syndical et écologiste, qui a lutté au prix de sa vie pour la protection de la forêt amazonienne, des travailleurs et des communautés indiennes qui y habitent.
Dès l’âge de 9 ans, Chico Mendes travaille. Il est seringueiro, littéralement « celui qui travaille avec la seringue ». Les seringueiros sont des colons qui se sont installés dans les États du Nord-Ouest du Brésil (Acre, Amazonas), en Amazonie, à la frontière avec la Bolivie au moment de la « Fièvre du caoutchouc » fin XIXe et qui récoltent le latex sur l’hévéa. À partir de 1912, le difficile accès de l’Amazonie a rendu coûteux le prélèvement pour l’industrie occidentale qui a préféré celui d’Asie ou d’Afrique. Si de nouveaux arbres ont été plantés durant le XXe siècle, sous l’impulsion de l’industrie automobile notamment, les seringueiros sont restés dépendants de la volatilité des cours internationaux et de la brutalité des patrons à qui ils vendent leur récolte. Leur spécificité tient au fait qu’ils exercent une activité ligneuse modeste, durable et renouvelable, destinée à prélever sur les arbres sans les couper. Mais cette population va se trouver confrontée à de nouvelles difficultés dans les années 1970-1980 avec la dictature militaire instaurée après le coup d’État de Castelo Branco en 1964.
À partir du coup d’État, largement lié aux intérêts étasuniens, le régime veut intégrer l’Amazonie et envoie des propriétaires terriens (latifundistes) se saisir des terres pour élever du bétail. Au nom de la rationalité économique, les arbres sont abattus, les sols sèchent au soleil, ils s’érodent et cela brise les écosystèmes tropicaux locaux, rendant l’élevage paradoxalement tributaire des subventions nationales. Dès 1969, alors qu’il ne savait à l’époque ni lire ni écrire, Chico Mendes se syndique. Tandis que les seringueiros sont chassés, et que certains fuient en Bolivie, il organise de nouveaux modes d’action comme l’ « o empate3 » qui consiste à occuper pacifiquement à plusieurs centaines de personnes les zones en cours de déforestation, parfois devant les bulldozers4. La technique fonctionne, la répression est moins violente et le gouvernement propose aux seringueiros de devenir eux-mêmes propriétaires, ce que Mendes refuse : pour lui, c’est la forêt qui est la source du travail des seringueiros et non la possession de la terre.
Ainsi, l’originalité de la pensée de Chico Mendes réside dans deux choses : d’une part, il prend conscience du poids de la communauté internationale, et d’autre part, il saisit l’intérêt commun des seringueiros, des chercheurs, des écologistes et des peuples indiens pour la forêt amazonienne. En effet, si les peuples indiens luttent avant tout contre l’envahissement, ils possèdent néanmoins un « mode de vie alternatif à celui du capitalisme néolibéral globalisé5 » et Mendes a conscience de l’indianité6 comme arme politique. Par exemple, c’est la période des tournées internationales d’un des chefs des Kayapos, Raoni Metuktire. Il profite aussi d’un contexte où les occidentaux se préoccupent de plus en plus de la couche d’ozone et des gaz à effet de serre. En 1985, après avoir été conseiller municipal de sa commune de Xapuri pour le Parti des travailleurs (PT), Chico Mendes crée le Conseil national des seringueiros et anime l’Union des peuples de la forêt. Il tient à rassembler les forces afin d’éviter la division face au capitalisme. Cette même année, avec ses camarades, ils théorisent le concept de « réserves extractivistes » : il s’agit de créer des espaces dans la forêt, gérés par les seringueiros, les mieux à même de prélever sans détruire, ni la forêt, ni les peuples. Ils défendent la propriété publique de la terre. En 1987, il est récompensé par un prix des Nations Unies.
Lors de la rédaction de la constitution de 1988 qui marque véritablement un tournant dans l’histoire brésilienne, des droits sont accordés aux Indiens sur la forêt. Dès cette période, les premières réserves voient le jour. En mai 1988, Mendes se sait menacé et reçoit une protection policière. Dans une année 1988 marquée par près de 93 assassinats sur fond de conflits fonciers, Chico Mendes est abattu devant chez lui, devant sa femme et ses enfants d’une balle dans la poitrine le 22 décembre 1988 à 44 ans par des tueurs à gages payés par de riches propriétaires terriens. Il avait déclaré quelque temps avant dans un journal brésilien : « Si ma mort pouvait renforcer notre lutte, cela vaudrait la peine de mourir. Mais l’expérience nous enseigne le contraire. Je veux vivre : une manifestation et un enterrement ne sauveront pas l’Amazonie. » Visionnaire, aujourd’hui, le Brésil possède des dizaines de réserves de ce type ce qui n’a empêché l’offensive néolibérale de se poursuivre en Amazonie sous l’ère Bolsonaro et la figure de Chico Mendes de devenir un objet commercial7.
Pourtant, on lui attribue souvent cette phrase, dont la paternité est contestée, parfois attribuée à René Dumont : « L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage ».
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1. Titre de l’ouvrage posthume de Chico Mendes, 1990
2. Cette citation est souvent attribuée à Chico Mendes et résume bien sa pensée mais n’est pas sourcée.
3. « Match nul ».
4. https : //reporterre.net/IMG/pdf/chico_mendes-art_1989.pdf
5. Les luttes écosociales des indigènes, Michael Löwy.
6. . Concept anthropologique complexe : ici le fait que les peuples indiens possèdent des spécificités mais qu’ils se servent aussi d’une forme de folklorisation de leur peuple afin de sensibiliser le monde occidental à leur lutte.
7. https://www.socialter.fr/article/chico-mendes-le-seringueiro-qui-defendait-la-foret