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Idées et Histoire : « Du pain ou du plomb ! »



samedi 31 mai 2025

 Idées et Histoire  
 

 

« Du pain ou du plomb ! »

Par  William Foucaut

Le Journal de l'insoumission n°1797 juin 2025

 

Après la révolution et les avancées de la république sociale de février 1848, les socialistes sont déçus par les urnes et par l’assemblée chargée de rédiger une nouvelle constitution. Le 15 mai 1848, l’Assemblée constituante, issue des élections d’avril 1848, est envahie. 50 000 personnes demandent de l’aide pour la Pologne attaquée par les Russes et les Autrichiens. Barbès et Blanqui sont les meneurs. Un autre meneur, Huber déclare à la tribune que l’ « Assemblée est dissoute ». Huber pourrait être un agent de la police visant à provoquer l’incident. Les rapports du procès de 1849 ne sont pas concluants concernant cette question. Toujours est-il que l’avant-garde révolutionnaire est brisée par la garde nationale, les deux meneurs sont arrêtés, c’est une lourde perte pour les socialistes. Cela ouvre une période d’intense répression de la part de l’Assemblée. En outre, cela pose fermement la question du suffrage universel dans son rapport à la Révolution1.
La fin des ateliers nationaux : un prétexte bourgeois pour le retour à l’ordre (mai-juin 1848)


Après cet événement de mai 1848, l’Assemblée durcit la répression en débutant une réflexion sur l’utilité des ateliers nationaux qui avaient été mis en place en février afin de répondre rapidement à la crise du chômage par le « droit au travail ». Le 4 juin, de nouveaux députés font leur entrée à l’Assemblée suite à des élections complémentaires : Proudhon est élu pour le camp socialiste mais Adolphe Thiers et Victor Hugo également. Des mots même du député Victor Hugo qui siégeait alors à droite, les ateliers nationaux sont appelés « râteliers nationaux », considérés coûteux et dangereux pour la bourgeoisie. Bref, « il faut en finir » avec « le boulevard du socialisme » selon les mots de Falloux qui décrète le 21 juin l’enrôlement dans l’armée des ouvriers des ateliers de 18 à 25 ans ou bien leur retour dans les départements pour effectuer des travaux2.


L’insurrection (journées du 22 au 27 juin 1848)


Le 22 juin, le ministre de la Guerre, le général Cavaignac, obtient le pouvoir de la commission exécutive. Il dissout officiellement les ateliers nationaux et limite la liberté de la presse et de réunion. C’est ainsi que défilent les Parisiens le 22 juin avec des slogans comme « du pain ou du plomb » ou encore « vive la république démocratique et sociale ». Le 23 juin, les premières barricades sont construites. Paris est décrétée en état de siège. Le 24 juin, on parle de près de 40 000 insurgés face aux forces de l’ordre de Cavaignac. 3 000 insurgés sont tués et près de 1 500 pour les forces de l’ordre. 15 000 personnes sont emprisonnées. Beaucoup d’entre elles sont condamnées à la transportation (déportation par mesure policière, qui ne nécessite pas de jugement). Tandis que Mgr Affre est mortellement blessé sur une barricade en tentant une conciliation le 25 juin, un député catholique-social, Lamennais s’écrira « silence aux pauvres ! ». Se sentant en danger dans ce contexte, les députés socialistes Louis Blanc et le député ouvrier « Albert » s’exilent en Angleterre. Le 11 juillet, dans un débat concernant l’impôt sur le revenu, Proudhon et Thiers s’opposent. Le premier déclare sur les journées de juin : « Je m’identifiais, moi, avec le prolétariat, et que je vous identifiais, vous, avec la classe bourgeoise3 ».


Élections versus Révolution ?


Selon Marx, en 1848, le suffrage universel n’a pas eu les vertus magiques que lui prêtaient les républicains4. Cette séquence de mai-juin 1848 n’a fait selon lui, que mettre en exergue la lutte des classes en révélant les représentants de chacune des classes. En effet, avant même les élections d’avril, les révolutionnaires avaient anticipé la main-mise de la bourgeoisie. Et l’Assemblée élue semblait effectivement plus modérée que la rue : 500 députés républicains modérés, 250 monarchistes et 150 socialistes. L’auteur socialiste poursuit en expliquant que la révolution socialiste et ouvrière de février 1848 n’était pas à l’image de la nation mais plutôt à l’image de ce qui s’était produit majoritairement à Paris, or le pays est composé avant tout de la paysannerie et de petits propriétaires5.


Ainsi, la suite de la rédaction de la Constitution est conforme à la volonté bourgeoise. Les travaux parlementaires relatifs à la rédaction d’une nouvelle Constitution ont lieu dès mai et sont remis en grande partie autour de la mi-juin. Malheureusement, les événements de mai ont lourdement pesé dans les intentions de la bourgeoisie et les événements de juin ont conforté leur position. Dans ce contexte, si une centralité est accordée à l’Assemblée nationale car « il n’y a qu’un peuple souverain », peu de pouvoir lui sont attribué. Pire, les députés décident de l’élection d’un citoyen comme président de la République au suffrage universel ! Pour Lamartine, grand défenseur de ce principe, cela permettra au peuple de choisir son « chef » et de rassurer tout le monde sur l’abus de pouvoir et la menace d’un 18 brumaire…


Le 10 décembre 1848, à l’issue d’une année paradoxale, de la république sociale en février à la bourgeoise en décembre, Louis-Napoléon Bonaparte est élu premier président de la République au suffrage universel. Marx analysera cette victoire comme celle de la nouvelle classe paysanne face à celle des villes. Le 2 décembre 1851 (18 brumaire), cette élection au suffrage universel, censée lier le peuple à son dirigeant, ne remplit pas son rôle et Louis-Napoléon Bonaparte y mettra fin en proclamant l’Empire.


Cet exemple montre plus que jamais que les mouvements sociaux sont une nécessité afin d’être un contrepoids face à l’embourgeoisement potentiel de la classe politique, une réponse démocratique face à un conservatisme parfois issu de l’élection, un garde-fou, une boussole entre deux échéances électorales.

 


1. Michel Winock, « Avril-décembre 1848. À l’épreuve du suffrage universel », L’Histoire, février 2018

2. Ibid.

3. Ibid.

4. Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1852

5. Karl Marx, Les Luttes des classes en France, 1850

 

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