ENTRETIEN AVEC PAUL VANIER
Le Journal de l'insoumission n°1794 mars 2025
L’affaire Bétharram c’est à date, plus de 130 plaintes d’anciens élèves visant 14 agresseurs supposés (prêtres, surveillants…). Leurs crimes se seraient étalés des années 1950 au début des années 2010 dans cet établissement privé sous contrat catholique situé dans les Pyrénées-Atlantiques. Tout indique aujourd’hui que le Premier ministre, dont les enfants étaient scolarisés dans l’établissement et dont l’épouse y enseignait le catéchisme, était informé, dès le milieu des années 1990, de faits de violences physiques et sexuelles et qu’il n’a rien fait pour les dénoncer, les faire cesser.
Il en avait pourtant l’obligation et le pouvoir comme ministre de l’Éducation nationale de 1993 à 1997 et comme président du Conseil général, chargé de la protection de l’enfance, de 1992 à 2001. Pour ajouter à ce scandale, François Bayrou a choisi de mentir à la représentation nationale pour dissimuler son inaction.
Lorsque je l’ai interrogé la première fois sur cette affaire lors des questions au gouvernement il m’a répondu n’avoir « jamais été informé de quoi que ce soit de violences, ou de violences a fortiori sexuelles ». Or les témoignages d’anciens enseignants, comme Françoise Gullung qui indique l’avoir alerté dès 1995, d’un ancien juge d’instruction, d’un gendarme enquêteur, de victimes et les enquêtes de nombreux journalistes contredisent entièrement sa version des faits.
Bayrou savait. Ses mensonges, relayés par une partie du gouvernement, se sont ainsi transformés en mensonges d’État, en scandale d’État. F. Bayrou ne peut rester à Matignon. Il s’est disqualifié et doit démissionner. Sinon il revient au président de la République de le démettre.
Selon la CIIVISE, au moins 160 000 enfants subissent des violences sexuelles chaque année en France. Soit une victime toutes les trois minutes. L’affaire n’est donc pas un cas isolé et nous devons en donner une lecture systémique, analyser et combattre les mécanismes de l’omerta, une culture de la violence et de la soumission vis-à-vis des enfants.
La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église conduite en 2021 par le haut fonctionnaire Jean-Marc Sauvé a indiqué que 30 % des abus sexuels commis par des membres de l’Église l’avaient été dans les établissements scolaires et internats catholiques faisant du milieu scolaire le premier terrain d’action des pédocriminels.
Il faut identifier et corriger le manque et les défaillances du contrôle par les services de l’État des violences dans les établissements scolaires, en particulier dans les établissements privés sous contrat. Il en existe 7500. Ils scolarisent deux millions d’élèves. Sous contrat d’association avec l’État, les établissements privés sous contrat peuvent être l’objet de contrôles pédagogiques, administratifs et financiers.
Mais alors que les établissements publics sont en moyenne inspectés tous les 5 ans, à Bétharram, par exemple, aucune inspection administrative n’a été conduite ces 30 dernières années en dépit du dépôt de nombreuses plaintes pour violences physiques et sexuelles sur des élèves depuis le milieu des années 1990. La cour des comptes indiquait en 2023 : « Le contrôle financier des établissements privés sous contrat […] n’est pas mis en œuvre ; le contrôle pédagogique […] est exercé de manière minimaliste ; le contrôle administratif n’est mobilisé que ponctuellement lorsqu’un problème est signalé ».
Quand les contrôles ont lieu, limités au temps scolaire, des pans entiers de la vie des élèves échappent au regard de l’extérieur, en particulier la vie des internats, particulièrement nombreux dans les établissements privés sous contrat qui en dénombrent environ 600 et où le taux d’internes est deux fois supérieur à celui relevé dans le public.
Le RN est le parti de l’omerta sur les violences pédocriminelles. Depuis les premières révélations sur cette affaire ils ne sont jamais intervenus pour interroger le Premier ministre. Ils ont tenté de s’opposer à la création de la commission d’enquête parlementaire que j’ai proposée. Cela s’inscrit dans le contexte du virage à 180 degrés pris par le Rassemblement national à l’Assemblée nationale. Il agit désormais en soutien systématique du gouvernement. Rien que pour ce début d’année 2025, il a refusé de voter 6 motions de censure. Il a passé un deal avec Macron pour permettre la nomination de Richard Ferrand à la tête du Conseil constitutionnel. Son silence sur Bétharram s’inscrit dans cette séquence. Les petits calculs politiciens de l’extrême droite l’emportent sur l’intérêt des victimes et les enjeux de la protection de l’enfance.
C’est tout d’abord une immense victoire pour les victimes. J’ai proposé cette commission d’enquête afin d’identifier et de corriger de possibles défaillances dans le contrôle par les services de l’État des violences dans les établissements scolaires, d’agir pour protéger nos enfants. Pour empêcher d’autres Bétharram.
Cette commission d’enquête aurait notamment pour but de faire toute la lumière sur les conditions du contrôle des établissements privés sous contrat par l’État, sans bien sûr se substituer ou empiéter sur une procédure judiciaire en cours. Et sans se limiter au cas Bétharram. Cette commission d’enquête pourrait aboutir à la rédaction de propositions de loi. Nous le devons aux victimes. Leur courage, leur force nous oblige.